Chapitre 4

Après notre cours sur le cinéma, je me dirigeai vers la bibliothèque. Ou tout du moins, j'essayai de m'y rendre. Car pour être tout à fait franche, je ne savais pas du tout où j'allais, j'étais plus perdue qu'autre chose. Eline m'avait dit qu'elle me rejoindrait un peu plus tard, voulant déjà poser des questions à un professeur.

En déambulant dans les couloirs, j'eus encore ce sentiment d'être observée, mais quand je me retournai, il n'y avait personne, hormis un couple en train de se bécoter contre les casiers. Je ne pus m'empêcher de sourire en passant à leurs côtés et arrivai alors devant la porte de la librairie du campus.

Ces derniers mois sur la route, j'avais pas mal fréquenté des bibliothèques publiques, afin d'étancher ma soif de lecture et j'adorais ces lieux. Ces salles pleines de livres avaient un effet apaisant sur moi, comme si je me retrouvais dans une bulle me tenat en sécurité, loin de tous les problèmes que je pouvais avoir en dehors. Déjà toute petite, j'appréciais aller dans le bureau de ma mère et m'y enfermer afin de pouvoir lire tout ce qui me passait sous la main et me permettrait de m'échapper de mon quotidien pour oublier un peu... Ces univers crées de toutes pièces par l'imagination d'autres personnes m'avaient aidé, plus d'une fois, à échapper à la triste réalité de ma vie.

En poussant les portes, je me sentis submergée par les odeurs de vieux livres, du bois des étagères et des bureaux. J'avais toujours aimé ces senteurs, c'était un peu ma madeleine de Proust.

J'étais en train de feuilleter un livre, lorsque deux bras vinrent se poser autour de mes épaules, m'empêchant de m'échapper.

- Alors ma belle, qu'est-ce que tu fais toute seule dans ce coin perdu ?

Je sursautai d'abord puis levai les yeux au ciel. Encore lui... il était du genre persistant.

- , comme tu l'appelles, c'est une bibliothèque, rétorquai-je. Et crois-le ou non, mais il y a des gens qui viennent ici de leur propre chef et ne se sentent pas paumés pour le moins du monde. En revanche, toi, que fais-tu là ?

- Je t'ai vue entrer et j'ai eu envie de voir ce que tu venais y faire...

- Et à part venir lire un livre ou travailler, qu'aurais-je bien pu y faire, à ton avis ?

- Je ne sais pas. Mais maintenant que je suis là moi aussi, tu ne voudrais pas poser ton livre et passer ta pause de midi à faire quelque chose de plus sympa ? demanda-t-il en se penchant vers moi.

- Euh... Mathieu... bafouillai-je tout en essayant de me faufiler sous un de ses bras.

- Mattis. Tu pourrais faire un effort pour te souvenir de mon prénom, ajouta-t-il en faisant mine d'être blessé.

- Tu sais, j'ai un prénom, moi aussi, et ce n'est pas « ma belle », répondis-je, légèrement agacée.

- Touché. Mais c'est parce que tu es tellement belle, je suis sûr que ton prénom ne te rend pas justice.

- Eh bien, tu diras ça à mes parents, ce n'est pas comme si j'avais eu mon mot à dire quand ils l'ont choisi. Maintenant, puis-je m'en aller, s'il te plaît ? insistai-je.

- Pourquoi ? tu es pressée ? On pourrait prendre notre temps pour faire plus ample connaissance, tu ne crois pas ?

- Non, je ne crois pas. Peux-tu me laisser passer et me foutre la paix, s'il te plaît ? commençai-je à m'agacer.

- Wow, mais il ne faut pas t'énerver comme ça, ma belle, dit-il en me caressant l'épaule. Je te trouve bien tendue, tu sais, et je connais un super moyen de se détendre. Crois-moi, ça te ferait beaucoup de bien.

Je réprimai un frisson de dégout. Je détestais le contact de sa peau sur la mienne. De quel droit me touchait-il comme cela, sans me demander ? Je pris une grande inspiration et essayai de me ressaisir, je ne voulais pas faire de bêtise.

- Je pense surtout que si tu ne me laisses pas tranquille ça va finir par mal se passer pour toi, le prévins-je. Donc, laisse-moi et oublie-moi, s'il te plaît.

Tandis que je lui disais cela, Mattis se rapprocha et commença à rétrécir la distance entre nos deux bouches. Pas ça. Non. Je fermai les poings et respirai profondément pour essayer de me calmer. Je ne voulais pas perdre le contrôle parce qu'il était incapable de comprendre un non.

Pas ici. Pas contre quelqu'un.

- Dis donc, je crois qu'elle t'a demandé de lui foutre la paix.

Mattis et moi tournâmes tous les deux la tête vers la voix venant de s'exprimer. J'ouvris grand les yeux et ma mâchoire se décrocha presque quand je compris qui avait parlé. C'était lui. Il était apparu comme par magie et se tenait debout, à quelques mètres de nous.

- Mêle-toi de ce qui te regarde, toi, et laisse-nous tranquilles, lui intima Mattis.

- Non, non, ricana l'autre. Je crois que tu ne m'as pas vraiment compris. Il va falloir arrêter la branlette mec, ça rend sourd, on ne te l'a jamais dit ?

- Pardon ?

Mattis se détourna complètement et commença à se raidir. Je poussai un soupir de soulagement, au moins, il ne s'occupait plus de moi, j'allais pouvoir faire redescendre la pression.

- Tu insinues quoi, là ?

- Rien du tout, je me fous de ta gueule. Je veux dire : on est tous d'accord ici pour affirmer que la masturbation, il n'y a rien de tel. Tu n'es pas d'accord ? demanda-t-il en me regardant.

Je piquai un fard comme jamais. Je devais être en train de rêver, ce n'était pas possible. Dans quelle situation m'étais-je encore mise ? Son regard s'attarda quelques instants sur moi et ma respiration se fit plus rapide. Puis, il reporta son attention sur Mattis.

- Enfin bref, quoi qu'il en soit, on n'est pas là pour débattre sur les bienfaits du plaisir solitaire, on gardera ce sujet pour une autre fois. Le thème du jour c'est : le consentement. Si une fille me dit non, dois-je insister et l'agresser, ou puis-je utiliser les deux neurones se courant après dans ma tête pour réfléchir et la laisser tranquille ? Je te donne un indice : tu lui fous la paix. Donc maintenant, si tu ne veux pas que je t'arrache les couilles et que je te les fasse bouffer, tu vas la laisser partir et l'oublier.

- Wow, mais tu as un sérieux problème toi, essaya de se défendre Mattis.

- J'ai omis de préciser un truc, pardon. C'est tout de suite, pas dans quinze ans. DEPÊCHE-TOI ! rugit-il d'un coup.

Mattis s'écarta aussitôt de moi et s'en alla sans demander son reste. Je dus reconnaître que j'étais moi-même un peu effrayée. Je n'imaginais pas que notre première rencontre officielle se passerait dans de telles circonstances.

- Euh... Merci, bafouillai-je en restant le dos appuyé contre une étagère.

- C'est ça. Essaie de rester loin des problèmes dorénavant, me lança-t-il agacé.

Non, mais j'hallucinais. Avais-je foncé tête baissée dans un nid à problèmes ? Non, ce n'était pas voulu.

- Ce n'est pas comme si j'avais fait exprès, hein. Je suis juste venue dans la bibliothèque pour lire un peu. Ce n'est pas de ma faute si l'autre débile m'a suivie, rétorquai-je.

- Et bien la prochaine fois, fais exprès qu'il ne t'arrive rien. Je ne serai pas toujours là pour régler tes problèmes, enchaîna-t-il sur un ton blasé.

- Mais je ne t'ai rien demandé, moi ! On ne se connaît pas, je ne sais même pas comment tu t'appelles ! Alors c'est bien gentil de venir « me sauver » comme tu le fais comprendre, mais si c'est pour être aussi désagréable après, la prochaine fois sache que je peux très bien me débrouiller toute seule.

Sur ce, je le contournai en faisant bien attention à ne pas le toucher. Alors que j'allais sortir de la bibliothèque, je sentis une main attraper la mienne et me retenir en arrière. Je tournai la tête et levai le regard vers les yeux gris les plus magnétiques qu'il m'avait été donné de voir. Alors que, quelques instants plus tôt, j'avais l'impression d'être la plus grande source d'ennui possible à ses yeux, j'avais désormais le sentiment d'y voir une grande douceur s'y dessiner. Ce mec était lunatique. Non, schizophrène. Il y avait clairement plusieurs personnes dans sa tête.

- Silver.

Puis, il remit son armure de mec froid et indifférent et s'en alla sans un regard en arrière.

*

- Youhou, la Terre à la Lune ! Mia, tu m'écoutes ?

Silver.

J'aimais la façon dont son prénom roulait dans ma bouche, mais je ne savais pas quoi penser de ce type. Il soufflait le chaud et le froid en un temps record. Je ne saisissais pas ce qu'il y a avec lui. Je le connaissais à peine. Non, je ne le connaissais pas. Juste son prénom. Mais pourquoi étais-je aussi séduite par lui ? Parce que bon, . J'étais attirée par lui. Telle une abeille aimantée par les fleurs, mais il s'apparentait plus à une plante carnivore qu'une fleur.

Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais l'impression qu'il y avait quelque chose de dangereux en lui. de faire demi-tour, tant qu'il était encore temps. Et pourtant, une autre part en moi mourrait de curiosité à l'idée d'apprendre à le connaître.

- Yo, Mia, ma poule, va falloir redescendre sur terre, là !

Je sursautai sur ma chaise et renversai, au passage, mon verre d'eau gazeuse.

- Eh ben, dis donc, tu étais partie loin, toi ! rigola Eline. À qui tu pensais ?

- Mais, euh... pas du tout ! À rien, personne ! baragouinai-je.

- Ne me la fais pas à l'envers. Je suis une fille, je connais ce genre de regards perdus dans le vide tout en jouant avec sa fourchette dans son assiette, sans prêter attention à ce qu'on mange. Toi, tu pensais à un garçon !

- Non, pas du tout ! niai-je en rougissant.

Mince, étais-je si lisible ?

- Ou à une fille, pardon ! C'est vrai qu'on ne l'a pas encore évoqué ce sujet, mais sache que pour moi, l'amour est le plus important et je me fous complètement du sexe de l'autre personne.

- C'est gentil, et je vois que l'on est sur la même longueur d'onde, poursuivis-je en lui faisant un clin d'œil. Mais non, ce n'est pas une fille.

- Ha, ha ! Alors c'est bien un garçon ! fanfaronna-t-elle en brandissant son couvert en l'air.

- Mais pas du tout ! Je n'ai rien dit de tel !

- Allez, arrête de tourner autour du pot, c'est qui ? Il s'appelle comment ? Je le connais ?

Je me sentis coincée. Ça ne faisait pas longtemps qu'on se connaissait Eline et moi, mais j'avais déjà compris qu'avec elle ça ne servait à rien d'espérer qu'elle oublie et passe à autre chose.

- D'accord. Il y a ce garçon...

- Je le savais ! m'interrompit-elle en sautant sur place. Alors, dis-moi tout, je suis tout ouïe.

- Ne t'emballe pas ! rigolai-je. Je ne le connais même pas en fait. Je l'ai croisé une fois au ciné vendredi passé et une deuxième fois tout à l'heure à la bibliothèque. En fait, il m'a sortie d'une situation délicate en empêchant un mec vraiment lourd, ne voulant pas entendre qu'il ne m'intéressait pas et commençant à être légèrement trop entreprenant...

- Oh putain... mais c'était qui ce lourdingue ?

- Un certain Mattis.

- Ah oui. En effet, le gros lourdingue de service. Je ne pense pas qu'il soit méchant, mais il a du mal à comprendre le mot non et a tendance à un peu trop insister. Et du coup, ton preux chevalier, tu sais comment il s'appelle ?

- Silver.

- Sérieusement ? s'étonna-t-elle en écarquillant les yeux.

- Oui... pourquoi ?

- Silver ? Grand, châtain, athlétique, toujours un livre à la main, des yeux gris de dingue, on le surnomme aussi le prince des glaces, étant la personne la plus glaciale que je connaisse ?

- Qu'on surnomme ou que tu surnommes ? ripostai-je en rigolant.

- Là n'est pas la question, mademoiselle. Ce type est vraiment venu à ta rescousse ? Je veux dire, on ne l'entend jamais parler plus que ça. Il est complètement renfermé sur lui-même et la seule personne à qui je l'ai vu décrocher un sourire, c'est son frère.

- Il a un frère ? m'enquis-je avec curiosité.

- Là n'est toujours pas la question. Par contre, celle qu'on est en droit de se poser c'est : pourquoi a-t-il eu envie de venir te porter secours alors qu'il ne se mêle jamais des histoires des autres ?

- Eh bien, si tu as la réponse, tu me la donnes, parce que moi je n'en sais fichtre rien. Et puis, comment tu en sais autant sur lui, alors que tu es arrivée juste à la fin de l'année scolaire précédente ?

- J'ai des yeux et des oreilles partout, Mia ! Et j'ai vu des filles se prendre des râteaux à plusieurs reprises, c'était très drôle à voir, précisa-t-elle. Il n'a même pas levé les yeux de son livre pour les rembarrer.

Je fis une grimace de gêne. Je n'aurais pas aimé être à leur place. J'imaginais bien qu'il leur avait fallu du courage pour aller vers lui, il n'avait pas besoin de se montrer désagréable, juste parce qu'il était canon.

-Bon, si tu veux bien, je pense qu'il est largement l'heure pour nous de nous diriger vers notre prochain cours si l'on ne veut pas arriver en retard dès le premier jour, déclarai-je.

- Ouais, ouais... détourne la conversation ! Mais je ne te lâcherai pas avec ça ! me menaça-t-elle.

- Et j'y compte bien Eline, lui répondis-je avec un grand sourire. Sinon je serais très inquiète !

Et en éclatant de rire nous nous dirigeâmes vers la sortie du réfectoire pour nous rendre vers notre prochain cours.

Avant de passer les portes, je ne pus m'empêcher de faire volte-face et de chercher Silver des yeux. Assis à une table avec d'autres garçons qui avaient l'air en grande conversation, il avait le nez plongé dans un livre. Mais alors que je me retournai pour me diriger vers la sortie, j'aurais juré qu'il avait relevé la tête pour me regarder avec un sourire en coin.

Bon sang, ce garçon arrivait déjà à me faire tourner la tête alors qu'il ne s'était encore rien passé.

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