Chapitre 16
Eline me regarda, interdite. J'attendais sa réaction avec appréhension. Venais-je de faire une bêtise en lui divulguant mes pouvoirs ? Allais-je briser notre amitié en voulant la mettre dans le secret ?
- C'est une caméra cachée, c'est ça ? s'enquit-elle.
- Non, Eline.
- Il y a des appareils, pour faire des bulles, dissimulés dans ton appartement ? demanda-t-elle en se retournant pour essayer de trouver une preuve.
- Rien de tout ça, insistai-je.
Je lui montrai mes mains, les refermai et aussitôt toutes les bulles disparurent. Puis, je les ouvris à nouveau et les fis réapparaître. Eline me fixa encore. Je vis dans ses yeux qu'elle se demandait si je me moquais d'elle ou pas. Je ne savais pas vraiment comment m'y prendre pour la convaincre de la véracité de mes propos. Mes pouvoirs étaient trop instables et j'avais trop peur de la blesser en essayant de faire autre chose que ces bulles de savon.
- Mia, est-ce que tu veux un peu d'aide ? m'interrogea Silver en souriant devant mon air perdu.
- Toute aide est la bienvenue, soupirai-je.
- Tu permets ?
Il tendit la main vers Eline et je compris aussitôt ce qu'il s'apprêtait à faire. Je hochai vivement la tête.
- Bonne idée.
L'espace de quelques secondes, le regard d'Eline se perdit dans le vide, puis quand elle revint à elle, j'aperçus cette fois-ci un changement dans ses yeux.
- D'accord, déclara-t-elle.
- Eline ?
Je me tournai vers Silver qui s'était installé en arrière sur le canapé.
- Tu lui as dit quoi ? le pressai-je.
- On a eu une petite conversation, tout en voyageant à travers le monde, répondit-il en haussant les épaules.
- Tu peux faire ça ? demandai-je, sidérée et peut-être un peu jalouse.
- Seulement dans les lieux où j'ai déjà voyagé : il faut que je puisse imaginer l'endroit où je vais. Et étant donné que j'ai pas mal vagabondé, on va dire que le catalogue est plutôt fourni, conclut-il avec un clin d'œil.
Je regardai de nouveau Eline, encore silencieuse.
- Alors, tu es quoi ? Une sorcière ? finit-elle par m'interroger.
- Enchanteresse, rectifiai-je.
- Et tu es un vampire ? demanda-t-elle en se tournant vers Silver.
Ce dernier hocha la tête en signe d'approbation.
J'attendais le moment où tout allait basculer avec appréhension. Celui qui marquerait la fin de notre amitié et qui me prouverait que mes parents avaient raison de me cacher au reste du monde.
- Mais c'est génial ! s'exclama-t-elle.
Eline sauta de joie dans le canapé en frappant dans ses mains, telle une enfant à qui on avait annoncé qu'elle allait à Disneyland.
- Tu... ça va ? m'étonnai-je.
- Je n'arrive pas à y croire ! C'est tellement cool ! Ma meilleure amie est une enchanteresse et son copain est un vampire. Tu sais faire autre chose que faire apparaître des bulles de savon ? s'enquit-elle.
- Et bien... c'est un peu compliqué.
- Comment ça ?
- Tu vois notre dispute d'il y a quelques jours ?
- Je m'en souviens assez bien oui... je ne t'ai jamais vue aussi énervée, fit-elle remarquer avec une moue embarrassée.
- Apparemment, quelqu'un avait posé un verrou sur mes pouvoirs. Et ces derniers temps, visiblement, ils essayaient de briser ce verrou. Et pour ça, ils ont pris un peu le contrôle de mes émotions. Il semblerait que lorsque je ressens de fortes émotions, je les maîtrise moins et ils peuvent se manifester plus violemment.
- Alors tu as découvert que tu as des pouvoirs seulement dernièrement ? essaya-t-elle de comprendre.
- Non. En fait, j'ai toujours su que j'avais des pouvoirs. Mais je n'étais pas censée pouvoir m'en servir.
- Mais... alors ?
Eline eut l'air perdue. Silver prit alors la parole pour m'aider.
- Elle n'aurait pas dû être dans la possibilité de se servir de ses pouvoirs. Mais notre petite Mia se révèle être une personne dotée d'une grande force. Et tout ce que ce verrou a réussi à faire, c'est de lui rendre la tâche plus difficile et l'empêcher de les utiliser à pleine puissance.
- Eh ben dis donc... du coup, t'es une sorte d'enchanteresse méga puissante ?
Je rougis un peu. J'avais toujours été mal à l'aise avec les compliments et encore plus là, quand c'était à propos de quelque chose que je ne contrôlais pas. Je n'arrivais même plus à maîtriser mes pouvoirs comme il fallait et j'étais une vraie catastrophe ambulante. Alors, dire que j'étais puissante, cela me semblait un poil exagéré.
- C'est ça, répondit Silver en souriant et en me regardant avec des yeux emplis de fierté.
- N'exagérons rien, quand même. Je ne suis plus fichue d'utiliser mes pouvoirs sans craindre un désastre... rétorquai-je en jouant avec mes doigts sous l'effet de la nervosité.
- Et c'est pourquoi Lazarus est là. Pour t'aider.
- Lazarus ? demanda Eline en fronçant les sourcils.
- C'est l'homme que tu as vu l'autre jour quand tu es venue prendre des nouvelles de Mia.
- Je savais qu'il n'était pas médecin ! s'exclama Eline en levant un doigt accusateur.
- En effet, c'est un enchanteur. Il est venu pour aider Mia. C'est lui qui lui a enlevé son verrou. D'ailleurs, la panne de courant dans toute la ville ? C'était Mia, expliqua Silver en me montrant du doigt.
- C'était toi ? s'esclaffa-t-elle.
C'était officiel, je ne savais plus où me mettre.
- Du coup, Eline, je te dois des excuses. Je n'aurais jamais dû m'énerver comme ça contre toi. Même si je ne maîtrisais plus grand-chose, tu avais raison. Tu avais vu juste en pensant qu'il y avait quelque chose de bizarre avec mon comportement.
Mon amie sembla gênée et fuya mon regard.
- Non, mais, tu sais... je ne veux surtout pas que tu croies que je te juge. Je veux dire je suis tellement heureuse pour vous deux. Et comme tu l'as dit, je suis plutôt rapide dans mon genre, alors je ne peux pas vraiment me permettre...
Je l'interrompis et pris ses deux mains dans les miennes, plongeant mes yeux dans son regard vert d'ambre.
- Non, Eline. Tu avais raison, c'est ce que j'essaie de te dire. Mon attitude n'était pas normale. J'ai visiblement piqué beaucoup de crises pour rien et j'étais très entreprenante...
- On dirait que je lui fais un peu d'effet et que ses pouvoirs l'avaient bien compris, intervint Silver en riant.
- Un peu d'effet ? s'exclama Eline. Beaucoup d'effet, oui ! Tu aurais vu l'état dans lequel elle était à l'idée de devoir t'envoyer un message.
- D'accord, c'est bon, tranchai-je. On peut arrêter de parler de moi comme si je n'étais pas là ? Merci.
Eline et Silver éclatèrent de rire tous les deux.
- Et du coup, commença Eline, si tu ne contrôles plus tes pouvoirs, comment ça se passe ? Tu restes enfermée chez toi ou tu as le droit d'aller à l'université ?
- J'en ai parlé avec Lazarus. J'ai déjà passé vingt-deux années enfermées dans une maison à cause de mes parents, je n'ai pas envie que ça recommence.
- PARDON ? éclata Eline. Vingt-deux ans ? Enfermée ?
- Ah oui. J'avais oublié que tu n'étais pas encore au courant de ce détail, grimaçai-je.
- Un sacré détail, oui...
Eline sembla songeuse.
- Mais ça explique cette naïveté que tu as face à certaines situations. Comme de paniquer à l'idée de devoir envoyer un SMS, finit-elle en riant.
Je levai les yeux au ciel. Quelque chose me disait que j'allais y avoir droit pendant un moment.
- Donc, je vais quand même aller en cours, mais je serai sous la vigilance constante de Silver et Mickaël, repris-je.
- Et la mienne ! ajouta Eline.
Silver se redressa, réagissant à ce qu'elle venait de dire.
- Je ne sais pas si tu seras d'une grande utilité en cas de catastrophe, Eline, lui fit-il remarquer.
- Je pourrai toujours vous appeler si ça dérape. Et je peux peut-être aider à ce que ça n'en arrive pas là ? suggéra-t-elle.
- Merci, Eline, murmurai-je en la serrant dans mes bras.
- Et bien... si on m'avait dit que mon week-end commencerait comme ça, je ne l'aurais pas cru. Et pour ton travail au cinéma ? Comment tu vas faire ?
- Je suis allé voir Sinovia pour lui expliquer la situation, lui répondit Silver.
- Tu lui as dit ? s'étonna Eline. Mais dit quoi ?
- Eline, Sinovia est une médium. Elle était déjà au courant pour moi, lui expliquai-je.
- Alors tu vas raconter à ta patronne que tu as des pouvoirs et moi, tu me gardes dans le secret ? Bravo, c'est beau l'amitié.
Je savais qu'Eline plaisantait et c'était alors le signe que tout allait bien. Je laissai échapper un soupir de soulagement. J'avais eu si peur de perdre son amitié, elle qui était ma première amie. Je ne lui en aurais pas voulu si elle m'avait annoncé vouloir couper les ponts avec moi ou m'avait insultée de folle. Qui pouvait savoir comment il réagirait face à une telle annonce ? Je sentis un poids se détacher de mes épaules et pu savourer la fin de ma matinée en sa compagnie et celle de Silver.
Par je ne savais quel miracle, je réussis à survivre à cette semaine de cours. Assise à une table du réfectoire avec Silver, Eline et Mickaël, j'écoutai les deux derniers plongés dans une conversation animée.
- Mais où te cachais-tu tout ce temps ? Mia, pourquoi ne m'as-tu pas présenté cette jeune fille plus tôt ? Elle est formidable ! s'exclama le vampire.
- Je te renvoie le compliment Mickaël. Quel dommage que tu sois gay, nos enfants auraient été incroyables !
Je me tournai vers Silver et le regardai avec effroi.
- Est-ce qu'on n'aurait pas fait une erreur en les présentant ? lui demandai-je.
- Le mal est fait maintenant. Tu veux sortir d'ici ? me répondit-il en haussant les épaules.
- Pour aller où ?
- Se promener dans le parc ? proposa-t-il. J'ai surtout besoin de me retrouver un peu seul avec toi.
Je souris à l'idée. Oui, c'était exactement ce qu'il me fallait. Silver se leva et me pris par la main, nous éloignant des deux nouveaux meilleurs amis qui ne semblaient même pas se rendre compte que nous avions quitté la table.
Une fois dehors, le bruit du réfectoire s'estompa et aussitôt, une tension s'envola. Je ne l'avais pas réalisé, mais le brouhaha commençait à m'étourdir.
Nous marchâmes main dans la main dans les allées du parc, papotant de choses et d'autres, lorsque je remarquai Mattis au loin.
- Tu peux m'attendre deux minutes ? J'ai un truc à faire rapidement, me justifiai-je.
Silver tourna la tête et vit Mattis au loin, mais il ne chercha pas à comprendre et me sourit.
- Je t'attends, me répondit-il en m'embrassant doucement.
Je me dirigeai donc vers Mattis à grandes enjambées. Je lui devais une petite explication.
- Mattis ! Est-ce que je peux te parler deux minutes ? l'interpellai-je.
Celui-ci se retourna et eut l'air très étonné en m'entendant l'appeler.
- Salut Mia. Je peux faire quoi pour toi ? me demanda-t-il prudemment.
- Je voulais m'excuser pour mon comportement de la semaine dernière. Je n'étais pas vraiment en forme et tu es arrivé au mauvais moment, c'est toi qui as tout pris.
- Tu m'avais l'air plutôt en forme, au contraire, railla-t-il.
Il passa une main dans sa nuque et sembla embarrassé. Je me sentis mal à l'aise. Ce qu'il avait vu, ce jour-là, ce n'était pas moi. Je n'étais pas colérique et hystérique, au contraire, je me considérais comme une personne avec un caractère stable et équilibré.
- Écoute, j'avoue que tu peux être assez lourd et que tu as eu du mal à comprendre que je n'étais pas intéressée, mais tu ne méritais pas non plus que je me défoule comme ça sur toi. Alors, je m'excuse.
- D'accord, j'accepte tes excuses, affirma-t-il en souriant.
- Merci, Mattis.
Je commençai à m'éloigner quand une main me retint en arrière. Je me retournai pour regarder Mattis en fronçant les sourcils d'incompréhension.
- Attends, Mia. Je voulais te demander : c'est sérieux entre toi et lui ?
Je suivis son regard, aperçut Silver m'attendant au loin et ressentis une vague de chaleur s'épanouir dans mon cœur. Nous nous étions encore plus rapprochés ces derniers jours. Le fait qu'il ne m'ait pas tourné le dos quand j'avais pété un câble à cause de mes pouvoirs et qu'il soit au contraire resté à côté de moi, coûte que coûte avait suffi à faire fondre mon cœur. Je n'aurais jamais cru, lorsque nous nous étions rencontrés que notre relation prendrait cette tournure et pourtant...
- Oui, Mattis, c'est sérieux, répondis-je en sortant de mes divagations.
Alors que je retrouvai Silver, je ressentis le besoin de me justifier, quand bien même il ne me posa aucune question.
- J'étais mal à l'aise après ma crise de l'autre fois...
- Tu n'as pas à te défendre, Mia, m'interrompit Silver. C'est un trait que j'aime chez toi : ton cœur déborde d'empathie pour les autres, mêmes ceux qui ne le méritent pas forcément.
Il m'enlaça et posa ses lèvres sur les miennes.
- On continue de se promener ? me demanda-t-il.
Tout en marchant côte à côte, je pris mon courage à deux mains pour lui parler de quelque chose que j'avais sur la conscience depuis plusieurs jours.
- Silver ? l'interpellai-je timidement.
- J'entends les battements de ton cœur accélérer, Mia, dois-je me faire du souci ? plaisanta-t-il.
Je levai les yeux au ciel. On ne pouvait décidément rien lui cacher.
- J'ai parlé avec Lazarus, hier, commençai-je.
- Tu as beaucoup parlé avec Lazarus ces derniers jours, s'esclaffa-t-il.
- J'avais des interrogations. Je sais que tu crois que tu aurais dû faire plus attention et que ce qu'il s'est passé entre nous deux n'aurait pas dû arriver aussi vite.
Silver s'arrête de marcher et me regarde intensément.
- Ce que je veux dire, c'est que j'ai pas mal discuté avec Lazarus et quand bien même cette histoire de pouvoir qui tentait de casser le verrou est à prendre en compte, je veux que tu saches que la première fois qu'on l'a fait... et bien, j'en avais vraiment envie. Je ne veux pas que ce souvenir soit terni par toute cette histoire. Et je sais à quel point tu accordes de l'importance à mon consentement et tout ça... alors sache que j'étais en pleine possession de mes moyens ce jour-là.
Silver ne dit toujours rien. Il continua de me regarder et je commençai à angoisser quant à ce qu'il allait faire, comment il allait réagir. Puis, il prit mon visage en coupe dans ses mains et me contempla avec une infinie douceur.
- Mia, je t'...
Mais il s'interrompit et inspira profondément.
- Tu vois, je te disais quoi ? Ton cœur déborde d'empathie pour les autres. Tu n'as pas à t'inquiéter pour ça.
- Mais je ne veux pas que toi tu t'inquiètes pour ça non plus, insistai-je. Tu es juste parfait depuis le début, Silver. Et sans toi, je ne sais vraiment pas ce que je serais devenue ces derniers jours.
Je me blottis dans ses bras et posai ma tête contre sa poitrine. C'était étrange de ne jamais entendre son cœur battre. Mais je commençais à m'habituer à ce genre de petits détails.
Je sentis les bras de Silver se resserrer un peu plus fort autour de moi et je m'agrippai à lui comme s'il était mon phare dans la nuit. Celui sans lequel je ne pouvais plus avancer.
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