Chapitre 9

Silver

Assis à la table de la cuisine, je fixai le liquide rouge que je faisais tournoyer dans mon verre. Si j'étais encore humain, j'aurais été bon pour une bonne migraine.

À vrai dire, je m'attendais à tout sauf à ce retournement de situation. Mia était réellement effrayée par ce que nous avait appris Enda et sur le moment, je n'avais pas l'impression que j'allais réussir à la faire changer d'avis facilement. J'avais bien conscience qu'il aller me falloir user de beaucoup de patience pour la remettre en confiance et lui démontrer la véracité de mes sentiments pour elle. Bien sûr, je comprenais qu'elle soit chamboulée par tout ça, mais je n'avais, pour ma part, aucun doute concernant mes sentiments pour elle. Je l'aimai comme je n'avais jamais aimé personne, même lorsque j'étais encore humain. Aucun charme féérique ne pouvait me faire ressentir une telle chose.

- Ben alors, déjà là ?

La voix de Mike me sortit de mes pensées.

- Oula. Je te connais, toi. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Je levai les yeux sur lui tandis qu'il s'assit en face de moi.

- Tu veux en parler ?

Je continuai de jouer avec mon verre sans lui répondre. Je ne savais même pas par où commencer.

- Vous n'avez pas pu rentrer dans le royaume des fées ? insista mon frère.

- Si.

- Et ? Raconte ! Vous n'êtes pas resté longtemps là-bas, que s'est-il passé ?

- Le temps ne s'y écoule pas de la même façon. Pour nous, on a dormi une nuit là-bas et on est reparti le lendemain matin.

- Une partie des rumeurs sur leur monde est donc vraie, marmonna-til. Mais il y a quelque chose qui cloche, je le sens. Qu'il y a-t-il Silver ?

J'allais lui expliquer la situation quand son téléphone nous interrompit.

- C'est Eline, s'étonna-t-il. Attends, je la mets en haut-parleur. Oui, Eline ?

- Mike ? Il y a un problème. Je suis avec Mia et elle est sur le point de franchir la frontière, à découvert.

Je me tends aussitôt. Que faisait-elle, bon sang ?

- On arrive tout de suite, lui répond-il.

Il était sur le point de raccrocher lorsqu'Eline l'interpella.

- Oh mon Dieu. Mike, je crois bien que c'est Aaron !

Je n'attendis pas qu'il ait raccroché pour me précipiter dehors. Eline ne nous avais pas dit au niveau de quelle frontière elles se trouvaient, mais il me suffisait de suivre l'odeur de Mia pour retrouver leurs traces. Je courus, usant de toute ma vitesse vampirique, bousculant les passants sans vergogne.

J'avais un très mauvais pressentiment.

En arrivant enfin sur place, j'eus tout juste le temps de voir Aaron glisser Mia à l'intérieur d'un fourgon. J'aurais aimé me lancer à leur poursuite, mais aussitôt, des personnes se jetèrent sur moi.

J'étais dans une rage folle. Cela fait longtemps que je n'avais pas ressenti une telle colère. Je ne savais même plus ce que je faisais. J'entendais juste des os craquer et des hurlements.

- Silver, attention !

Je me retournai et je vis Eline se précipiter sur un de mes assaillants pour l'empêcher de me planter une seringue, sûrement du sang de mort. Mais on ne m'aurait pas une deuxième fois, hors de question.

Alors que je m'occupais de briser la nuque d'un autre homme, j'entendis soudainement un cri. Reconnaissant la voix de mon amie, je me retournai et une vision cauchemardesque s'imposa à moi : un homme retenait Eline prisonnière de ses bras tandis qu'un deuxième lui plantait un couteau dans la poitrine. J'entendis le bruit des côtes craquer au passage de la lame, puis un poumon se perfora, laissant passer l'air qu'il contenait.

Sans plus réfléchir, je mis à terre le dernier homme encore debout face à moi et me jetai sur les deux agresseurs d'Eline. J'envoyai le premier valser sur un mur, contre lequel il s'effondra sous le coup du choc. Quant au deuxième, lorsque je vis sa main sur le couteau encore planté dans la poitrine d'Eline, un vieil instinct enfoui au fond de moi refit surface et sans plus réfléchir, je plantai mes crocs dans son cou.

Lorsque la première salve de sang chaud jaillit dans ma bouche, je renouai avec une sensation que j'avais complètement oubliée. Il n'y avait rien qui ne puisse surpasser cette merveille. Le liquide coulait dans ma gorge et c'est comme si on m'administrait un shoot d'adrénaline.

Je m'accrochai à lui, et j'aspirai de grandes goulées de ce fluide voluptueux. Tout mon être se réchauffait et je ne pouvais plus m'arrêter. J'en voulais encore et toujours plus. Alors que j'étais en train de le vider entièrement, je me retrouvai soudainement plaqué contre un mur, incapable de me débattre.

Quand je relevai les yeux, Mike me fit face.

- Il va falloir te calmer et tout de suite, Silver.

Me calmer ? Je bouillonnai de l'intérieur. Une énergie dévastatrice parcourait mon corps et je n'aspirai qu'à la laisser s'exprimer. Il y avait tant d'autres humains encore en vie dont je pourrais me repaître.

- Silver, je ne me répéterais pas. Soit tu te calmes, soit je m'occupe de toi. Dois-je te rappeller ce qu'il se passe quand je dois m'occuper de toi ?

Alors que je n'arrive toujours pas à me maitriser, j'aperçus une silhouette entourée d'ombres s'approcher de nous. Je ne la reconnus pas de suite, mais sa voix ne laissa aucun doute sur son identité.

Moïra.

- Silver, mon mignon, si tu n'écoutes pas ton frère, ce n'est pas à lui que tu auras à faire, mais à moi.

Ses ombres m'entourèrent et je sentis que Mike n'utilisait plus sa télékinésie sur moi, mais je ne pouvais toujours pas bouger, cloué sur place par les pouvoirs de Moïra.

Était-ce de la peur pour ma survie ? Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas ressenti cette angoisse de mourir. Quelques secondes s'écoulèrent avant que je ne reprenne mes esprits et que je réalise ce qu'il se passait. Tout autour de nous, une foule de badauds s'était attroupée, essayant de comprendre ce qu'il se passait. Certains avaient sorti leur téléphone pour filmer la scène.

Curiosité macabre. Je détestais cette époque.

Au sol, plusieurs corps de nos agresseurs gisaient mollement et soudain, mes yeux glissèrent sur une horrible vision.

Étendue par terre, dans les bras de Mike, Eline se vidait de son sang. Elle avait déjà perdu les couleurs propre à la vie.

- Non, soufflai-je.

Voyant que j'avais repris mes esprits, Moïra rappella ses ombres.

- Il va falloir que vous rameniez la petite chez moi. Je m'occupe de ces humains.

Je m'approchai de mon frère et le spectacle qui s'offrit à mes yeux me déchira le cœur. Ou il l'aurait si le mien battait encore.

Eline se débattait tant bien que mal pour respirer, mais je pouvais entendre son poumon perforé et je sais qu'elle n'en avait plus pour longtemps.

- Mike, on doit la ramener chez Moïra.

- Elle ne survivra pas si on la bouge, me répond-il si faiblement que je fus le seul à pouvoir l'entendre.

Il la tenait dans ses bras, la berçant d'un mouvement presque imperceptible et lui caressait les cheveux dans un geste rassurant.

- Mi... Mike.

Eline ouvrit les yeux, agrippa faiblement sa veste et le fixa d'un regard perçant.

- S'il... S'il te... plait.

Mike sembla tout de suite comprendre de quoi elle parlait et secoua la tête.

- Eline, tu sais ce que ça veut dire. Il n'y a pas de marche arrière.

Autour de nous, les gens continuaient de commenter la scène et leurs discussions n'allait pas tarder à me rendre fou.

- Éternité avec... toi, mieux que... mourir seule, crachote-t-elle.

- Je ne manquerais pas de te le rappeler quand tu en auras marre de moi, essaya-t-il de plaisanter. Tu es sûre de toi ?

Elle cligne des yeux lentement, en signe d'approbation.

- Attends... je peux le faire, si tu veux, me proposai-je.

Je n'avais encore jamais transformé un humain en vampire, mais c'était en voulant me protéger qu'Eline avait pris ce coup de poignard. Je ne voulais pas que Mike ait à subir cela. Mais celui-ci tourna la tête et me lança un regard noir.

- C'est à moi de le faire, je t'interdis de t'approcher, grogna-t-il.

Il posa ensuite ses lèvres sur les siennes, lui caresse la joue et lui murmure un « ça va aller » avant de plonger dans son cou.

Je préférai détourner les yeux et leur laisser un minimum d'intimité, quand bien même nous nous trouvions au milieu de centaines de personnes. Par terre, un homme rampa jusqu'à moi dans un râle, mais je lui jetai un coup de pied qui l'envoya bouler plus loin. Au bout de quelques instants, Mike se releva, portant Eline dans ses bras. Celle-ci semblait simplement endormie, sa tête reposant sur sa poitrine.

- Ça va aller maintenant, murmura Mike plus pour se rassurer lui que moi.

- Rentrons. Moïra a dit qu'elle s'occupe de tout.

J'eus à peine fini ma phrase que celui-ci s'était déjà éclipsé, en route pour notre refuge. Quelques instants plus tard, je le rejoignis dans sa chambre, Eline allongée sur son lit.

- Il n'y a plus qu'à attendre qu'elle se réveille.

- Tu as besoin de quelque chose ?

Mike, assis sur une chaise et tenant la main de notre amie dans la sienne secoua la tête pour toute réponse. Je décidai alors de les laisser seuls. Dans la cuisine, je me dirigeai vers le frigidaire ouvrit la porte et la claquai aussitôt violemment.

- MERDE !

Plusieurs fois, je répétai la même opération, ouvrant et fermant cette porte, sans plus pouvoir m'arrêter.

- Cette pauvre porte ne t'a rien fait, mon mignon.

En entendant cette voix, mon geste se suspendit dans le temps et des frissons me parcoururent l'échine.

- Excuse-moi Moïra.

- Tu n'as pas à t'excuser. Je comprends très bien ta réaction.

Elle attrapa une bouilloire en fer, y versa de l'eau et la pose sur les flammes de sa gazinière.

Durant tout ce temps, je l'observai, stoïque. Je ne ressentais plus rien, ou peut-être ressentais-je trop de choses en même temps...

- Où est Lazarus ? me demande-t-elle tout en s'affairant à se préparer son thé.

- Merde ! m'exclamai-je.

- Surveille ton langage, mon mignon.

- Il est resté dans le royaume des fées. Il voulait profiter de leur immense bibliothèque, contenant des livres anciens pour mener des recherches quant aux pouvoirs de Mia.

- Il va falloir aller le chercher. Il doit savoir ce qui est arrivé à sa nièce.

Accablé, je pris mon visage entre mes mains. Il allait falloir, en effet. Et j'étais celui qui allait devoir le lui annoncer.

- Je vais y aller maintenant. On va avoir besoin de lui.

Moïra acquiesça et d'un geste de la main, me fit signe d'y aller.

Je courus alors, sans m'arrêter, pour arriver jusqu'à Hyde Park. Arrivé à l'intérieur, je continuai ma course pour retrouver l'arbre que nous avions emprunté seulement le matin même. Une fois de retour dans le royaume des fées, je continuai, sans m'arrêter pour rejoindre le palais de la reine.

Une fois devant les grandes portes, je frappai si fort, que les gonds vacillèrent sous la pression. Une fée vint m'ouvrir et me demanda, en me regardant avec de grands yeux, ce que je voulais.

- Je dois absolument voir la reine et Lazarus.

- Je suis désolée, vous ne pouvez pas entrer comme ça.

Mais je n'avais que faire de ce que j'avais ou pas le droit de faire. Je la repoussai fortement sur le côté et me frayai un passage pour pénétrer dans l'enceinte de la demeure royale.

- Enda ! Lazarus ! hurlai-je en commençant à monter les marches.

Au bout de quelques instants, la reine apparut, le visage inquiet.

- Silver ? Mais que se passe-t-il ?

- Où est Lazarus ?

- Dans la bibliothèque, je vous y amène.

Tout en marchant, à une vitesse bien trop lente pour moi, elle se retourne pour me demander :

- Quelque chose s'est passé ?

- Je dois voir Lazarus, insistai-je.

Encore quelques minutes à avancer dans ce palais immense et nous arrivâmes enfin dans la pièce qui m'intéressait.

- Silver ? s'étonna Lazarus en relevant la tête d'un vieux grimoire. Mais que fais-tu ici ?

- C'est Mia.

- Comment ça ?

Dans ses yeux, je pus discerner un voile d'inquiétude.

- Elle a été enlevée.

Sous l'effet de la colère, une aura de flammes rouges l'engloba soudainement.

- Tu ne connais pas encore la meilleure partie. C'est Aaron qui l'a enlevée.

Toujours entouré de flammes, Lazarus referma le livre qu'il tenait entre ses mains et me rejoignis en deux enjambées.

- Rentrons.


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