Chapitre 26
Trois jours plus tard, j'étais dans les cuisines, à aider Jess aux tâches quotidiennes quand Aaron vint nous rendre visite. Il s'arrêta à l'entrée de la pièce, les mains dans les poches, un air gêné sur le visage. Contrairement aux enchanteurs retenus dans le centre, il ne portait pas d'uniforme et s'habillait de la même façon qu'avant d'être ici.
- Bonjour, monsieur Aaron ! s'exclama aussitôt Maddie.
Je levai les yeux au ciel en l'entendant. C'était une habitude que nous n'arriverions jamais à lui enlever.
- Tu fais quoi, là ? lui demandai-je, les mains plongées dans la farine.
- Je voulais m'excuser pour l'autre soir. J'ai dû partir très vite, ce n'était pas prévu.
- Ne t'en fais pas, ce n'est pas grave, assurai-je tout en continuant de pétrir la pâte.
- J'aimerais me rattraper ce soir, si l'envie te dit ?
Je m'attendis à une réplique cinglante de Silver, mais il devait être en train de faire autre chose, car rien n'arriva.
- Avec plaisir, lui répondis-je en souriant.
- Je viens te chercher dans ta chambre ? À la même heure ?
- Faisons ça.
Une fois reparti, la cuisinière se tourna vers moi, extatique.
- Vous êtes si mignons tous les deux ! Vous faites un si joli couple !
- Couple ? Ola ! On va se calmer tout de suite, Jess. Aaron et moi ne sommes pas un couple. Je suis déjà avec un autre homme, tu le sais très bien.
- Oui, mais bon... Il n'est pas là et toi tu es ici. Tout comme Aaron, renchérit-elle. Et pourquoi accepter de passer du temps avec lui si ce n'est pas pour vous rapprocher ?
Mieux valait me taire. Entre mon ressenti réel et ce que je voulais faire croire, j'allais m'embrouiller plus qu'autre chose.
- Écoute... je laisse les choses aller sans faire des plans sur la comète, d'accord ? Aaron est un ami avant tout.
- D'accord, me répondit-elle avec une mine déçue.
*
Le soir, dans ma chambre, je m'entraînai à ériger une barrière mentale et Silver faisait de même de son côté.
Tu t'en sors ?
La voix de Silver me fit sursauter.
Je t'entends, donc non.
Ne t'en fais pas, à force de s'entrainer, on va bien finir par y arriver. Il arrive quand, l'autre ?
Il ne devrait pas tarder.
À peine eu-je achevé ma pensée que l'on toquait à la porte.
Bon, je vais essayer de te laisser un peu tranquille et de penser à autre chose.
J'étais étonnée qu'il ne veuille pas commenter les moindres faits et gestes d'Aaron comme l'autre soir, mais je devais bien avouer être soulagée de ne pas avoir à jongler entre les deux toute la soirée. Tout en me dirigeant vers l'entrée, d'un geste de la main, j'ouvris à Aaron.
- Tu es toujours aussi ravissante, Mia, me salua-t-il.
- Merci, marmonnai-je, embarrassée.
Je m'apprêtai à sortir de ma chambre, quand Loïse se précipite pour me suivre, mais je l'arrêtai dans son élan.
- Non, toi tu restes ici, ce soir.
Elle me lança un regard furibond, fit demi-tour et poussa des petits cris mécontents.
Une fois de retour dans l'appartement de l'enchanteur, je restai plantée debout, au milieu de son salon.
- Installe-toi, Mia. Mets-toi à l'aise.
Je m'assis alors sur son grand canapé, mais n'osait pas m'appuyer sur le dossier. Je n'étais pas des plus à l'aise. Aaron revint avec deux verres de vin, m'en tendit un, puis prit place également, laissant une distance correcte entre nous deux.
- Tu te plais ici, Mia ? m'interrogea-t-il.
- Je... comment dire ça gentiment ? Tu m'as enlevée et amenée de force. Ce n'est pas vraiment l'idéal pour se sentir bien quelque part, répondis-je avant de boire dans mon verre.
Il détourna la tête et sirota une gorgée à son tour.
- Et... comment va Lazarus ?
Je glissai les yeux sur lui et le regarda attentivement. Il était clairement mal à l'aise, depuis combien de temps voulait-il me poser la question ?
- Je pensais que tu ne me le demanderais jamais, soulignai-je.
- C'est...
Mais il laissa sa phrase en suspens et joua avec à faire tourner le vin dans son verre.
- Tu veux que je dise quoi ? Il est dévasté. Et devoir lui annoncer ta mort quand je suis revenue avec Silver a été une des choses les plus dures que j'ai eu à faire dans ma vie.
L'espace d'un instant, j'eus l'impression de le voir avec les yeux humides, mais un battement de paupières plus tard, il n'en était plus rien. Encore une fois, j'avais ce sentiment que quelque chose clochait avec lui. Il n'était pas lui-même. Le Aaron qui était mon ami s'était sacrifié pour nous sauver, Silver et moi. Jamais il n'accepterait de travailler pour un homme qui faisait des expériences sur des enfants.
- Le dîner est prêt, suis-moi, m'indiqua-t-il en se relevant.
Une fois à table, je ne pus m'empêcher de m'extasier sur la nourriture. C'était tout moi, malgré la situation, mon ventre prenait le dessus.
- C'est super bon ! Ça change des repas de cantine...
- Je suis ravi d'apprendre que ça te plaît, rit-il.
Quand le repas fut terminé, je me levai pour aider à débarrasser la vaisselle. Contre toute attente, j'avais passé une agréable soirée. Nous avions parlé de tout et de rien, évitant les sujets qui fâchaient et j'avais eu l'impression de retrouver l'ami que je connaissais.
- Non, laisse-moi faire, tu es mon invitée, va t'asseoir sur le canapé.
- Ça me fait plaisir, ne t'en fais pas. Et si j'avais la flemme, je pouvais aussi tout envoyer dans le lave-vaisselle avec mes pouvoirs, fis-je remarquer en riant.
- Quand bien même, j'insiste.
Il s'approcha de moi et enleva les assiettes de mes mains pour les mettre sur le plan de travail.
- Va t'asseoir, je vais finir par mal le prendre si tu ne le fais pas.
- Très bien, je capitule, répondis-je en levant les mains.
J'attrapai mon verre de vin, retournai dans le salon et m'installai sur le canapé.
- Ça manque de plantes chez toi, fis-je remarquer.
- Ce n'est pas vraiment la priorité ici, riposta Aaron.
Je décidai alors d'en faire apparaître à divers endroits de l'appartement : une plante grasse dans l'entrée, des orchidées sur le buffet et un bouquet d'œillets sur la table basse.
- Tu es incroyable.
Je sursautai en entendant la voix d'Aaron toute proche de moi. Je ne l'avais pas senti s'avancer.
- Ce n'est pas grand-chose, éludai-je en haussant les épaules.
Il attrapa mon verre, le posa et prit mes mains dans les siennes.
- Mia, je tiens à te remercier d'être avec moi ce soir...
La conversation prenait une tournure bien plus sérieuse. Les effets de l'alcool se faisaient sentir, la tête me tournait un peu et j'avais du mal à me concentrer sur ce qu'il me disait.
- Je sais que dans l'idéal, tu préférerais être auprès de Silver, loin d'ici. Mais que tu décides de me laisser une chance, ça signifie beaucoup pour moi.
Je commençai à stresser. Je n'étais pas sûre d'apprécier la tournure que cela prenait.
Mia, tout va bien ? Je te sens angoissée de ton côté.
Je... oui, tout va bien.
Sûre ?
Je m'apprêtai à lui répondre, toujours en train de fixer Aaron sans rien dire, quand ce dernier se pencha sur moi et posa ses lèvres sur les miennes. Dans un élan de panique vis-à-vis de Silver, je visualisai une énorme porte blindée et la refermai précipitamment. J'eus l'impression d'avoir réussi, car je ne l'entendis plus du tout.
Pendant ce temps, voyant que je ne le repoussais pas, l'enchanteur approfondit son baiser, poussant l'audace jusqu'à glisser une main dans mes cheveux et l'autre dans mon dos pour me rapprocher de lui et il me fallut quelques instants pour reprendre mes esprits et l'écarter.
- Non, Aaron, je ne peux pas...
Je commençai à tenter de lui expliquer, mais je vis son regard changer et il observa tout autour de lui, perdu.
- Mia ? Que se passe-t-il ? Où...
Quand il réalise qu'il me tenait dans ses bras, il se recula de façon précipitée, comme si je lui brûlais la peau.
- Aaron ? murmurai-je.
Mais en quelques secondes, il redevint normal et l'interlude semblait oubliée. Il porta alors une main à sa tête, fronçant les sourcils.
- Tu vas bien ? m'enquis-je, sincèrement inquiète pour lui.
- Je ne sais pas pourquoi, j'ai un soudain mal de crâne, me répondit-il tout en se massant les tempes.
- Tu... tu veux que je te laisse ? proposai-je.
- Je vais demander à l'un des gardes de te raccompagner, souffla-t-il. Je ne sais pas ce que j'ai, c'est arrivé d'un coup et c'est assez violent.
Pendant tout le trajet du retour jusqu'à ma chambre, je tournai et retournai en boucle la scène dans ma tête. L'espace d'un instant, j'eus l'impression qu'il ne savait pas où il était. Il semblait même surpris de me voir là. Que se passait-il dans ce centre ?
Une fois à nouveau seule, je m'allongeai sur mon lit et caressai songeusement Loïse qui s'est jetée sur moi. Quand soudain, je me souvins avoir bloqué Silver en dehors de mes pensées. J'essayai alors de visualiser la porte blindée et de l'ouvrir.
Tout va bien.
Tout va bien. J'ai paniqué et je t'ai viré de ma tête.
Paniqué pour quoi ?
Je ne répondis pas tout de suite. Ça n'allait pas lui plaire, je le savais. Mais il n'y avait pas trente-six façons de lui annoncer ce genre de choses.
Aaron m'a embrassé.
Aucune réponse de l'autre côté de notre lien. Je ne savais pas comment interpréter ce silence.
Silver ?
Je suis là.
Et... ça va ?
Je viens d'apprendre que le mec qui a enlevé ma femme, l'a embrassée, pendant que moi je suis là à attendre un signal pour venir te chercher. Mais sinon, tout va bien.
Je suis désolée...
Ne t'excuse pas. Je sais pourquoi tu fais ça et je me doute bien que ce n'est pas toi qui t'es jetée sur lui.
Silver ?
Oui ?
Il me répondit avec plus de douceur que je n'aurais cru après une telle annonce. Comment faisait-il ?
Il s'est passé un truc bizarre après qu'il m'ait embrassée.
Je lui expliquai alors en quelques mots et lui fis part de mes doutes.
J'y pense depuis quelques jours maintenant, en observant tout le monde. Tu sais quand je dis que j'ai l'impression d'être dans une secte et qu'il en est le gourou ? Et bien, je me demande s'ils ne seraient pas tous sous l'influence d'un charme ou quelque chose dans le genre. Aaron inclus. Il semblait vraiment perdu. Comme s'il ne comprenait pas ce qu'il faisait là. Et puis, plus rien. En plus ce mal de tête sorti de nulle part.
Je n'eus aucune réponse de la part de Silver. Je le savais là. Je sentais sa présence, mais de son côté, c'était le silence complet.
Je dois en parler avec Lazarus. Il pourra peut-être nous aider.
Bien sûr.
Fais attention à toi.
Promis.
Allez, va dormir, je sens ta fatigue jusqu'ici.
Je ne pus m'empêcher de rire. Cette connexion était quand même bien étrange. Dans un sens j'avais l'impression de m'y être vite habituée et parfois je me rendais compte du côté bizarre de tout ça.
Je t'aime Silver.
Moi aussi, mon cœur.
Je fermai les yeux, un sourire aux lèvres, mais la tête chargée d'interrogations.
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