Chapitre 2
Quelques jours plus tard, alors que je prenais tout juste mes marques dans cette nouvelle ville, je décidais d'aller me perdre dans les ruelles.
Je finis par passer devant un petit cinéma et ne pus m'empêcher de m'arrêter et de fixer la devanture. Apparemment, c'était un complexe qui projetait de vieux films. Ils avaient mis à l'affiche L'Homme qui en savait trop de Hitchcock. À moins qu'ils n'aient pas changé les panneaux depuis une sacrée paire d'années... Je laissais errer mes yeux sur la façade dont la peinture s'écaillait de part et d'autre quand soudain, mon regard tomba sur une petite pancarte, placardée sur un mur.
« Cherche une personne pour travailler deux soirs par semaine. S'adresser à l'accueil pour plus d'informations ».
Je poussai la porte d'entrée et le temps que mes yeux s'acclimatent à l'obscurité, je pus constater que l'intérieur n'était pas immense, mais plein de charme.
Assise derrière un comptoir, une vieille femme était en train de lire le journal. On l'aurait cru tout droit sortie d'un film avec sa robe bariolée de toutes les couleurs, ses cheveux roses ramenés en chignons et ses grosses lunettes de vue bleues. Elle n'avait pas l'air très grande, mais elle avait un port de tête et une façon de se tenir très droite laissant supposer qu'elle était quelqu'un d'important. En m'entendant m'approcher, elle leva les yeux et me dit :
- C'est cinq dollars le ticket pour la séance, ma jolie.
- En fait, j'ai vu votre annonce sur la porte d'entrée. J'arrive tout juste en ville et je cherche un travail, expliquai-je en triturant mes doigts.
Tout en mâchant un chewing-gum, elle me regarda quelques instants avant de me répondre :
-Que penses-tu du film Avatar ?
- Et bien... Techniquement, James Cameron a fait de sacrées prouesses, mais le scénario tient sur un post-it : racontons l'histoire de Pocahontas. Pour un film qui a mis plus de dix ans à se faire, je considère qu'il aurait pu passer un peu plus de temps à réfléchir à une trame.
- D'accord ma petite, je t'engage, déclara-t-elle avec un sourire en coin.
- Comme ça ? Je ne vous ai même pas montré un CV ou autre... m'étonnai-je.
- Tu me plais, je n'ai pas besoin d'en savoir plus. Tu peux commencer vendredi soir ?
- Oui, sans souci, assurai-je aussitôt.
Je n'en revenais pas. Était-ce toujours aussi facile de trouver un appartement et un travail ? Jusque-là, j'avais toujours su me débrouiller pour avoir un petit boulot, sans regarder plus que ça sur les conditions, tant que j'étais payée. Mais ce jour-là, je me fis la réflexion que j'avais quand même beaucoup de chance.
Une fois , je rangeai mes courses, me cuisinai quelque chose que j'avalai en vitesse, puis me glissai dans mon nouveau lit.
Tout en observant le plafond, je me fis la réflexion que j'allais devoir me rendre à l'université pour valider mon admission. Heureusement, j'avais pu obtenir cette bourse en trafiquant les papiers du dossier d'inscription. C'était mal, mais je n'aurais jamais pu faire autrement. J'avais hâte de pouvoir commencer cette nouvelle vie. Une histoire à moi, que personne ne pourrait essayer de régenter à ma place. Les derniers mois sur la route m'avaient endurcie, je n'étais déjà plus la Mia que j'étais lors de ma fugue.
Même si j'avais parfois eu des doutes en cours de chemin, je savais, au fond de moi, que j'avais pris la bonne décision en m'enfuyant de chez mes parents. Je n'aurais pas pu rester un jour de plus enfermée là-bas, à ne pas vivre ma vie, obligée de cacher celle que j'étais au quotidien.
Étrangement, quelque chose me dit que j'étais arrivée à l'endroit adéquat et que tout allait bien se passer. J'espérais pouvoir me fier à mon instinct.
Le sommeil finit par m'emporter et je me répétai en boucle que tout allait bien, je pouvais souffler dorénavant.
*
J'étais arrivée depuis maintenant deux semaines dans ma nouvelle ville. J'avais eu le temps de finaliser mon inscription à l'université et de choisir mes matières. J'étais ravie d'avoir pu obtenir l'option cinéma dans mon cursus scolaire, n'étant pas certaine de pouvoir l'intégrer. J'avais vraiment hâte que les cours commencent, mais en attendant, je profitais de mon nouveau quotidien et je continuais de prendre mes marques.
Si au premier abord, je pensais que le cinéma dans lequel je travaillais serait désert, il s'était avéré que de nombreux étudiants venaient parfaire leurs connaissances cinématographiques. Pas étonnant, étant donné que la faculté proposait une classe dédiée au 7ème art.
- Mia, cheval tacheté en neuf lettres ?
- Appaloosa !
Nous étions deux à travailler au cinéma. Eline était ma collègue et j'avais eu énormément de chance de tomber sur elle. Grande brune, élancée, avec des yeux de chat verts et qui vouait un amour inconditionnel aux mots croisés. On s'était tout de suite bien entendues et malgré mes difficultés à me lier avec d'autres personnes, elle avait su très vite se frayer une place dans ma vie.
De plus, nous allions étudier dans la même université et nous avions des cours en commun. Elle était arrivée en ville à la fin de l'année scolaire précédente, avait suivi quelques cours et apprit à connaître plusieurs étudiants mais ne s'était pas liée plus que ça avec eux. J'étais plutôt rassurée de savoir que je ne serai pas toute seule à la rentrée. Je n'étais pas une personne qui avait besoin d'être entourée d'amis. J'avais grandi sans jamais en avoir. Mais cette nouvelle amitié était rafraîchissante. Eline était une véritable bouffée d'oxygène et j'appréciais sa compagnie au quotidien.
- Au fait, Mia, tu as prévu quoi après le travail ce soir ?
- Je rentre chez moi ? demandai-je en appréhendant sa riposte.
- Mauvaise réponse, tu viens avec moi ! s'exclama-t-elle en sautant sur place.
- Mais je n'ai pas pris de tenue de rechange ! répliquai-je en riant. Je suis venue directement avec mon uniforme du travail.
- Ce n'est pas grave, j'habite juste à côté. On passe chez moi, on saute sous la douche rapidement, je te prête une robe et on sort.
- Je ne sais pas trop... J'avais prévu de rentrer chez moi ce soir.
Je n'osais pas trop le lui avouer, mais l'idée d'aller boire un verre, dans un bar, ne m'attirait pas vraiment. Je n'avais pas réellement l'habitude de ce genre de soirée et je préférais mille fois plus rester chez moi.
- Pour quoi faire ? Pour lire sur ton canapé, toute seule, avec une tisane de mamie ?
- Si je dis oui, je passe pour une pauvre fille pathétique ? demandai-je en faisant la moue.
- Tu sais qu'il y a une solution pour ne pas passer pour une pauvre fille pathétique : ce soir, toi et moi, on va prendre l'air.
- Bon, d'accord, abdiquai-je en rigolant. Je t'accompagne.
- Bravo, ça, c'est une bonne décision !
Je ris en levant les yeux au ciel et me dirigeai vers la caisse pour prendre mon poste. Pas besoin d'expliquer plus en longueur comment Eline avait fait pour se frayer une place dans ma vie. Quand elle avait une idée en tête, elle ne lâchait pas, jusqu'à ce que son interlocuteur cède. Je l'avais vue faire de même avec certains clients...
En m'installant derrière mon guichet, je levai la tête et remarquai plus de monde que d'habitude. La rentrée universitaire étant prévue quelques jours plus tard, les étudiants étaient tous revenus de vacances.
J'étais en train de rendre la monnaie à un couple trop mignon de personnes âgées, lorsque mon regard tomba sur un jeune homme se trouvant vers le milieu de la file d'attente.
Je ne l'avais jamais vu de ma vie, et on aurait dit que mes yeux avaient décidé de rattraper tout ce temps perdu car je n'arrivais plus à regarder ailleurs. Il était grand, des épaules carrées, des cheveux châtains retombant sur son front. Il lisait un livre en le tenant nonchalamment d'une main, pendant que l'autre vint remettre sa chevelure en place. C'était un geste anodin, mais j'aurais aimé pouvoir faire ça, moi aussi. Ça devait être merveilleux, j'en étais sûre.
Qu'est-ce que j'étais en train de dire ? Depuis quand je fantasmais sur ce genre de détail ?
J'eus à peine le temps de formuler ma pensée qu'il releva la tête et je pus ressentir de loin toute son impatience. J'étais en train de délirer, on aurait dit qu'il me savait occupée à l'observer...
- Youhou, il y a quelqu'un là-dedans ? Il va falloir redescendre sur Terre, ma belle.
Ou alors, c'était tout simplement parce que ça faisait je ne savais combien de temps que j'étais perdue dans mes pensées. Je tournai la tête pour m'adresser au client qui se tenait devant moi.
- Oh pardon, je suis désolée. C'est pour deux personnes, c'est ça ? essayai-je de me rattraper.
- Dis donc, ma belle, je ne savais pas que tu travaillais ici. Je serais venu plus tôt sinon.
Je sortis soudainement de ma torpeur. Ce surnom. Je me serais bien passé de retomber sur ce mec...
- Ça t'arrive souvent de draguer d'autres filles quand t'as un rencard ?
Vu le regard assassin que me lança la jeune fille à côté de... comment déjà ? Mathieu ? Mathias ? Bref, vu les éclairs qu'elle me lançait, j'avais l'impression qu'elle était d'accord avec moi : draguer une autre fille alors qu'on avait un rencard, ça ne passait pas.
- Mattis, le film va bientôt commencer... On prend les places et on y va ? C'est déjà assez pénible comme ça de devoir se taper un vieux film, si on pouvait se dépêcher d'entrer dans la salle, ce serait bien.
Ah oui, ça me revenait : Mattis ! Quel crétin ce type tout de même. Et la fille lui tenant compagnie ne m'avait pas l'air des plus sympathiques non plus.
- Ouais, ouais... Alors deux billets pour le film de ce soir s'il te plaît, ma belle, me demanda Mattis sans prêter plus d'attention à son rencard.
Mais quel ringard ce mec !
Après avoir tendu les deux tickets à Mattis, je me sentis nerveuse. Je ne savais pas pourquoi, mais mon cœur battait de plus en plus vite, et tout au fond de moi j'avais l'impression que quelque chose de très important allait m'arriver. Puis, après m'être occupée de plusieurs clients, ce fut à son tour.
Il s'approcha sans relever le nez de son livre et sortit un billet de sa poche pour payer sa place. Quand je tendis la main pour lui donner son ticket, nos doigts se frôlèrent et le noir se fit. Je paniquai d'abord, puis, lorsque mes yeux s'habituèrent à la pénombre, je réalisai être dans une salle de cinéma. Nous étions juste tous les deux, personne d'autre.
J'étais clouée sur mon fauteuil, si bien que même si j'avais eu envie de me lever et de partir, je n'aurais pas pu. L'inconnu se rapprocha de moi, se pencha au niveau de ma nuque et me huma. Oui, c'était bizarre dit comme cela, mais ce fut vraiment ce qu'il fit. Il me sentit. Lentement. Profondément. Et je trouvai cela terriblement érotique. Une vague de chaleur me saisit et j'eus l'impression que j'allais imploser d'une seconde à l'autre.
Quand il posa ses doigts sur moi, un long frisson me parcourut le corps. Son contact était glacial. Mais je me sentis tellement brûlante de désir de mon côté que ça ne m'étonna pas plus que ça. Ils remontèrent le long de mon bras, caressèrent mon épaule, descendirent sur ma clavicule et vinrent se promener sur le haut de ma poitrine.
Pendant tout ce temps, j'oubliai de respirer. Mon cerveau ne prenait plus les commandes, mon cœur lui, battait de plus en plus vite, je ne savais plus qui j'étais, comment je m'appelais, ni comment j'étais arrivée là. Comment étais-je arrivée là, d'ailleurs ? J'eus à peine le temps de me poser la question que j'oubliai mon interrogation quand je sentis ses lèvres effleurer ma nuque. Elles ne vinrent pas s'appuyer, ne firent que la frôler, mais quand bien même je pensais être déjà brûlante, je sentis la température monter davantage.
- Tu sens bon. Je le savais déjà, mais de plus près, je peux encore mieux me rendre compte à quel point tu sens divinement bon.
Je sentais bon. Il me glissa ça à l'oreille en chuchotant, dans un souffle. Comment ça, il le savait déjà ? J'eu à peine le temps de formuler la question dans ma tête que je pensai à autre chose. Comme à ses lèvres se rapprochant dangereusement de ma bouche.
- Cette vilaine petite bouche m'obsède depuis des jours. Je meurs d'envie de savoir quel goût elle a.
Alors, viens la goûter. Embrasse-moi.
J'aurais aimé pouvoir prendre les devants, mais j'étais comme paralysée. Incapable de bouger. J'étais spectatrice de la scène, tout en restant dans mon corps.
- Si tu savais comme j'aime t'avoir à ma merci, juste ici. Toi et moi.
Mon Dieu, ces quelques mots me rendirent folle.
- Et si tu savais tout ce que je souhaiterais te faire. Je prendrais tout mon temps. Et je te rendrais plus accro qu'une héroïnomane.
Il déposa un baiser dans mon cou et je laissai échapper un gémissement de plaisir, bien malgré moi.
- Tu en demanderais encore.
Un autre baiser un peu plus haut, accompagné d'un nouveau gémissement de ma part.
- Tu crierais mon nom à n'en plus finir.
J'eus envie de lui demander si c'était une promesse mais il mordilla le lobe de mon oreille et je crus défaillir.
- Et tu serais à moi.
Sur ces mots, il vint poser sa bouche sur la mienne. Et alors que jusqu'ici mon cœur battait toujours à une vitesse folle, il s'arrêta net, avant de reprendre ses pulsations, mais plus lentement. Si lentement que je me demandai s'il n'avait pas oublié comment fonctionner. J'aurais aimé ouvrir les lèvres. J'aurais aimé sentir sa langue venir s'immiscer dans ma bouche et jouer avec la mienne. J'aurais aimé glisser mes doigts dans ses cheveux pour le rapprocher de moi. Mais je ne pouvais toujours pas agir et lui ne faisait rien de son côté. Puis il se releva soudainement et me regarda de ses yeux gris acier.
- Un jour, peut-être.
Un battement de cils plus tard, je me retrouvai de nouveau à ma place derrière ma caisse. Il s'éclipsa et mes clients suivants s'avancèrent vers moi. J'eu l'impression d'être partie pendant une éternité, mais il semblait que ça n'avait été qu'une poignée de secondes.
D'ailleurs, partie où ? Que venait-il de m'arriver ? Et avais-je tout imaginé ? Je perdais la tête, ce n'était pas possible.
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