Chapitre 19
Mia
J'avais été enlevée à mes amis depuis deux semaines. Où étais-je ? Je n'en avais pas la moindre idée. Et du peu de renseignements pris à droite à gauche, personne ne le savait. Tous les soirs, des gardes venaient surveiller la porte de ma chambre et je n'avais pas encore trouvé une solution pour m'éclipser sans me faire voir. Je tournais en rond, essayais de faire apparaître des téléphones, mais cela ne marchait pas. Il y avait deux solutions : soit je ne pouvais pas les faire fonctionner parce que je n'y connaissais rien en électricité. Soit il y avait quelque chose qui empêchait toute communication dans ce bâtiment, comme avec mon pouvoir de téléportation.
Mes amis me manquaient. Silver me manquait, plus que tout. Étaient-ils à ma recherche ? Arriveraient-ils à me retrouver ? Je ne savais plus si c'était possible.
En attendant, je m'efforçais de faire croire que je m'adaptais à cette vie en participant le plus possible à la vie de tous les jours. Aussi, chaque matin, je me levais à sept heures et allais prendre mon petit-déjeuner au réfectoire avec les filles.
Même si j'avais hâte de quitter cet endroit, je devais reconnaître que je commençais à m'attacher à Maddie et Jess. Grâce à elles, les journées passaient plus vite et pouvaient presque être agréables, si je n'étais pas retenue là-bas contre mon gré.
Après avoir mangé, nous allions en salle d'entraînement où je les aidais avec leurs exercices. Le pouvoir de Maddie était de faire apparaître un bouclier tout autour d'elle. Il empêchait tout et n'importe quoi de franchir ses remparts, objet ou magie. Connaissant son caractère timide et renfermé, son don lui allait comme un gant.
Jess m'avait appris, un jour où Maddie n'était pas avec nous, que la pauvre avait passé son enfance à être traînée de famille d'accueil en famille d'accueil. Elle n'avait jamais réussi à créer une attache avec l'une d'entre elles. D'où son caractère si effacé et son manque de confiance en elle.
La cuisinière m'avait expliqué que, pour sa part, elle avait vécu plusieurs années dans la rue et avait dû faire la manche pour survivre. Grâce à son don d'ubiquité, elle se séparait en deux, se postait à deux endroits différents puis cachait son visage pour ne pas être reconnue. Elle réussissait ainsi à se faire un peu plus d'argent chaque jour.
J'avais aussi fait la rencontre de Morty. C'était un garçon vraiment gentil, doux et prévenant. Il vivait auparavant en Australie, dans une famille aussi nombreuse que pauvre. Un jour, ses parents avaient reçu un courrier dans lequel les bons résultats scolaires de leur fils étaient loués. On lui permettait d'obtenir une bourse pour une école prestigieuse en Angleterre, un vrai miracle pour cette famille qui n'avait pas d'argent. Le voyage était bien évidemment gracieusement offert et ils n'avaient pas un sou à débourser. Soucieux du bien-être de leur enfant, sans vraiment lui demander son avis, ils l'avaient envoyé au loin, persuadé de lui faire le meilleur cadeau qu'il soit. En sortant de l'avion, des hommes en noir l'avaient accueilli et après être monté en voiture, il ne se souvenait plus de rien. Il s'était réveillé dans le centre, parmi tous les autres. Même si ce n'était pas l'école prestigieuse promise dans la lettre, Morty assurait être heureux :
« Comme ça, je peux aider d'autres personnes grâce à mon don. J'aime me sentir utile ».
Quant aux autres personnes présentes, beaucoup n'osaient pas m'approcher, pour je ne savais quelles raisons. J'avais essayé d'aller vers eux, en vain. Je ne perdais pas espoir que d'ici peu les gens cesseraient d'être impressionnés et se rendraient compte que je cherchais juste à faire la connaissance de tout le monde.
Après nous être entraînées toute la matinée, nous mangions à nouveau tous dans le réfectoire. Ensuite, chaque personne était assignée à une tâche. Jess était en cuisine, assistée de Maddie et j'avais finalement décidé de me joindre à elles. J'avais toujours aimé cuisiner et c'était accessoirement le moyen de passer un bon moment avec les filles.
- C'est fou, depuis ton arrivée ici, on ne me pique plus rien dans les cuisines. La dernière fois que quelque chose à disparu ici, il me semble que c'était quand on s'est rencontrées.
- Ils ont peur de mon terrible courroux ! On ne sait jamais, je pourrais les punir s'ils s'en prenaient à toi.
- Tu ferais ça ? s'enquit Maddie d'une toute petite voix.
- Mais non ! Tu t'en doutes bien, n'est-ce pas ?
Elle piqua aussitôt un fard et fixa ses chaussures. Loïse était en train de jouer par terre avec un bouchon. Elle lâcha son jouet pour grimper sur la jeune fille et lui faire un câlin. Malgré leur rencontre plus que chaotique, Maddie s'était habituée à la fouine et elles se faisaient désormais des cajoleries à longueur de temps.
- Tiens, Mia, ça te dirait de t'entraîner un peu sur ma sauce ?
Je souris à sa question et donnai un mouvement perpétuel à la spatule en bois afin de tourner son ragoût. Très vite, Jess avait essayé d'exploiter mes pouvoirs au maximum afin de se faciliter la tâche en cuisine. En apprenant pour ma maîtrise de la télékinésie, elle avait aussitôt voulu l'utiliser. Je n'avais jamais pensé à les utiliser ainsi.
- Aïe ! Non...
Maddie s'était coupée assez sérieusement avec un couteau de cuisine et du sang commençait à couler sur le sol.
- Oh non, non, non, non, non... marmonna-t-elle, complètement paniquée.
- T'en fais pas ma grande, ça va aller, la rassura Jess. Hey, la fouine, tu irais nous chercher Morty s'il te plait ? On va avoir besoin de lui.
Loïse se redressa sur ses petites pattes arrière et fit un salut militaire de la patte avant de s'en aller à toute allure.
Maddie tenait sa main tout contre elle et continuait de répéter des « non » en boucle, tout en se balançant d'un pied à l'autre.
- Mais ne panique pas comme ça Maddie ! Morty va te soigner ça en moins de deux.
- Mais je ne...
- Quoi ?
- Je ne...
- Mais encore ?
- Je...
- Plus ça va et moins tu en dis, on ne va pas s'en sortir comme ça, ma grande, ironisa Jess.
Les portes de la cuisine s'entrouvrirent et une petite boule de poils accourut comme une furie à l'intérieur de la pièce, suivie de près notre soigneur.
- Je passais dans le coin, quand j'ai cru comprendre qu'on avait besoin de mon aide ?
Lorsque ses yeux se posèrent sur Maddie et sa main ensanglantée, il parût très concerné et se rapprocha d'elle à une vitesse fulgurante.
- Mais t'as fait quoi ?
Délicatement, il prit sa main entre les siennes et fit agir le charme. Les gouttes de sang s'estompèrent et petit à petit, la peau se referma. Seul le carrelage, coloré de rouge, gardait le souvenir de l'incident.
- Tu sais, si tu as envie de me voir, pas besoin de te couper la main, il suffit de demander, fanfaronna Marty.
Maddie sembla si embarrassée, elle n'osait pas quitter le sol des yeux.
En un regard, Jess et moi réalisâmes la raison de la panique de Maddie quelques instants plus tôt : elle en pinçait pour le guérisseur. C'était certes un beau garçon et d'une gentillesse sans pareille. Je comprenais qu'elle se soit éprise de lui.
- Bon, les filles, je retourne à mes occupations, évitez de vous couper autre chose !
Une fois à nouveau seules, nous nous retournâmes vers Maddie. Celle-ci n'avait toujours pas relevé la tête et je ne pouvais m'empêcher de l'observer avec un sourire aux lèvres.
- Alors, quelque chose à nous dire ? s'amusa Jess.
- Comment ça ? À propos de quoi ?
- À propos d'un certain garçon qui vient de nous rendre visite, par exemple ?
Si elle avait pu se terrer dans un trou de souris, je crois que Maddie l'aurait fait.
- Je ne vois pas du tout ce que tu veux dire, murmura la jeune fille.
- Jess, arrête de l'embêter ! Et Maddie, si tu n'as pas envie d'en parler, tu n'es pas obligée.
- Mais ! On peut justement l'aider ! s'exclama Jess. Je suis sûre que Morty l'apprécie aussi !
- On ne fera rien sans son accord, et surtout, on va arrêter de parler d'elle comme si elle n'était pas là, entendu ? ris-je en retournant m'affairer à ma tâche.
- Merci, Mia.
Après le repas du soir, tout le monde pouvaitt s'occuper un peu comme il voulait, avant d'aller se coucher. En revanche, il y avait un couvre-feu à respecter. Généralement, les filles venaient dans ma chambre, celle-ci étant plus grande que la leur, et nous papotions de tout et de rien.
- Tiens, en parlant d'intérêt amoureux, commence Jess, as-tu une personne en tête, Mia ?
- On ne parlait pas du tout de ça, m'esclaffai-je devant le culot de la jeune fille.
- Oui bon, je saute du coq à l'âne. Donc ?
- Oui, j'en ai un.
- Il est beau ? Il est grand ? Il est fort ? Il s'appelle comment ? s'enthousiasma-t-elle.
- Oula, doucement Jess...
- Pardon, mais je suis bien trop curieuse de savoir à quoi il ressemble.
Je poussais un long soupir. Elle n'avait pas du tout l'air gênée.
- Il s'appelle Silver, il est le plus beau à mes yeux et c'est un vampire.
- UN VAMPIRE ?
Jess et Maddie m'observèrent avec de grands yeux. Il était évident qu'elles ne s'attendaient pas à cette réponse.
- Mais... ça se passe comment, vous avez un truc où il suce ton sang et vous vous sentez liés ?
Son interrogation eut le mérite de déclencher mon hilarité.
- Non, rien de tout ça. À vrai dire, j'ai tendance à oublier qu'il est un vampire. Je l'ai toujours vu boire du sang dans une bouteille ou un verre, jamais autrement.
- Oh, d'accord... et tu l'aimes ? Il t'aime ? Vous vous aimez ?
- Je l'aime plus que tout au monde. Et oui, il m'aime aussi.
Depuis mon départ du royaume des fées, c'était la première fois que je l'exprimais à voix haute et cela me faisait un bien fou. Nous nous aimions, c'était évident. Comment avais-je pu en douter ?
- Mais un vampire, ce n'est pas censé être immortel ? Comment vous allez faire quand tu seras une petite vieille toute fripée ? Un jour tu ne seras plus de ce monde...
- À vrai dire, je ne sais pas exactement comment ça marche, mais nos deux vies sont liées et tant que l'un est en vie, l'autre ne peut pas mourir.
Les deux filles me fixèrent avec de grands yeux éberlués, la bouche ouverte.
- Il y a quelques mois de ça, je ne sais toujours pas comment, mais j'ai réussi à unir nos deux âmes, liant par la même nos deux vies.
J'éludai volontairement son enlèvement. À chaque tentative de remettre en question le bien fondé de cet endroit, la « bonté » d'Aaron ou d'autres choses, Jess avait tendance à s'énerver. Et ce soir-là, je n'avais pas spécialement envie de me prendre la tête avec elle.
- Tu... tu peux faire ça ? m'interrogea Maddie.
- Apparemment.
Une sonnerie retentit alors, signifiant à tout le monde de retourner dans sa chambre avant la fin du couvre-feu.
*
Le lendemain matin, j'étais réveillée par un grondement tonitruant. Je me relevai aussitôt dans mon lit, les mains sur mes oreilles dans une tentative de diminuer le son. En regardant tout autour de moi, je ne vis rien pouvant justifier ce bruit assourdissant. Loïse était dans son hamac, en train de dormir, sûrement en train de ronfler comme à son habitude.
Je la fixai attentivement et remarquai soudainement que les mouvements de sa respiration coïncidaient avec ceux du tapage qui retentissait dans ma tête.
Prise d'un doute, j'attrapai un livre posé sur ma table de nuit et le lançai par terre. Un bruit sonore retentit alors, mais ma fouine dormait toujours à poings fermés. Au vu du volume, elle aurait dû être réveillée en sursaut, pourtant elle n'avait pas réagi. J'étais donc la seule à l'avoir entendu aussi fort.
La dernière fois, lorsque j'avais fait apparaître Loïse, j'avais ressenti une grande vague de chaleur et m'étais retrouvée presque au bord du malaise. Rien cette fois-ci. Mais le processus avait peut-être eu lieu durant mon sommeil ? Dans tous les cas, une chose était sûre : j'avais acquis un nouveau pouvoir, pour la deuxième fois depuis que j'étais dans ce centre. Ce qui signifiait aussi qu'il y avait déjà eu deux morts en quinze jours.
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