Quelques jours s'étaient écoulés et la vie se poursuivait, comme si tout était normal. Je comprenais la tactique d'Enda, mais j'avais beaucoup de mal à faire comme si de rien n'était et continuer à vivre ma vie.

Moïra avait fait apparaître une vraie salle d'entraînement, afin de s'exercer en vue de la bataille qui allait arriver. Je ne voulais pas me retrouver dans la même situation que la dernière fois, à regarder les autres se battre et ne pas être capable de bouger le petit doigt. Du coup, j'avais le droit à des exercices intensifs et tout le monde mettait la main à la pâte pour m'aider. Même la reine Enda s'y était mise. Elle était très forte en combat rapproché, cela avait fait partit de son éducation royale.

- Au fait, Mia, avez-vous gardé la couronne d'olivier que je vous avais fait parvenir ? me demanda la souveraine en sortant de notre dernière séance.

Je m'arrêtai brusquement de marcher et elle se retourna pour m'observer, un air amusé sur le visage.

- Mais quelle idiote ! Je l'ai oublié là-bas...

La fée éclata de rire, de ce son cristallin bien trop beau pour être vrai.

- Ne vous en faites pas, j'en ai emporté une autre avec moi, au cas où.

- Vous avez déjà compris que je suis une catastrophe ambulante ? me lamentai-je.

- Pas du tout, Mia. Vous en êtes très loin ! tenta-t-elle de me rassurer. Avez-vous eu l'occasion de l'utiliser quand vous étiez dans cet endroit ?

- Oui. Enfin, non. Je l'ai juste posée sur ma tête et ça n'avait rien avoir avec la dernière fois. J'ai senti un flux d'énergie couler en moi, mais j'ai préféré ne pas faire de bêtises et la ranger en attendant que l'opportunité de l'utiliser se présente.

- Je crois que vous êtes prête, déclara-t-elle en m'observant de ses grands yeux bleus. Que diriez-vous de vous entraîner avec cet après-midi ?

- C'est une bonne idée. Si je ne crée pas une autre catastrophe avec...

- Ne vous en faites pas ! Tout va bien se passer, j'en suis sûre. Allons manger, je meurs de faim !

Elle glissa un bras sous le mien et nous nous dirigeâmes vers la cuisine. Une fois arrivées elle me quitta pour rejoindre Aaron qui était en pleine conversation avec Lazarus.

Ces deux-là s'étaient beaucoup rapprochés sur les derniers jours. C'était assez étrange d'y assister. Avait-ce été comme ça pour les autres avec Silver et moi ?

Je pense que oui.

Deux bras m'entourèrent et des lèvres se posèrent dans mon cou.

- Bonjour, murmurai-je en souriant.

Bonjour mon cœur.

C'est marrant, c'est un surnom que tu me donnes uniquement lorsqu'on ne se parle pas à haute voix, tu as remarqué ?

C'est simple, si j'ai le malheur de t'appeler comme ça en dehors de nos esprits, Mike va me prendre la tête avec à jamais...

Je ne pus m'empêcher d'éclater de rire en entendant sa piètre excuse. Je me retournai alors pour lui faire face, attrapai son sweat dans mes mains et approchai mon visage du sien.

- Je pourrais lui dire, moi.

- Tu fais ça et ma vengeance sera terrible, me menaça-t-il.

- Oh, j'ai peur, très peur.

- Tu ferais mieux.

- Comme si tu m'effrayais...

- Tu devrais, je suis un vampire, quand même.

- Même pas peur.

Silver se pencha alors sur moi, me mordilla à l'épaule et je laissai échapper un cri. Tout le monde autour de nous se redressa et nous observa avec de grands yeux, avant de retourner à leurs occupations.

Mais ça ne va pas ?

Je t'ai dit de te méfier, Mia.

*

L'après-midi, je repris mon entraînement, cette fois-ci avec la couronne apportée par la reine Enda. C'était stupéfiant comme tout semblait simple avec et à quel point mes pouvoirs étaient amplifiés.

- C'est incroyable, Mia. Tu étais déjà l'enchanteresse la plus puissante que j'ai rencontrée de toute ma vie, intervint Aaron, mais là, tu dépasses tout ce que je pensais imaginable.

Fut une époque où j'aurais été gênée de son compliment et je n'aurais pas su où me mettre. Mais j'avais désormais compris une chose : ce n'était pas comme ça que j'arriverais à me débarrasser de Dominique. Dans ce cas précis, la modestie ne m'amènerait pas très loin.

- Et avez-vous tenté de faire quelque chose que vous n'aviez jamais fait jusque maintenant ? s'enquit Enda.

- Comment ça ?

- Je ne sais pas... essayer de mélanger deux capacités pour faire quelque chose de novateur ?

Mélanger deux pouvoirs ? Comment pouvais-je m'y prendre ?

Je fermai les yeux et tâchai de me concentrer, malgré les regards de mes amis sur moi. Que pouvais-je faire ? Je n'en avais aucune idée. Les paupières toujours closes, je tentai de faire le vide dans ma tête. Un flux d'énergie commença à monter en moi, ainsi qu'une excitation. Je ne savais pas encore ce que je m'apprêtai à faire, mais c'était comme si mes pouvoirs me prenaient par la main et me disaient « confie-toi à nous, on va te montrer ».

Lorsque je relevai la tête pour voir ce que je faisais, je laissai mes doigts et mes bras bouger d'eux-mêmes, comme si je n'étais que la marionnette de mon propre corps.

De l'autre côté de notre lien, je sentis Silver se tendre, il comprenait à distance que quelque chose de différent était en train de se passer.

Petit à petit, les murs de la salle s'écartèrent pour agrandir la pièce. Le plafond monta de plus en plus haut. Ébahie par moi-même, je perdis ma concentration et tout s'arrêta brusquement.

- J'ai fait quoi ? hoquetai-je.

- Il semblerait que vous ayez réussi à modifier la matière qui vous entoure. C'est impressionnant. Même pour une fée.

Je fixai mes paumes, me demandant comment j'étais capable de faire ça.

- Je ne sais pas comment j'ai fait. C'était comme si mes pouvoirs avaient pris le dessus.

- En tout cas, c'est spectaculaire, Mia, releva Aaron. Si maintenant tu peux carrément modifier ce qui t'entoure, je ne sais pas ce qui pourrait t'arrêter.

- J'ignore si je parviendrais à le faire de façon consciente.

- Alors, partons du principe que lorsque vous arriverez à le faire naturellement, ce sera le jour où nous pourrons partir régler le cas de ce Dominique, déclara la fée.

Sa phrase finie, la reine fit demi-tour et sortit de la pièce, nous laissant pantois suite à son annonce.

- C'est une bonne motivation, pour toi ? m'interrogea Aaron.

- Très bonne. On recommence ?

*

Les semaines s'écoulaient et se ressemblaient toutes dans leur organisation. Je m'entrainais, plus dur que jamais, et j'étais moi-même stupéfaite de ce que j'arrivais à faire avec de plus en plus de facilités.

Nous passions aussi beaucoup de temps tous ensemble, Silver, Mike, Eline, Aaron et la reine Enda. J'appréciais énormément ces moments en communs, à profiter les uns des autres, comme une grande famille. Quand je revoyais ma vie, il y avait encore un an en arrière, je me rendais compte à quel point j'avais fait beaucoup de chemin. Lazarus, comme d'habitude passait beaucoup de temps à voyager, mais en tant que chef de caste, il était difficile pour lui de rester longtemps sur place.

Tu es encore partie dans tes pensées.

Je relevai la tête pour plonger mes yeux dans le regard gris métal de Silver.

Encore ?

Ça t'arrive souvent.

J'imagine que tu sais déjà à quoi j'étais en train de penser.

Non, je m'efforce de ne pas toujours entendre ce qu'il se passe à l'intérieur de cette ravissante tête.

Nous étions tous les six assis à une terrasse, à profiter du soleil, tout en buvant un verre, pour ceux qui le pouvaient encore. Soit la moitié de notre équipe.

- Mia ?

Je me tournai alors vers la fée qui me regardait en souriant.

- Je vous sens prête. Que diriez-vous tous si nous partions demain ?

Je l'observai sans ciller, pas tout à fait sûre d'avoir bien compris.

- Pourquoi maintenant ? Qu'ai-je fait aujourd'hui qui a pu vous donner l'impression que j'étais prête ?

- Ce n'est pas ce que vous avez fait, mais plutôt votre état d'esprit. Je ressens un grand calme en vous, un bien être. C'est ce dont nous avons besoin pour que vous soyez connectée à vos pouvoirs, même en situation de stress.

- Alors, on s'en va demain, comme ça ?

- Oui.

Elle se releva de sa chaise, passa derrière Aaron et laissa glisser un doigt sur ses épaules.

- Je pense me coucher tôt, ce soir. Si ça t'intéresse, lui susurra-t-elle.

Une fois qu'elle fut repartie, Mike intervint le premier.

- Pardon ? C'était quoi, ça ?

Aaron leva les yeux au ciel avant de baisser la visière de sa casquette en soupirant pour se cacher des regards.

- C'est vrai ! reprit Eline, c'était quoi ça ? Vous vous tutoyez ? Et elle te prévient quand elle va se coucher ?

- Vous pouvez me laisser tranquille deux secondes, vous deux ?

- Jamais ! répondirent-ils en chœur.

- Vous vous êtes vraiment bien trouvé, releva Silver en riant.

- Ne les félicite pas, ils n'ont pas besoin de ça, l'implora Aaron.

De mon côté, je ne pus m'empêcher de rire en voyant la gêne de mon ami. Jusqu'ici, je l'avais toujours vu si sérieux, c'était agréable, sur les dernières semaines, de le voir se relâcher et être détendu avec nous.

- Donc vous êtes tous contre moi ?

- Au contraire, reprit Mike, on est tous avec toi ! C'est super ! Tu sais combien d'hommes ont déjà séduits une fée ? À ma connaissance, aucun. C'est historique ce que tu as accompli là !

Aaron se releva, sous nos éclats de rire.

- J'espère que tu assures et que tu fais honneur au genre humain !

Aaron se leva et s'éloigna, sans oublier de lui lancer son plus beau doigt d'honneur.

Cela suffit à relancer l'hilarité générale, sous les regards surpris des passants.

Aaron et Enda se montraient généralement très discrets, mais de temps à autre, la reine laissait échapper une parole, un regard... nous faisant ainsi comprendre qu'il se passait quelque chose entre eux deux. J'étais heureuse pour Aaron, sincèrement. Je me demandais juste à quel point c'était sérieux et ce qu'il en adviendrait une fois que nous aurions retrouvé Dominique et que la reine n'aurait plus aucune raison de rester dans notre monde.

*

Le soir, je n'avais pas faim, tant j'étais stressée par le départ du lendemain. Je préférais me rendre directement dans notre chambre. Silver me rejoignit rapidement et me prit dans ses bras.

- Comment tu vas ?

- Je peux répondre à une autre question ?

- Non, dis-moi comment tu vas.

- Tu devrais le savoir, non ? On est connecté, après tout.

- J'aimerais que tu mettes un peu des mots sur tes émotions, Mia, insista-t-il en descendant dans mon cou pour le recouvrir de baisers.

- Et comment veux-tu que je me concentre, là ?

- À toi de te débrouiller, je n'ai pas l'intention de m'arrêter.

Il me poussa pour me faire retomber sur le lit, sur lequel je rebondis lourdement.

- Sérieusement ? ris-je. Tu ne m'aides vraiment pas !

Silver grimpa sur moi et m'aida à enlever mon gilet, avant de remonter mon tee-shirt. Le contact de ses mains froides sur ma peau me fit frissonner. Je n'avais pas envie de répondre à sa question, je désirais plutôt le laisser s'occuper de moi comme il savait si bien le faire. M'aider à oublier ce qui m'attendait.

- Donc, comment tu vas ?

Je fermai les yeux et secouai la tête.

- J'ai peur, soufflai-je enfin.

- Ah... tu vois quand tu veux.

Ses mains glissèrent sur mon ventre et me soutirèrent un gémissement.

- J'ai peur de ne pas y arriver demain. J'ai peur que l'on tombe encore dans un piège. J'ai peur pour vous. J'ai peur qu'on ne revienne pas tous ensemble.

Silver se releva pour plonger ses yeux dans les miens.

- C'est normal d'avoir peur. Je m'inquiéterais le jour où ce ne sera plus le cas.

- Et toi ?

- Moi ? Je ne laisserais rien ni personne te faire du mal. Mais tu n'as pas besoin de moi pour te défendre. Tu es effrayante de puissance. Alors je ne m'inquiète pas trop pour demain.

Il posa ensuite ses lèvres sur les miennes et m'embarqua dans un baiser sensuel et tendre.

- J'ai un bon remède contre le stress, susurra-t-il contre ma bouche.

- Ah, oui ? Tu veux me montrer ça ? gloussai-je.

Silver se redressa un instant et me contempla comme si j'étais la belle plus chose qu'il n'ait jamais vue. Je n'étais pas encore nue, mais c'était tout comme. Il était difficile de soutenir l'intensité de son regard, dans ces moments-là. Surtout depuis que nous avions cette connexion entre nous. Je pouvais sentir tout l'amour qu'il nourrissait à mon égard, sans qu'il ait besoin de dire quoique ce soit. Je choisis alors de me concentrer sur cette idée et de mettre de côté mes angoisses, au moins pour quelques heures.