Chapitre 30

Après avoir avalé l'équivalent de trois petits déjeuners à moi toute seule, je décidai d'essayer de retrouver Jess et Maddie. C'était Moïra qui s'était occupée de les transporter jusqu'à Camden, et j'avais juste pu les apercevoir de loin. Je n'osais imaginer ce qu'elles devaient ressentir. Et je ne devais pas les oublier, malgré la multitude de choses à gérer de mon côté. Avant de me lever de table, j'hésitai quelques secondes, puis me résolus à interroger Aaron.

- Je vais trouver les filles avec qui j'étais, là-bas. Tu veux venir avec moi ?

Il m'observa avec de grands yeux, ne sachant visiblement pas quoi répondre.

- Je me dis juste que, comme tu as été victime de la même manipulation télépathique que les autres, tu pourrais peut-être les aider ?

- Évidemment, se reprit-il alors. Tu as raison.

Tu restes ici, s'il te plaît ?

Bien sûr.

Tu n'essaies même pas d'argumenter un petit peu pour m'accompagner et ne pas me laisser seule avec lui ?

Je ne cherche pas à me disputer avec toi, Mia. Donc, non. Il n'a jamais tenté quoi que ce soit avant que je ne me fasse enlever par Dominique, il a toujours été respectueux. J'imagine que maintenant qu'il est à nouveau normal, il en sera de même.

Merci.

En réponse, je ressentis une tendre caresse à travers notre lien. Toute notre conversation s'était passée sans que personne ne s'en rende compte et je devais reconnaître que c'était bien pratique.

Aaron se leva, fit un signe de tête à Lazarus pour le saluer et nous sortîmes tous les deux de la cuisine. Une fois dans le couloir, il se tourna vers moi pour m'interroger.

- Silver ne vient pas avec nous ?

- Je n'ai pas besoin d'être chaperonnée. Et toi non plus, d'ailleurs. Il n'a pas vécu là-bas, il ne sait pas vraiment quelle était l'ambiance, il ne connaît pas tous ces jeunes. Je ne vois pas pourquoi sa présence serait nécessaire...

Je réalisai alors quelque chose et m'arrêtai soudainement de marcher. Je restai figée quelques secondes, horrifiée par ce que je venais de réaliser.

- Loïse !

- Quoi ? s'inquiéta Aaron.

- Loïse ! Ma fouine ! Je l'ai complètement oubliée ! Je l'avais laissée enfermée dans ma chambre, je ne voulais pas prendre de risques quand j'ai décidé d'aller faire un tour aux autres étages. Et avec tout ce qu'il s'est passé, j'ai oublié d'aller la chercher. On doit aller la retrouver !

- Oui, maintenant que tu m'en parles, ça me dit quelque chose. Mais... Mia, tu ne peux pas retourner là-bas comme ça.

- Tu as toujours un badge avec toi ?

- Oui, mais...

- Où ça ?

- Dans ma chambre, mais...

Je ne lui laissai pas le temps de finir sa phrase et lui attrapai le bras pour nous y transporter.

- Récupère-le, déclarai-je, une fois que nous y fûmes.

Aaron chancela sur quelques pas, encore sous le choc du voyage.

- Je ne sais pas si je m'y habituerais un jour...

- Pas le temps de parler de ça, l'interrompis-je. J'aimerais qu'on se dépêche, s'il te plaît !

Il eut tout juste le temps de récupérer le morceau de plastique qui m'intéressait, que je nous fis à nouveau disparaître, pour nous matérialiser sur l'île de Saint Kilda, devant le rocher qui restait dorénavant ouvert.

- Mia, tu ne peux pas faire ça comme ça. On n'a prévenu personne qu'on partait, ce n'est pas raisonnable.

Mais je ne l'écoutai pas, lui arrachai la carte des mains pour appeler l'ascenseur. Quand les portes s'ouvrirent sur le couloir des dortoirs, je courus à perdre haleine jusqu'à ce qui avait été ma chambre durant ces dernières semaines, Aaron tenant la distance derrière moi. D'un revers de la paume, j'ouvris en grand la porte. Aussitôt, la petite boule de poils se jeta sur moi en poussant des petits cris et me martela de ses petites pattes.

- Je suis désolée, Loïse. Je suis tellement, tellement désolée. C'était la panique et il s'est passé tellement de choses et...

Un surplus d'émotions remonta à la surface et je me retrouvai à sangloter, agenouillée, Loïse dans mes bras. Quand elle se rendit compte que je pleurai, la petite fouine arrêta aussitôt ses braillements et se lova contre moi. Je perdis un peu la notion du temps et lorsque je décidai de me relever, elle attrapa mon visage entre ses pattes, me fixa de ses grands yeux bleus et, par je ne savais quel moyen, je sentis une partie de ma tristesse s'en aller. Je compris que c'était grâce à elle, même si j'aurais été bien incapable d'expliquer comment.

- Je ne saisis pas forcément pourquoi tu es là, Loïse, mais merci d'être à mes côtés. Tu ne te rends pas compte à quel point tu m'es d'une aide précieuse, une fois de plus, lui confiai-je à voix basse, tout en lui caressant la tête.

Alors que je m'éloignai de la chambre, afin de rejoindre Aaron qui se tenait à l'écart, Loïse m'interpella. Quand je me retournai, je vis qu'elle me montrait sa cabane.

- Ne t'en fais pas, je t'en ferais une autre. Encore plus grande.

Ma réponse parut lui suffire et elle s'empressa de me suivre en trottinant. Alors que je fis signe à Aaron que nous pouvions y aller, celui-ci me retint par le bras.

- Mia, attends. Maintenant qu'on est ici, je tiens à m'excuser.

- T'excuser de quoi ?

- Pour commencer, de t'avoir enlevée et mise en danger...

- Et ?

J'avais bien conscience de le mettre mal à l'aise, mais j'en avais marre des non-dits...

- De t'avoir embrassée, souffla-t-il en rougissant. Je n'aurais jamais dû...

- Écoute, Dominique avait compris qu'il y avait un truc et a voulu en profiter. Il a très certainement demandé à Kushi de jouer là-dessus. En temps normal, je le sais bien, tu n'aurais rien fait. À vrai dire, quand je suis rentrée avec Silver et que je te pensais mort, j'étais sous le choc lorsque les autres m'ont appris pour... toi. Je n'avais rien remarqué.

- Il était hors de question pour moi de te faire ressentir quoique ce soit. C'était à moi de gérer ça tout seul, m'expliqua-t-il.

Je lui souris et l'invitai à nous diriger vers l'ascenseur.

- Tu t'es toujours comporté de manière plus que respectueuse avec moi. Et les seules fois où j'ai pu t'en vouloir, c'est parce que tu me lançais des couteaux dessus où que tu me poussais tellement que j'étais épuisée. De plus, si tu ne m'avais pas embrassée la première fois, je n'aurais pas eu la confirmation que quelque chose vous manipulait tous. Et je t'ai embrassé en retour, à plusieurs reprises, mais c'est grâce à cela que j'ai pu avoir un badge et sortir de ma chambre.

- C'était pour une bonne raison en effet. Merci de ne pas avoir cru que j'avais viré de bord.

Debout dans l'ascenseur, l'un à côté de l'autre, je lui donnai un léger coup d'épaule. Je n'avais pas envie que notre relation soit ternie par une gêne, de son côté comme du mien. Lazarus était comme un père pour lui, mais également mon oncle. Nous allions être conduit à nous revoir régulièrement et je tenais bien trop à notre amitié pour tout gâcher à cause de tout ça.

- On part du principe que ce qui s'est passé reste ici et qu'on n'en reparle plus ?

Je lui tendis une main et proposait par ce geste de sceller un pacte entre nous. Il la fixa quelques instants puis la serra, tout en me regardant dans les yeux.

- C'est dans mes cordes, sourit-il.

Lorsque nous fûmes de nouveau à l'extérieur, une bourrasque de vent nous accueilli et Loïse s'agrippa à moi pour ne pas s'envoler. Je me baissai pour la prendre dans mes bras et la prévins qu'elle allait vivre quelque chose de désagréable. Quelques secondes plus tard, nous étions à nouveau dans les quartiers de Moïra. Peu de temps s'était écoulé durant notre aller-retour et personne ne s'était rendu compte de notre absence. Alors, comme si de rien n'était, nous reprîmes notre promenade, à la recherche de Jess et Maddie.

- Ça a toujours été aussi vaste, ici ? m'interrogea Aaron.

- Non. Je suis moi-même étonnée du changement.

- Et sinon, comment tu vas ?

Aaron venait de me voir craquer, je ne pouvais pas vraiment lui mentir.

- Franchement, ce n'est pas la grande forme. Je m'en veux tellement de ce qu'il s'est passé.

- C'est normal. Et je sais que tu n'as peut-être pas envie d'entendre ça maintenant, mais merci de m'avoir sauvé la vie.

Je haussai les épaules et observai le sol avec grand intérêt. Loïse me grimpa dessus et se faufila dans mes bras. Elle avait dû ressentir que j'étais à nouveau triste.

- Ne t'en fais pas, je ne vais pas me mettre à pleurer, lui chuchotai-je.

Je pouvais sentir le poids du regard d'Aaron sur moi.

- D'où elle vient, en fait ?

Je relevai les yeux et souris. J'imaginais bien qu'il avait dû hésiter avant de me poser la question. Mais je connaissais Aaron, il avait un esprit vif et était curieux de nature, désirait comprendre ce qui l'entourait.

- Et bien... lorsque j'étais dans le royaume des fées, la reine Enda m'a appris que mon réel pouvoir est de pouvoir récupérer celui d'une personne qui est décédée autour de moi.

- Oui, Lazarus m'a expliqué ça, hier et... Oh. Bea.

J'acquiesçai lentement, Loïse toujours dans mes bras.

- Bea avait une corneille, énonça-t-il d'une voix blanche.

Je lui expliquai alors les sensations que j'avais ressenties en me réveillant dans l'infirmerie et comme Loïse était ensuite apparue une fois retournée dans ma chambre. Puis, la découverte de ce nouveau pouvoir.

- Viorel, soupira-t-il. Je... plus les heures passent et plus j'ai des bribes de souvenirs qui me reviennent.

Il passa une main lasse dans ses cheveux en secouant la tête. Puis, il se retourna et donna un grand coup de poing dans le mur à côté de lui. Je sursautai face à cette démonstration de violence à laquelle je n'étais pas habituée chez lui. Je reposai alors Loïse au sol et m'approchai de lui pour observer sa main meurtrie.

- C'est malin... Tu te sens mieux, au moins ?

- Même pas, ricana-t-il.

- Tu ne devrais pas t'en vouloir comme ça, Aaron. Ce n'est pas de ta faute, tu étais manipulé par Dominique, tu n'étais plus toi-même.

Il releva la tête pour plonger son regard dans le mien.

- Ce n'est pas de ta faute non plus.

Je fuis ses yeux en fixant un groupe de jeune qui passait derrière lui. Depuis notre retour, tout le monde me le répétait et au fond de moi, je savais qu'ils avaient raison. C'était juste un peu trop tôt pour que je puisse passer l'éponge dessus.

- Bien, alors je te propose quelque chose : si tu me promets de faire un effort pour ne pas te laisser ronger par la culpabilité, j'en ferais de même de mon côté.

J'observai la main qu'il me tendait et la pris dans la mienne avec un sourire.

- D'accord, je vais essayer.

Nous reprîmes notre marche - le repère de Moïra était devenue bien trop grand pour moi, j'étais complètement perdue - et je pouvais sentir le poids du regard d'Aaron sur moi. Après avoir visité une énième pièce sans trouver mes deux amies, je finis par me tourner face à l'enchanteur en riant.

- Il y a visiblement quelque chose que tu souhaites me demander, alors fais-le.

Aaron écarquilla les yeux, gêné d'avoir été découvert et frotta son crâne.

- C'est quoi cette histoire de lien féérique ? Lazarus n'a pas vraiment eu l'occasion de m'expliquer.

- Ah.

Je me lançais alors dans une explication sur ce que Dominique m'avait révélé, lorsque nous étions allés sauver Silver. Aaron me relança à plusieurs reprises en posant des questions pertinentes et je souris intérieurement, heureuse de retrouver l'aisance et la facilité de nos échanges. Je lui racontai aussi l'histoire du charme des fées, comment il m'avait aidé à m'entourer de personnes bienveillantes lorsque j'étais arrivée à Hillsborough et, finalement, comme il avait pu influencer ses sentiments envers moi.

- Et... pour Silver ? m'interrogea-t-il, embarrassé.

- C'est... La reine nous a révélé que le lien que j'ai créé entre nous deux, ne peut apparaître qu'entre deux personnes qui s'aime vraiment.

- Deux âmes sœurs, quoi.

Nous restâmes quelques courtes secondes à nous contempler et je compris à ce moment-là qu'Aaron ferait partie de ces personnes qui resteraient chères à mon cœur, malgré tout ce qui avait pu se passer.

- Viens, essayons de trouver de Morty, il pourra soigner ta main.


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