Chapitre 2
En entrant dans la cuisine, je constatai qu'Eline était déjà bien affairée. Elle ne nous avait pas entendues arriver. Aussi, quand Moïra s'adressa à moi pour me donner une consigne, je la vis sursauter et manquer se couper avec un large couteau.
- Mia, ma jolie, tu vas éplucher les pommes de terre.
Je regardai le tas se trouvant devant moi et poussai un soupir en pensant au temps que cela allait prendre.
- Et interdiction d'utiliser tes pouvoirs pour aller plus vite !
- Mais ! Moïra...
- Il n'y a pas de mais qui tienne ! Chez moi, on n'emploie pas ses pouvoirs pour alléger sa tâche de travail.
Elle se dirigea vers Eline et j'en profitai pour lever les yeux au ciel.
Vieux dragon.
- Comment ça s'est passé ce matin ? me demanda mon amie lorsque nous fûmes enfin seules.
- Pas trop mal. J'étais à ça de me faire attraper par Mike, mais je m'en suis sortie in extremis.
- Bien joué ! Ça fait combien de temps maintenant qu'il n'a pas réussi à te retrouver avant que tu ne reviennes au refuge ?
- Ça doit bien faire dix jours, je dirais.
Tout en papotant avec Eline, je tirai une chaise et m'assis à table, pris un économe et commençai ma corvée assignée par Moïra.
- Alors, Lazarus arrive ce soir ?
- Il paraît.
- Comment tu te sens ?
C'était une bonne question. J'étais excitée comme une puce encore cinq minutes plus tôt, mais j'avais désormais peur d'être déçue. De quoi ? Je ne savais pas. Je fis part de mes pensées à mon amie et celle-ci s'essuya les mains sur son tablier tout en s'approchant de la table. Elle tira alors une chaise dont la paille de l'assise était marquée par le temps et s'assit à mes côtés.
- Je suis loin d'être une spécialiste, mais je pense que ce que tu ressens est normal. Vous avez à peine eu le temps de découvrir que vous êtes de la même famille qu'il est reparti. Et en plus de ça tu viens d'apprendre ce qui est arrivé à tes vrais parents...
Elle s'interrompit et me sonda de ses grands yeux verts, peut-être mal à l'aise à l'idée d'avoir abordé un sujet délicat. Mais j'avais eu le temps de réfléchir à tout cela les dernières semaines et j'avais décidé d'accepter que je n'avais aucune emprise sur le passé. Se concentrer sur l'avenir était bien plus important.
Je pris une de ses mains dans les miennes et lui fis signe de continuer.
- Je veux dire, Lazarus est le seul membre de ta famille qu'il te reste et inversement. Il nous a expliqué que ses parents sont morts il y a longtemps et il n'a jamais eu d'enfant. Alors à mon avis, tu ne dois pas être la seule à être un peu inquiète à l'idée de vos retrouvailles.
Je considérais mon amie un instant. Eline avait toujours été une personne très à l'écoute et ouverte. Mais depuis quelque temps, je trouvais ses propos empreints de sagesse.
- Je n'y avais pas pensé, avouai-je, un peu honteuse.
- C'est quoi ça ? Vous pensez que le repas va se faire tout seul ?
Des ombres envahirent la pièce tandis que Moïra apparut dans l'encadrement de la porte. L'économe sur la table vibra doucement et les casseroles accrochées sur le mur s'entrechoquèrent dans une sombre cacophonie. Une peur indicible m'étreignit, sans que je ne sache vraiment pourquoi je ressentais un tel sentiment.
Aussitôt, Eline se releva, reprit sa place devant le plan de travail et poursuivit sa tâche consistant à couper les légumes. Pour ma part, j'attrapai l'économe qui continuait de trembler sous ma main et tentait tant bien que mal de commencer à éplucher les pommes de terre. Quelques secondes s'écoulèrent sans le moindre bruit, hormis ceux de mon éplucheur ou du couteau d'Eline.
- Je préfère ça.
Et alors que Moïra se dirigea vers ses casseroles fumantes, tout revint à la normale. Plus de vibrations ou de balancements, la lumière se fit plus vive et la température de la pièce sembla remonter de quelques degrés.
Voilà pourquoi ni Silver ni moi ne tentions d'outrepasser les consignes de Moïra et restions bien sagement dans nos chambres respectives chaque nuit. Nul doute que ceci n'était qu'un minuscule échantillon de ce dont elle était capable.
Nous passâmes ainsi le reste de l'après-midi, dans un silence presque religieux, à suivre les consignes du vieux dragon.
Vers dix-sept heures, Moïra nous annonça enfin qu'elle n'avait plus besoin de nous et que nous pouvions « la laisser tranquille ».
- À quelle heure passons-nous à table ? l'interrogea mon amie.
- Soyez là pour dix-neuf heures, mes jolies.
Nous refermâmes la porte de la cuisine derrière nous, et poussâmes un long soupir de soulagement. Nous nous regardâmes et un instant plus tard nous repartîmes, bras-dessus, bras-dessous, dans un grand fou rire.
- On a deux heures devant nous, on propose aux garçons d'aller boire un verre avant le repas ? suggéra Eline.
- Bonne idée, lui répondis-je. On se retrouve dans quinze minutes ? Je rêve d'une douche d'abord.
- Parfait !
Eline se dirigea vers un des salons où devaient se trouver les garçons, et j'allais dans notre chambre. Mes doigts étaient fourbus après avoir épluché autant de pommes de terre et mon corps courbaturé se rappela à quand je me déshabillai.
En me glissant sous l'eau chaude, une vague de bien être m'envahit et je laissai mes pensées vagabonder, tandis qu'une légère brume commença à se former dans la salle de bain.
Moïra n'était pas toujours des plus tendres et elle avait beaucoup de principes, mais je gardais en tête que nous avions pu trouver refuge chez elle et que nous étions sous sa protection. J'aurais aimé passer plus de temps avec Silver, notamment la nuit. C'était vraiment frustrant de devoir faire chambre à part alors que je venais de le retrouver après son enlèvement. Mais je n'avais pas envie de prendre le risque de fâcher Moïra et de nous faire virer de là-bas. Après les derniers évènements, j'avais bien trop conscience de notre chance de pouvoir vivre en toute sécurité dans ces lieux.
Depuis plusieurs décennies, Moïra avait érigé une forteresse invisible tout autour des murs du marché de Camden. Lorsqu'elle était arrivée d'Irlande avec son clan, ils étaient à la recherche d'un sanctuaire pouvant les protéger et où vivre en harmonie les uns avec les autres. L'idée lui était venue de se servir de l'énergie de tous les êtres, surnaturels ou pas, afin d'alimenter un champ de force qui empêcherait quiconque ayant un dessein malfaisant de passer outre les protections. Les années passant, de plus en plus de personnes s'étaient mises à fréquenter le marché dont la popularité ne cessait de monter : tout le monde, peu importe qui il était et d'où il venait, était le bienvenu. Par la même occasion, les défenses devinrent de plus en plus puissantes.
Mais c'était une grande amélioration vis-à-vis de la situation que nous vivions en étant enfermés dans le loft de Lazarus à New York, ou encore quand mes parents m'avaient séquestrée durant tant d'années.
En repensant à l'appartement de Lazarus, mes pensées filèrent vers Aaron.
Mon cœur se serra en repensant à lui. J'avais encore du mal à accepter le fait qu'il était mort.
Parfois, je m'attendais presque à l'entendre toquer à la porte de ma chambre pour me donner rendez-vous cinq minutes plus tard pour notre entraînement.
Mais ce n'était pas possible, car Aaron était mort en se sacrifiant pour Silver et moi. Il ne faisait plus partie de ce monde et son absence se faisait sentir un peu plus chaque jour. Je m'en voulais énormément, persuadée que sans moi, il serait encore vie. Si je n'avais pas pris ce risque idiot de sortir de l'appartement de Lazarus pour aller boire un café avec Eline, je n'aurais pas perdu le contrôle de mon nouveau pouvoir et Silver n'aurait pas été enlevé. Il n'y aurait pas eu besoin mettre en place cette mission suicide pour le sauver.
J'essuyai hâtivement les larmes qui commençaient à couler sur mes joues et décidai de sortir de la douche.
L'arrivée de Lazarus faisait remonter des souvenirs douloureux, mais je ne voulais pas me concentrer là-dessus, je voulais rester focalisée sur le positif et aller de l'avant.
Quelques minutes plus tard, en ouvrant la porte de ma chambre, j'aperçus Silver adossé à un mur, à m'attendre.
- Tout va bien ? me demanda-t-il en s'avançant doucement.
Je refermai la porte derrière moi et me blottis dans ses bras. C'était étrange, on aurait dit qu'il avait senti de loin que j'étais d'humeur morose.
- Tout va bien.
Silver passa sa main dans mes cheveux et cette simple caresse suffit à me détendre.
- On va rejoindre les autres ? Prendre l'air et boire un verre vont me faire du bien avant de revoir Lazarus.
Silver glissa ses doigts entre les miens et nous nous engageâmes dans le couloir pour rejoindre Eline et Mickaël.
Quand bien même j'avais dit que cela me ferait du bien d'aller boire un verre, j'étais une vraie boule de stress et j'avais beaucoup de mal à participer à la conversation. Ces dernières semaines, j'avais pu me concentrer sur autre chose et nous avions tous les quatre évités de trop parler d'Aaron ou de Lazarus. Ce n'était pas forcément une forme de déni de notre part. Plus un besoin de ne pas ressasser ce qui s'était passé et de se concentrer sur le positif.
Quoique, quand je voyais l'état dans lequel j'étais, je me fis la réflexion que j'avais peut-être été dans le déni jusque-là.
J'étais toujours plongée dans mes pensées, quand Silver se pencha pour m'embrasser et me pris la main afin de m'aider à me relever.
- C'est déjà l'heure d'y aller ?
- Si l'on ne veut pas que le vieux dragon ne nous fasse rôtir à la broche pour le diner, il vaut mieux, lança Mickaël en riant.
Une fois de retour dans le refuge de Moïra, nous nous rendîmes dans le salon principal et constatâmes que Lazarus était déjà présent, discutant avec notre hôte.
Je restai les bras ballants, plantée au milieu de la pièce et ce dernier se leva, pour s'approcher de moi.
- Bonjour, Mia.
Ses yeux marrons semblaient me sonder et je me rendis compte qu'Eline avait raison. Je ne devais pas être la seule à appréhender ces retrouvailles.
- Bonjour, Lazarus.
Que devais-je faire ? Devais-je le prendre dans mes bras ?
Je me balançai d'un pied à l'autre. C'est que nous devions avoir l'air idiot tous les deux, à ne pas savoir quoi faire. Pourtant, nous avions passé du temps ensemble après avoir découvert notre lien de parenté. Mais ces quelques semaines avaient suffi à instaurer une certaine gêne entre nous, comme si nous ne savions plus comment nous comporter l'un envers l'autre.
Puis, à ma plus grande surprise, Lazarus rompit la distance qui nous séparait et me serra dans ses bras.
- Je suis vraiment heureux de te revoir, Mia.
Je l'enlaçai à mon tour et pris une profonde respiration avant de lui répondre :
- Moi aussi.
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