Chapitre 23

- Si je pouvais manger autant que toi en ce moment et rester aussi fine... se désola Eline.

Je lève la tête et la vit me fixer avec ses grands yeux verts. Je déglutis avant de lui répondre.

- Tu veux prendre ma place ? la provoquai-je.

- Sans façon ! Ça ira, merci, s'esclaffa-t-elle.

Tout en me resservant des pommes de terre, je me fis la réflexion que c'était la première fois que l'on se retrouve, seulement toutes les deux, depuis que nous étions arrivés dans l'appartement de Lazarus.

- Au fait, vous faites quoi de vos journées toi et Mike ? Je me rends compte que je passe soit mon temps à m'entraîner avec Aaron, soit à dormir et je te néglige un peu...

- Lui, je ne sais pas, il passe son temps enfermé dans sa chambre. Moi, je passe le mien entre Netflix et les mots croisés du New York Times, m'expliqua-t-elle. Et tu ne me négliges pas. Vous m'avez peut-être sauvé la vie en me prenant avec vous, j'en ai bien conscience. Alors, même si parfois, oui, les journées s'étirent longuement, je garde en mémoire que c'est grâce à vous que je peux encore avoir le luxe de m'ennuyer.

Je posai mes couverts et me levai pour aller la prendre dans mes bras.

- Je te promets que ce ne sera pas toujours comme ça. Un jour, on pourra sortir de cet appartement, toi et moi.

- Je sais ma poule, je sais, me répondit-elle en me rendant mon embrassade.

Je retournai m'asseoir à ma place et continuai de manger. Je savais qu'Eline plaisantait, mais il était vrai que je traversais une période où j'ingérais des quantités astronomiques de nourriture, sans prendre un seul gramme.

- Et du coup, c'est quoi cette histoire de baleine ? me relança-t-elle.

- De baleine ? répétai-je, perplexe.

- Tu es entrée dans l'appartement en disant que tu pourrais manger une baleine. Non pas que je ne t'en crois pas capable. En ce moment, rien ne m'étonne venant de toi. Mais est-ce qu'il y a une raison derrière le choix de ce cétacé ?

- Aaron a commencé à me faire travailler sur des enchantements plus compliqués aujourd'hui. Je voulais juste faire apparaître une fleur et à chaque fois c'était un arbre qui prenait vie à la place.

- Un arbre ? demanda Eline en manquant de s'étouffer. Mais... un vrai ? Pas un bonsaï ?

- Un vrai, dans toute sa splendeur, confirmai-je.

- Mais dis-moi, elle fait quelle taille cette salle d'entraînement ? hoqueta-t-elle.

Je haussai les épaules et tentai de rester le plus évasive possible. Lazarus et Aaron m'avaient tous les deux demandé d'en dire le moins possible à Eline. Elle n'avait que nous pour la protéger et toutes les informations qu'on lui donnait pouvaient la mettre en danger.

- Tu sais, je n'ai jamais eu l'œil pour mesurer les choses... C'est une salle avec assez de place pour s'entraîner.

Eline m'observa d'un œil circonspect. Elle était intelligente, elle savait que je ne lui disais pas tout. Mais comme, justement, elle était intelligente, elle ne cherchait pas à en savoir plus.

- Et donc, tu me disais que Mickaël passe son temps enfermé dans sa chambre ? la relançai-je l'air de rien.

- En effet, me répondit Eline.

- Vous ne passez jamais de temps ensemble ? insistai-je.

- Il ne vaut mieux pas.

- Comment ça ? me stupéfai-je.

- Dès qu'il sort de sa chambre et passe dans le salon, c'est pour critiquer mes goûts cinématographiques ou alors pour se moquer de ma passion pour les mots croisés. Alors, crois-moi, moins je le vois, mieux je me porte.

Je secouai la tête tout en l'écoutant. J'aurais cru qu'en se retrouvant enfermés tous les deux dans un appartement, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec pas grand-chose à faire, ils se seraient rapprochés. Mais apparemment, ils étaient tout aussi têtus l'un que l'autre.

- Au fait, Mia, tu sais quel jour on est aujourd'hui ?

- Très franchement, j'ai perdu la notion des jours, je ne suis même pas sûre de savoir depuis combien de temps on est chez Lazarus.

- On est le trente-et-un, claironna-t-elle.

- Décembre ? m'étonnai-je.

- Oui, patate ! Le trente-et-un décembre. Et étant donné que l'on n'a pas pu fêter Noël à cause des hommes en noir...

- Les hommes en noir ? l'interrompis-je en riant.

- Écoute, il faut bien leur trouver un nom et c'est tout ce que j'ai trouvé. Maintenant, si je peux finir ce que j'étais en train de dire : nous sommes le trente-et-un décembre et on n'a pas pu fêter Noël la semaine passée. Je pense que ça nous ferait beaucoup de bien, à tous, de fêter le Nouvel An en mangeant quelque chose de spécial, en buvant un peu d'alcool et en riant beaucoup.

- Tu sais quoi, Eline ? Heureusement que tu es là. Sans toi, on oublierait vite de continuer à vivre normalement. Je pense que c'est une excellente idée. Mais il faut absolument que j'aille dormir un peu. Autrement, je ne tiendrai jamais toute la soirée.

- Va dormir ! Je m'occupe de débarrasser la table, me répondit Eline avec un sourire extatique. Et je m'occupe de tout pour ce soir !

*

- Debout, ma petite marmotte.

J'ouvris les yeux et tombai sur le beau regard gris de Silver.

- J'ai dormi longtemps ? m'enquis-je.

- Quelque chose comme cinq heures ?

- Ah oui, quand même...

Je m'étirai furtivement et m'assis sur le lit. Je remarquai alors un paquet posé sur les couvertures.

- C'est quoi ? demandai-je à Silver en pointant du doigt ledit paquet.

- Aucune idée. Eline m'a demandé de te donner ça en me disant que ça te servirait pour ce soir.

Je haussai un sourcil tout en prenant le paquet dans mes mains. Je me demandai ce que ça pouvait bien être. La meilleure solution, pour le savoir, restait encore de l'ouvrir. Alors que je déchirai le papier, je découvris un voilage dans une belle couleur bordeaux. Je pris le tissu entre mes mains et me rendis compte que c'était en fait une robe.

- Mais... pourquoi ? Comment ? m'interloquai-je.

- Ça, tu lui demanderas toi-même, je ne suis que le messager, me répondit Silver en riant.

Je me levai d'un bond et filai prendre une douche en vitesse. Quinze minutes plus tard, je ressortis de la chambre, habillée de ma nouvelle robe.

- Je savais qu'elle t'irait à merveille ! Tu es sublime, Mia.

Eline se jeta sur moi, une paire de chaussures à la main.

- Enfile ça, m'ordonna-t-elle.

- Mais Eline, comment as-tu pu m'avoir une nouvelle robe, ainsi que les chaussures qui vont avec ?

- Internet, ma poule, internet, sourit-elle.

- Oui, mais même sur internet il faut de l'argent, fis-je remarquer.

- J'ai demandé à Aaron de me prêter sa carte, expliqua-t-elle.

- Quoi ?! Mais tu n'as pas osé quand même ? m'esclaffai-je.

- Écoute, on est coincés dans cet appartement pour je ne sais combien de temps. Tu t'entraînes comme une dingue et on n'a déjà pas pu célébrer Noël comme prévu. En plus de ça, on est partis d'une façon tellement précipitée qu'on n'avait pas une seule fringue avec nous. Alors, c'est bien sympathique de laver nos vêtements tous les jours, mais je pense qu'on a le droit d'avoir plus d'un pantalon et un tee-shirt. Déjà qu'on est enfermés dans cet appartement jusqu'à nouvel ordre, qu'au moins on puisse éviter une dépression vestimentaire. Donc, il y a quelques jours, j'ai demandé à Aaron s'il y avait un moyen de pouvoir faire quelques achats sur internet et de se faire livrer une nouvelle garde-robe et il m'a proposé de me servir de sa carte.

- Garde-robe ? Carrément ? me sidérai-je.

- Juste quelques fringues, ne t'inquiète pas. Mais au moins de quoi se faire un peu plaisir. Je t'ai pris quelques pantalons, des pulls, des tee-shirts... la base pour survivre quoi.

- Ainsi que cette robe et ces chaussures, complétai-je en souriant.

- Et j'ai bien fait ! Tu es tellement belle dedans, Mia. Maintenant, viens, allons dans le salon, les frangins nous attendent.

Je la suivis et tandis que je marchai derrière elle, je remarquai la robe qu'elle s'est achetée pour ce soir : plutôt courte, les épaules dénudées et toute en paillettes noires.

- Dis donc, Eline, tu es sublime dans cette robe.

Eline se retourna vers moi et me lança un sourire triomphant.

- J'y compte bien.

En entrant dans la pièce, les garçons, qui étaient en pleine conversation, s'interrompirent aussitôt.

Silver se dirigea vers moi et m'embrassa tendrement sur les lèvres avant de se tourner vers mon amie.

- C'était une très bonne idée, Eline. Merci d'avoir organisé tout ça et d'avoir pensé à rendre Mia encore plus belle que d'habitude.

- C'est un plaisir ! Si seulement tout le monde était aussi enthousiaste que toi, ironisa-t-elle.

- Mais je suis enthousiaste ! me justifiai-je aussitôt.

- Je ne parlais pas de toi, Mia, me répond Eline avec un sourire crispé.

Je me tourne alors vers Mickaël et le vis lever les yeux au ciel. Décidément, je n'étais pas tout à fait sûre de les comprendre ces deux-là. Ils étaient passés de meilleurs amis fusionnels, à se prendre le bec ou à s'ignorer à longueur de journée.

En me dirigeant vers la salle à manger, je pus voir qu'il y avait plusieurs plats qui jonchaient la table.

- Mais Eline, tu es folle, il y a beaucoup trop à manger... m'ébahis-je. C'est toi qui as cuisiné tout ça ?

- Absolument pas, j'ai commandé chez un traiteur.

- Avec la carte d'Aaron, encore ? lui demandai-je, sceptique.

- Exactement. Il m'a dit de m'en servir autant que j'en avais besoin, alors j'obéis. Et enlève cette moue circonspecte de ton visage. Je peux t'assurer qu'il n'est pas dans le besoin et que s'il me prête sa carte bancaire comme ça, c'est qu'il peut largement se le permettre.

- Et tu en sais quoi ? Il t'a donné la fiche de ses revenus peut-être ? lui demanda Mickaël en entrant dans la salle à manger.

- Non, Monsieur. Par contre, la voiture dans laquelle il arrive chaque matin, conduite par un chauffeur, m'indique qu'il gagne plutôt bien sa vie.

J'ouvris de grands yeux et ne pus m'empêcher de rire en entendant les paroles de mon amie.

- Je n'aime pas profiter des gens comme ça... Je suis un peu mal à l'aise, avouai-je.

- Tu ne profites pas de qui que ce soit. Déjà qu'on est enfermés dans cet appartement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, on ne va pas non plus s'obliger à manger du pain sec et de l'eau ? Allez, pose tes fesses sur une chaise et dînons. Je suis sûre que tu dois être affamée.

Eline avait raison, mon ventre gargouilla juste à la vue de tous ces plats. Je m'assis et commençai à me servir pendant que les garçons se versèrent du sang dans des verres pour nous accompagner pendant notre repas. À la première bouchée, je ne pus retenir un gémissement.

- Mon Dieu, Eline, c'est délicieux. Je retire ce que j'ai dit. Profitons d'Aaron si cela nous permet de pouvoir manger quelque chose d'aussi bon, plaisantai-je.

Eline explosa de rire, vite suivie de Silver et Mickaël.

- Je savais que ton ventre te ramènerait à la raison.

À la fin du repas, Silver se leva de table et se dirige vers moi. Il m'aide à me mettre debout et me fit signe de le suivre.

- On va où ?

- Tu verras, me répondit-il avec un sourire énigmatique.

Nous sortîmes de l'appartement, et je me laissai guider dans les couloirs de l'immeuble. Silver poussa une porte qui donnait sur des escaliers qui montaient vers je ne savais où et commença à les grimper, sans jamais me lâcher la main. Une fois en haut, il en poussa une autre et me fit passer devant lui.

Voilà que nous étions sur le toit de l'immeuble.

Silver bloqua l'entrée avec une brique pour l'empêcher de se refermer derrière nous puis m'emmena vers un canapé sur lequel étaient posées des couvertures.

- D'où vient ce canapé ?

Pour toute réponse, Silver hausse des épaules et me ramena tout contre lui. Il sortit son téléphone, mit de la musique en route, glissa l'appareil dans sa poche arrière, puis m'entraîna dans un slow avec lui.

- On danse, maintenant ? lui demandai-je, amusée.

- On danse, affirma-t-il.

Je calai ma tête contre son torse et le laissai me guider sur la musique.

- Merci, Silver, chuchotai-je.

- Pour quoi ?

- Pour tout.

Sa main releva visage et je me retrouvai hypnotisée par les beaux yeux gris de mon vampire.

- Il va falloir que tu arrêtes de me remercier Mia, me dit-il avec un doux sourire dans les yeux. Je t'aime et il n'y a rien que je ne ferais pour toi. En l'occurrence, ce soir, je t'ai emmenée au premier rang pour assister aux feux d'artifice de la nouvelle année.

Je dus avoir des étoiles qui brillaient dans les yeux.

- Des feux d'artifice ? Pour de vrai ?

- Oui, me répondit-il en déposant un baiser sur mes lèvres.

Il se détacha de moi et nous nous dirigeâmes vers le canapé. Une fois assise dedans, il m'emmitoufla dans les couvertures et s'installa à côté de moi en me prenant dans ses bras. Je laissai ma tête reposer contre lui et poussai un soupir d'aise.

- Est-ce que ça te fait quelque chose de voir passer une nouvelle année ?

- C'est à dire ?

- Tu as toujours cette petite excitation de te dire qu'une année de plus s'est écoulée, en te demandant ce que la nouvelle va bien pouvoir t'apporter ? Où au contraire, tu es complètement blasé ?

Silver ricana doucement et passa une main dans mes cheveux.

- Non, je ne dirais pas que je suis blasé. Mais je ne peux pas dire non plus que je ressente encore cette excitation dont tu parles. Après tout, j'ai quatre-vingt-sept ans. Est-ce qu'une vieille personne ressent encore quelque chose au moment de changer d'année ? Peut-être de la mélancolie. Une forme de nostalgie en repensant à toutes ces années écoulées. Mais je pense que, contrairement à une personne âgée, je n'ai pas cette appréhension de la mort qui arrive à grands pas. Pour le commun des mortels, quatre-vingt-sept ans, c'est déjà pas mal. Mais pour un vampire, je ne suis qu'un bébé.

Alors qu'il finit sa phrase, les premiers feux d'artifice explosèrent sous nos yeux. Je frissonnai tandis qu'une légère brise souffla et Silver resserra son étreinte sur moi.

- Je t'aime, murmura-t-il en déposant un baiser sur ma tête. Plus que tout au monde. Et pour toujours.

Je me lovai un peu plus dans ses bras et je regardai, ébahie, le spectacle lumineux se déroulant sous mes yeux.

*

Le lendemain midi, après avoir passé la matinée à m'entraîner avec Aaron, nous remontâmes, Silver et moi, dans l'appartement.

En ouvrant la porte, nous entendîmes de grands éclats de rire provenant du salon. Je dévisageai Silver qui eut l'air tout aussi étonné que moi. Nous nous avançâmes un peu plus dans l'appartement et trouvâmes Eline et Mickaël, assis l'un à côté de l'autre sur le canapé, en train de regarder une émission à la télévision.

- Vous avez l'air de bonne humeur, dis donc. Vous ne nous avez pas habitués à ça ces dernières semaines, leur fit remarquer Silver.

Les deux compères se retournèrent et en voyant nos visages interrogatifs, éclatèrent de rire.

- Disons qu'on a réglé notre petit problème, répondit Eline avec un sourire.

- C'est-à-dire ? demandai-je en ayant l'impression de marcher sur des œufs.

- C'est-à-dire qu'une chose en entrainant une autre, on a fini par s'embrasser hier soir, pendant que vous étiez en train de jouer au petit couple amoureux sur le toit... commença Mickaël.

- Et qu'il s'est avéré, que s'embrasser, c'est bien trop bizarre, continua Eline en riant.

J'ouvris grand les yeux et j'aurais pu jurer que ma mâchoire allait se décrocher.

- Comment ça ? Je ne vous suis plus là.

- Je ne sais pas, j'avais envie de rire tout du long. Impossible de prendre ce baiser au sérieux.

Je restai les bras ballants en entendant la déclaration d'Eline.

Silver se laissa tomber sur un fauteuil et attrapa un magazine posé sur la table basse.

- Si ça veut dire que vous allez enfin arrêter de vous prendre la tête pour un rien et à tout bout de champ, ça me va très bien, déclara-t-il.

- Mais enfin... bégayai-je.

- Mia, ma poule, arrête de vouloir tout comprendre. On ne comprend pas forcément, nous non plus. Mais c'est comme ça. Et au moins, on peut redevenir les meilleurs potes du monde.

- Les meilleurs potes qui se seront roulé une pelle, je te rappelle, lui lança Mickaël.

- Ça va, tu n'en es pas mort, à ce que je sache ?

- Et toi ?

Ils partirent alors dans un grand fou rire.

Décidément, je ne savais pas si c'était parce que j'avais passé autant d'années enfermée, mais je ne comprenais pas toujours la complexité de la psychologie humaine.


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