Chapitre 16

En traversant la salle pour trouver une place où m'asseoir, je sentis une fois de plus les regards se tourner sur mon passage. Tous les nouveaux arrivants faisaient-ils le même effet ? Quelque chose me dit que ça ne devait pas être le cas.

- Viens, Mia, on peut aller s'asseoir là-bas, m'interpella Jess.

Une fois assises parmi toute une foule de personnes - nous devions bien être une centaine rassemblés - la jeune cuisinière se retourna vers moi et me dévisagea.

- C'était quoi, ça ? finit-elle par me demander.

- Ça quoi ?

Je fis exprès de jouer à l'idiote. Je me doute bien, au vu du peu que j'avais entendu sur Aaron ici, qu'ils ne devaient pas avoir l'habitude de voir quelqu'un se comporter ainsi avec lui.

- Vous vous connaissiez déjà, non ?

Je détournai la tête pour fixer droit devant moi.

- Je ne connais pas cet Aaron-là, répondis-je.

Ce n'était pas vraiment un mensonge. Depuis que j'étais arrivée là-bas, celui qui fut un jour un ami pour moi n'était plus qu'un inconnu.

- On aurait pourtant dit qu'il te connaissait, continua-t-elle, renfrognée.

Une petite voix à notre gauche se fit soudainement entendre :

- Que veux-tu dire par « cet Aaron-là » ?

Je ne pus m'empêcher de ricaner en entendant la question de Maddie.

- Tu es perspicace, toi.

N'ayant pas vraiment envie de donner trop de détails sur la relation que j'avais avec Aaron, je choisis d'éluder le sujet :

- Quand est-ce que ça commence, alors ?

- Si elle est perspicace, c'est qu'il y a bien quelque chose entre vous deux ! Vous vous connaissez, c'est ça ? insista Jess.

- Écoute...commençai-je, gênée.

Mais avant que je ne puisse continuer ma phrase, je fus interrompue par la voix du sujet de notre conversation.

- Bonjour à tous ! J'aimerais vous remercier, encore une fois, de faire l'effort de vous rassembler ici chaque semaine avec moi.

Une salve d'applaudissements lui répondit. Je levai les yeux au ciel. On se serait cru au beau milieu d'une secte.

- Aujourd'hui, je suis tout particulièrement content, car j'aimerais vous présenter une personne qui compte beaucoup à mes yeux et qui, je suis sûr, saura se faire apprécier de tous.

J'hallucinai. Il ne comptait quand même m'exposer devant toutes ces personnes ? Dans un élan de panique, je décidai de changer mes traits afin qu'il ne me reconnaisse pas. Je n'avais aucune idée de qui j'avais pris l'apparence, j'avais juste senti la magie opérer.

- Mia, est-ce que tu peux venir auprès de moi, s'il te plait ?

Décidant d'imiter les autres, je fis mine de regarder autour de moi. Jess et Maddie sursautèrent et étouffèrent un cri lorsqu'elles découvrirent ma nouvelle apparence.

- Je pense qu'au vu des visages horrifiés de tes voisines, je sais où tu te trouves, Mia. S'il te plait, ne m'oblige pas à venir te chercher.

Tout en poussant un énorme soupir, je me levai de ma chaise et me dirigeai dans l'allée centrale pour rejoindre la « scène » sur laquelle se trouvait Aaron. Tout en marchant, je décidai de reprendre mon véritable aspect. Ce faisant, j'entendis de nombreux murmures sur mon chemin.

Elle a le même pouvoir qu'Aaron, chuchotaient les uns.

Est-ce l'enchanteresse dont il nous a parlé ? demandaient les autres.

Je sentais que je n'allais pas du tout aimer ce qui s'apprêtait à se passer. J'aurais mieux fait de rester dans ma chambre. Au moins, là-bas, je n'avais pas le sentiment d'être une bête de foire. Pourtant, si j'avais bien compris, toutes les personnes présentes étaient des êtres surnaturels, avec des pouvoirs. Pourquoi suscitais-je autant d'intérêt ?

Arrivée à ses côtés, j'adoptai une position défensive, les bras croisés sur ma poitrine. Loïse, qui était retournée dans la poche ventrale de mon pull, commença à s'agiter en sentant la présence d'Aaron, mais je lui intimai de se calmer en passant une main dedans pour la caresser.

- Je suis là, content ? grinçai-je ouvertement.

- Fut une époque où tu me faisais confiance. Pourquoi ne pas le faire maintenant ? regretta-t-il à voix basse.

- Fut une époque où tu ne m'aurais jamais enlevée pour m'amener dans le repère de l'homme qui a tué mes parents et qui veut faire de moi un rat de laboratoire. L'homme à cause de qui tu as failli mourir, cinglai-je en lui répondant également à voix basse.

Sentant sûrement lui aussi le poids du regard de toutes ces personnes qui nous observaient échanger à part, il tenta de reprendre bonne figure et se retourna vers son public avec un sourire.

- Je vous ai déjà parlé d'une personne que je connais et qui est l'enchanteresse la plus puissante qu'il m'ait été donné de voir. Je suis vraiment heureux de pouvoir aujourd'hui vous la présenter. J'aimerais que vous accueilliez chaleureusement Mia. Et si elle a besoin d'un coup de pouce pour s'acclimater ici, merci de l'aider.

- Je n'ai besoin de l'aide de personne, l'interrompis-je.

Me souvenant ensuite que si je voulais en apprendre plus sur les lieux, j'allais avoir besoin de m'attirer la sympathie des gens se trouvant dans ce centre, je pris sur moi pour leur sourire.

- Je veux dire par là, que je ne souhaite pas bénéficier d'un traitement de faveur de votre part, ne vous embêtez pas trop pour moi, je saurais vite m'acclimater à ce lieu, assurai-je avec un semblant de sourire.

Je ne voulais surtout pas me mettre qui que ce soit à dos. Mais plus encore, je ne voulais pas non plus avoir toujours quelqu'un dans les pattes. Si je voulais pouvoir me renseigner sur les lieux et pouvoir mener ma petite enquête, je devais pouvoir me déplacer librement.

Je me retournai vers Aaron et lui demande :

- Tu comptes m'exhiber encore longtemps, où je peux retourner m'asseoir ?

Son visage prit une expression peinée et il m'invita d'un signe de la main à aller retrouver ma place.

De retour sur ma chaise, je me renfrognai encore plus. Loïse ressortit de sa cachette et se lova sur mes genoux. Je la câlinai tout en gardant mon regard dans le vide. Je sentais le poids de celui des autres personnes présentes dans la salle et je détestais cette sensation. Je n'écoutai rien à ce que dit mon ex-ami, trop occupée à ressasser mes pensées et je n'avais pas envie de participer à cette mascarade.

J'avais remarqué que la plupart des gens présents était des jeunes allant de douze ou treize ans à la vingtaine. Je ne comprenais pas ce que Dominique tentait de faire dans ce centre. Essayait-il de monter une armée ? Et pourquoi Aaron restait-t-il là-bas ? Je ne saisissais pas ses motivations. Lui qui aidait jadis les êtres surnaturels en étant avocat, comment pouvait-il alors travailler pour cet homme, et pire encore, être son bras droit ? Après avoir été celui de Lazarus ? Je n'y comprenais plus rien.

- Mia, c'est fini, on peut y aller.

Je sortis de mes pensées et pris le temps d'observer Jess qui se tenait debout devant moi. Ses formes tout en rondeurs étaient étrangement mises en valeur par cet habit que tout le monde portait et ses cheveux étaient relevés en queue de cheval, dégageant son visage qui portait encore la trace de l'enfance.

Je me relevai et évitait de croiser le regard de ceux qui m'entouraient.

- Maddie, tu peux me raccompagner jusqu'à ma chambre ? Je ne suis pas sûre de retrouver mon chemin...

Cette dernière acquiesça vivement et je commençai à la suivre quand la cuisinière nous interpella.

- Je viens avec vous !

Je me hâtai de rejoindre l'ascenseur, n'ayant pas spécialement envie de me retrouver à nouveau face à Aaron. Trop de questions se bousculaient dans ma tête et j'étais fâchée de son comportement. Je ne le reconnaissais pas. C'était comme si on avait échangé l'homme que je connaissais pour un déséquilibré à la solde d'un autre psychopathe. Tandis que les portes se refermaient, je le vis se rapprocher, tentant d'arriver à temps pour s'insérer dans l'habitacle. Mais comme il était hors de question que je sois coincée là-dedans avec lui, j'utilisai mes pouvoirs pour accélérer le processus et le laisser en plan.

- C'est toi qui viens de faire ça ? hoqueta Jess.

- J'ai juste aidé les portes à se fermer un peu plus vite. Il n'y a rien de bien glorieux, maugréai-je.

- Non mais attends... tu m'as dit tout à l'heure que tu pouvais faire apparaitre ce que tu veux. Puis, je t'ai vu changer de visage dans la salle de rassemblement et maintenant tu peux aussi utiliser la télékinésie ? Je veux dire... tu peux maîtriser trois pouvoirs différents ? m'interrogea-t-elle, stupéfaite.

- Quatre. Je peux aussi me téléporter normalement, mais ici, pour je ne sais quelle raison, je ne peux pas utiliser ce pouvoir.

Techniquement, si la reine Enda avait vu juste et que mon premier pouvoir était bien de pouvoir collecter ceux dont les personnes venaient de mourir, cela en faisait même cinq. Non, six. Loïse marquait l'arrivée du sixième. Mais je préférais me taire sur ce sujet. J'étais assez persuadée qu'il était plus sage de ne pas trop en révéler sur moi tant que j'étais coincée là-bas.

- Quatre ? s'étrangla-t-elle.

Alors que je sortais de l'ascenseur avec Maddie, Jess reste en retrait, les bras ballants.

- Tu comptes remonter au quinzième, ou tu nous accompagnes ? lui demandai-je.

Elle se dépécha de nous rattraper et marcha en silence à côté de moi.

- Au fait. Une fois sur scène, la main d'Aaron n'avait plus rien, réalisai-je. Alors même que Loïse l'avait mordu quelques instants plus tôt. Comment a-t-il fait ?

- Oh, il a dû demander à Morty de le soigner. Il a le don de guérison.

- Morty ?

- Oui, tu ne peux pas le louper, il a la peau aussi noire que l'ébène et un accent australien pas toujours évident à comprendre, expliqua-t-elle en riant.

Quelques minutes plus tard, nous arrivâmes dans ma chambre. Loïse en profita pour sortir de mon pull et sauter sur sa cabane.

- Ouah. Tu as carrément refait la déco ! s'exclama Jess en observant le tout avec de grands yeux.

- Quitte à devoir rester ici, je n'avais pas envie que ce soit dans un lieu déprimant, répondis-je en haussant les épaules.

Je fis alors apparaître un gros pouf, bien moelleux, et me laissai tomber dedans.

- Vous voulez rester un peu ? m'enquis-je.

- Et bien, je vais devoir aller préparer le repas pour tout le monde. Et Maddie m'aide habituellement. Tu sais, ici, on a tous quelque chose à faire. On fait partie d'une communauté et chacun doit y mettre du sien.

Mais bien sûr. Quelle belle communauté ! Enfermés comme des rats de laboratoire, sans pouvoir en sortir.

- Pas de soucis.

Tandis qu'elles s'apprêtaient à sortir, je les interrogeai sur une dernière chose :

- Au fait, on est où ici ?

- Comment ça ?

- On est au quatorzième étage d'un bâtiment, soit. Mais où ? On est toujours à Londres ?

- À Londres ? s'exclama la jeune cuistot. Je ne sais pas du tout où on est, mais je ne pense pas qu'on soit dans la capitale anglaise.

- Et toi, Maddie, tu sais où l'on est ?

- Aucune idée, me répondit une toute petite voix.

- Mais comment êtes-vous arrivées ici, alors ?

Les deux jeunes filles se regardèrent sans dire un mot. Enfin, Jess rompit le silence :

- Honnêtement, je ne sais pas. La plupart d'entre nous se sont réveillés un jour en étant ici. On ne sait pas vraiment comment on est arrivé là.

- Et ça ne vous dérange pas ? Vous avez sûrement tous été enlevés et personne ne s'en inquiète ?

- Mia, je ne sais pas pourquoi tu poses autant de questions, mais tu devrais arrêter de te tourmenter autant. Nous sommes bien ici ! On prend soin de nous, on nous entraîne, on a un toit au-dessus de la tête, ce qui n'était pas le cas de la plupart d'entre nous auparavant.

- Mais on ne peut même pas sortir de ce bâtiment ! Vous êtes tous emprisonnés et personne ne réagit ! m'énervai-je.

- Bien sûr que si, on peut s'en aller ! Lorsque nous sommes assez entraînés, nous pouvons intégrer une nouvelle unité et rejoindre le monde extérieur !

Je ne sus pas quoi répondre. Visiblement, quoi que je dise, elle aurait toujours réponse à tout.

Quand elles furent toutes deux ressorties de ma chambre, agacée, je refermai les verrous à double tour et envoyai valser une chaise à travers la chambre avec mes pouvoirs.

Quelque chose ne tournait pas rond. Ils avaient tous l'air contents d'être enfermés et ne se souciaient guère de pouvoir retrouver leur liberté. J'étais d'ailleurs très sceptique quant à ce que m'avait expliqué Jess. J'étais persuadée que personne ne ressortait de ce centre vivant. J'avais acquis un nouveau pouvoir, Loïse en était la preuve vivante.

J'attendis quelques heures et lorsque j'étais sûre que tout le monde serait couché, j'entrepris de retourner faire un petit tour pour visiter les lieux à ma façon. Cependant, lorsque j'ouvris la porte, deux hommes, armés jusqu'aux dents, attendait dans le couloir.

- Vous avez besoin de quelque chose ? s'enquit l'un d'entre eux.

Je déglutis. Si je voulais être discrète et que personne ne se doute de quelque chose me concernant, je ne pouvais pas m'en débarrasser en les assommant. En revenant à eux, ils ne manqueraient pas de faire un compte rendu, j'en étais sûre.

- Non, tout va bien, répondis-je en refermant la porte.

Je retournai m'allonger sur mon lit et Loïse me sauta dessus. D'une main distraite, je la caressai, plongée dans mes pensées. J'allais devoir trouver des réponses autrement.


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