Le lieu n'a pas changé depuis près d'une heure : le Big Ben est toujours là, surplombant la ville, la Tamise reflète toujours la lumière de la lune, et la neige recouvre toujours ce pont que j'aime tant. Nous nous appuyons au même endroit que plus tôt dans la soirée, en fixant le fleuve, quand Liam brise le silence qui s'était installé depuis ma crise de larmes.

"Racontez-moi."

Je me tourne vers lui et inconsciemment, mon regard dérive sur ses lèvres bleues et entrouvertes, d'où s'échappent un léger souffle. Quand je m'en rends compte, je secoue rapidement la tête et reporte mon attention sur l'eau.

"Liam, vous n'êtes pas obligé de faire autant d'efforts, je ne le mérite pas, soupirai-je.
- Arrêtez de vous défiler, El'."

Je tourne à nouveau le visage vers lui et rencontre son regard noisette. Les larmes me montent incontrôlablement aux yeux sans que je ne puisse les en empêcher.

"Quoi ? Ai-je dit quelque chose de...
- Non, le coupai-je. C'est.. Ce surnom, c'est tout."

Je tente de fuir son regard mais il m'en empêche en m'attrapant doucement le menton, me forçant à laisser mon regard ancré dans le sien.

"Pas cette fois, Ellyah."

Je cligne des paupières et une larme roule sur ma joue. Il sourit tristement et l'essuie de son pouce. Je hoche faiblement la tête. Qu'ai-je à perdre ? Liam est quelqu'un de bien, même si je ne le connais que depuis un peu plus d'une heure. Je sens que je peux lui faire confiance.

"Il y a six ans, ma mère est morte des suites d'une leucémie. J'avais 16 ans, quand un cancer l'a tuée. C'est à ce moment-là que tout est parti en vrille dans ma vie. Elle me soutenait, elle était.. la seule à me comprendre. Et même si on n'avait pas beaucoup d'argent et qu'on devait se battre pour survivre, elle ne m'a jamais abandonnée, pas une fois. Quand elle est morte, c'est mon père qui a eu ma garde. Génial, non ? Un homme à femmes, un manipulateur, un escroc sans coeur. Ça n'a jamais été mon père, et voilà qu'on m'apprend que j'allais devoir vivre avec lui. Non, hors de question. Alors je suis partie, à 16 ans, sans argent, et sans diplômes. Sans rien."

Je m'interromps, essuyant d'un revers de main mes joues trempées. Je me tourne et appuie mes avant-bras sur la rambarde de pierre.

"Ce pont, c'est tout ce qui me maintient en vie, c'est tout ce qui fait que je ne perds pas les pédales. Il est en quelque sorte devenu mon... ancrage, la seule chose pour laquelle je tiens bon."

Je baisse la tête, essayant de ne pas complètement craquer. J'ai déjà bien trop versé de larmes devant lui, un inconnu au physique plus qu'avantageux. Que va-t-il penser de moi, maintenant ? Que je suis ridicule, immature, stupide ? Les trois se complètement de toute manière. J'ose enfin le regarder et je vois des larmes briller dans ses yeux. Attendez... Quoi ? Il secoue lentement la tête et laisse échapper un petit soupir.

"Je suis désolé, Ellyah."

Je souris, me remémorant ce qu'il m'a répondu lorsque je me suis excusée pour sa fiancée, Sophia.

"Je ne comprendrai jamais pourquoi ce sont les gens qui n'y sont pour rien qui s'excusent, lui répondis-je."

Il rit faiblement, se rappelant lui aussi du moment passé dans le café, mais aussi de tout ce qu'il s'est passé depuis. C'est dingue, je viens de le rencontrer et j'ai l'impression que cela fait des années que nous nous connaissons.

"Vous voyez bien que je n'ai rien d'exceptionnel, Liam."

Il secoue la tête et sans prévenir, me prend dans ses bras, me serrant fort contre lui. J'hésite quelques secondes, puis je finis par blottir mon visage dans son cou, respirant son odeur que j'adore déjà. Son souffle chaud s'écrase contre mon oreille et je l'entends murmurer :

"Vous êtes tellement occupée à être vous-même que vous ne voyez pas à quel point vous êtes parfaite."