Chapitre 11

J'ouvris les yeux et m'étirai dans mon lit. Quand je me souvins du programme du jour, je ne pus réprimer un sourire. Une journée entière juste Silver et moi. J'étais clairement impatiente, cela allait sans dire. Il avait dit vouloir m'emmener quelque part et je me demandais bien de quoi il voulait parler.

Je regardai l'heure sur mon téléphone et constatai qu'il ne restait plus qu'une demi-heure avant qu'il ne vienne me chercher. Je sautai hors de mon lit pour me glisser sous la douche. Après avoir hésité sur la tenue la plus adaptée, j'enfilai un jean, un gros pull et des baskets. Et je n'oubliai pas de prendre mon manteau. On n'était jamais trop prévoyant.

Dans la cuisine, je me fis une tartine de beurre de cacahuète, un thé dans un thermos et quittai mon appartement pour guetter Silver devant mon immeuble. Moi impatiente ? C'était un euphémisme.

En sortant du bâtiment, je le vis qui m'attendait, appuyé sur sa voiture.

- Dis donc... Joli bolide ! m'exclamai-je.

Il s'avança vers moi pour m'embrasser, glissant une main dans mon dos et je me lovai avec plaisir contre son torse.

- Tu t'y connais en voiture ? s'étonna-t-il.

- Absolument pas ! Mais ça ne m'empêche pas de pouvoir apprécier la beauté de l'objet.

- « De l'objet »... Si tu veux pouvoir monter dans ma voiture, ne dis pas que c'est un objet, me sermonna-t-il en levant les yeux au ciel. Ce petit bébé est une Dodge Challenger que j'ai achetée en 1971 et elle ne m'a pas quitté depuis. Montre-lui un peu de respect.

- Je ne te savais pas comme ça, fis-je remarquer en riant.

- Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas sur moi, me répondit-il en tirant sur une mèche de mes cheveux.

Il m'ouvrit alors la porte de la voiture puis en fit le tour pour s'installer du côté conducteur. Une fois assise à l'intérieur, je remarquai une glacière posée sur la banquette arrière.

- C'est pour quoi ? demandai-je en la pointant du doigt.

- Là où on va, il n'y a pas vraiment à manger. Donc je suis passé à l'épicerie, te prendre de quoi remplir ce petit ventre ce midi, avant de venir te chercher.

Je le regardai avec de grands yeux. Je découvrais une facette de sa personnalité très prévenante et attentionnée et j'aimais beaucoup ça. Il me donnait l'impression d'être importante et digne qu'on s'occupe de moi. Après ce que j'avais vécu, cela me faisait vraiment du bien. Et je devais reconnaître qu'il avait raison : j'ignorais beaucoup de choses sur lui, mais plus j'apprenais à le connaître et plus j'avais envie d'en savoir.

- Qu'est-ce que tu peux être serviable ! Fais attention, je pourrais y prendre goût, plaisantai-je en m'attachant.

- Oh, mais une fois qu'on m'a goûté Mia, on ne peut plus se passer de moi, me glissa-t-il avec un clin d'œil.

J'éclatai de rire alors que Silver démarrait le moteur et se dirigeait vers la sortie de la ville.

- Où est-ce qu'on va d'ailleurs ? m'enquis-je, curieuse.

- Ça, c'est une surprise.

- Mais encore ? insistai-je.

- Mia, arrête de te poser autant de questions. Laisse-toi porter et profite du voyage.

- Est-ce que je peux savoir au moins si l'on a beaucoup de route à faire ?

- Plus de dix minutes, moins de trois heures, se moqua-t-il.

- Mais !

- Pas de « mais ». Maintenant, ouvre la boîte à gants et choisis-nous un disque, m'ordonna-t-il.

- Un disque ? Tu écoutes encore des CD ? Mais qui écoute encore des CD ? me moquai-je.

- Moi. Tu lis bien encore des livres en format papier et non pas sur une liseuse, non ? Eh bien moi, j'écoute encore de la musique en format CD.

- Mais, ce n'est pas pareil. Les livres c'est pour le plaisir d'avoir le contact du papier, c'est...

Je peinai à trouver des arguments et commençai à balbutier.

- Il n'y a pas de « mais ». Tu n'étais pas encore née quand le premier CD est sorti, mais ça a été une vraie révolution. J'arrêterai d'écouter des CD le jour où ce ne sera plus possible.

- Mais...

J'éclatai de rire en le regardant.

- Quoi ? me demanda Silver en levant les yeux au ciel.

- Tu es un vrai petit vieux au fond de toi, en fait ! le charriai-je.

- Je suis un vrai petit vieux au fond de moi Mia. Dois-je te rappeler que sous ce visage angélique et ce corps de dieu, j'ai en fait quatre-vingt-trois ans ?

J'esquissai une grimace de dégoût et ris à nouveau.

- Et la modestie, tu l'as perdue en cours de route ? le provoquai-je.

- Ce n'est pas ce qui m'étouffe le plus, merci.

Ce que j'appréciais avec Silver, c'était la facilité déconcertante avec laquelle nous pouvions discuter de tout. Comme si nous étions de vieux amis qui nous connaissions depuis toujours, alors même que ce n'était pas le cas. Tout en papotant, je cherchai dans la boîte à gants et en ressortis une pochette range CD dans laquelle se trouvaient des dizaines de disques. On y dénichait essentiellement du rock des années soixante et soixante-dix. Je fouillai un peu et finis par choisir .

- Je dois dire que je suis étonné. Bon choix, souligna Silver en me jetant un regard en coin.

- Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas sur moi, lui répondis-je en reprenant ses mots.

Une heure plus tard, nous roulions sur une petite route qui longeait une forêt. Je n'avais aucune idée de l'endroit où nous nous trouvions et encore moins de celui où nous allions. Une petite voix dans la tête me dit que j'aurais peut-être dû me montrer plus méfiante. Après tout, j'étais en voiture, avec un vampire, sans savoir où j'allais. Beaucoup m'auraient qualifiée d'inconsciente. Pourtant, je n'aurais su expliquer pourquoi, mais je pressentais déjà que je pouvais lui faire confiance avec ma propre vie. C'était une sensation très étrange, car jusque maintenant, ça ne m'était jamais arrivé, j'avais toujours eu le sentiment que je devrais me débrouiller toute seule. La tête appuyée contre la fenêtre, je regardai les arbres défiler. Puis, je prêtai plus attention aux paroles de la chanson qui résonnait dans l'habitacle :

« And when I get that feeling

I want sexual healing.

Sexual healing, oh baby

Makes me feel so fine

Helps to relieve my mind

Sexual healing baby, is good for me

Sexual healing is something *

« Et quand je ressens ça

Je veux un remède sexuel

Un remède sexuel, bébé

Ca me fait me sentir si bien
Ca aide à soulager mon esprit

Remède sexuel bébé, c'est bon pour moi
Remède sexuel est une chose bien pour moi »

Enfermée dans la voiture, à côté de Silver, sans aucune échappatoire, cette chanson me parlait soudainement plus que jamais. J'avais beau ne pas avoir beaucoup d'expérience sur le sujet, il me faisait beaucoup d'effet, depuis le premier jour.

Je tournai la tête pour le regarder discrètement. Il était concentré sur la route et fixait droit devant lui.

Modestie à part, il était vrai que pour une personne de quatre-vingt-trois ans, il avait vraiment un corps de dieu. Un des avantages d'être un vampire, j'imaginais... Il se comportait si naturellement, que j'en oubliais qu'il n'était plus humain depuis longtemps. Le voir boire un verre de sang me servait alors de piqure de rappel.

Je laissai mes yeux errer sur son visage, prenant le temps de l'observer. Il sifflait sur la musique, un sourire en coin.

- Mia, si tu continues à m'inspecter comme ça, et en plus sur cette chanson, je te préviens, je ne réponds plus de rien.

- Mais ? m'étonnai-je.

- Vampire, tu te souviens ? m'interrogea Silver en tournant la tête pour me regarder. Ce qui veut dire que j'ai une vue plus performante que la normale et je peux te voir me mater du coin de l'œil. Et aussi une ouïe plus développée me permettant d'entendre les battements de ton cœur accélérer légèrement depuis le début de la chanson.

J'étais d'humeur joueuse. Je me sentais en confiance avec lui et j'avais envie de tester mon pouvoir de séduction, voir à quel point je lui faisais de l'effet. Les quelques mois où j'avais voyagé seule, je n'avais pas vraiment eu la tête à ça. J'avais bien rencontré un garçon, mais ça n'avait pas duré longtemps.

- Et comment est-ce que je te regarde alors ? demandai-je en mordillant mon pouce.

Silver tourna la tête et croisa mon regard que je voulais charmeur. J'aperçus ses pupilles se dilater puis le vis prendre une grande inspiration avant de se concentrer à nouveau sur la route.

- On a encore beaucoup de voiture ? l'interrogeai-je en enlevant mon pull.

- À quoi tu joues, Mia ? rétorqua-t-il en riant.

- Mais à rien, répondis-je innocemment. J'ai chaud. Et je me demande si l'on a encore beaucoup de route.

- Mia...

Dans sa bouche, mon prénom sonnait comme un avertissement. Je jouais peut-être avec le feu, mais je devais avouer beaucoup aimer ça.

- Alors, on a encore beaucoup de route ? insistai-je en en effleurant son avant-bras de mes doigts.

Cette fois-ci, lorsqu'il tourna la tête, je vis une étrange lueur apparaître dans les yeux de Silver. Comme s'il voulait faire de moi son goûter.

Avant de réaliser quoi que ce soit, il fit une embardée sur le bord de la route et arrêta la voiture pour se jeter sur ma bouche.

- Tenterais-tu de me séduire ? me demanda-t-il entre deux baisers.

- Peut-être bien, lui répondis-je, mutine.

Je le repoussai, puis vins m'installer sur ses genoux, côté conducteur.

- Peut-être ai-je envie de prendre ma revanche sur une séance de cinéma qui m'a laissée sur ma faim, lui dis-je tout en l'embrassant dans le cou.

Je sentis ses doigts se glisser sous mon tee-shirt et tenter de se frayer un chemin vers mon soutien-gorge, mais je ne l'entendais pas de cette oreille. Aussi, je fis apparaître des lianes pour lui attraper les mains et attacher ses poignets, les gardant proches de son corps et le mettant dans l'incapacité de pouvoir s'en servir.

- Mia, à quoi tu joues ? s'enquit-il en secouant la tête.

- À rien du tout. Mais si je veux pouvoir me venger comme il faut, j'aimerais que ce soit un tant soit peu dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles j'étais.

Tout en finissant ma phrase, je l'embrassai, lentement, prenant le temps de le goûter comme il fallait.

- Mmmm... Tu as raison sur un point, je dois bien l'avouer.

- Lequel ? me demanda-t-il en riant.

- Une fois qu'on t'a goûté, on ne peut plus se passer de toi.

Je me penchai pour l'embrasser à nouveau et faufilai mes doigts sous ses vêtements pour caresser son ventre. Silver frissonna à mon contact et ricana.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Oh, rien du tout, Mia. J'aime beaucoup te voir prendre des initiatives.

Quelque chose me disait qu'il se laissait faire et que s'il l'avait voulu, il aurait pu enlever ces liens sans problèmes. Après tout, un vampire n'était-il pas censé être doté d'une force surhumaine ? J'avais intérêt à ne pas fermer mes poings si je ne voulais pas me faire manger toute crue.

Je pris son visage en coupe et déposai mes lèvres sur les siennes, avant de déposer une multitude de baisers le long de sa mâchoire, jusqu'à sa nuque.

- Mia, m'interpella-t-il.

- Chut.

- Mia, je pense que tu ferais mieux de...

Un cognement contre la vitre me ramena sur terre. Nous tournâmes la tête et nous pûmes voir un officier de police se tenant juste de l'autre côté de la fenêtre.

- Voilà, gloussa Silver.

- Oh non, mon Dieu ! paniquai-je en me jetant sur le siège passager, tout en cachant ma tête dans mes mains.

- Mia ?

- Quoi ?

- Tu crois que tu pourrais me libérer, histoire que je puisse ouvrir la fenêtre ? me demanda Silver, hilare.

- Mince.

Je refermai mes poings et les lianes s'évanouirent aussitôt.

- Bonjour, monsieur l'officier, en quoi puis-je vous être utile ? l'interrogea Silver d'un ton complètement détaché.

Je ne savais pas comment il faisait. De mon côté, j'étais morte d'effroi et si j'avais pu disparaître, je l'aurais aussitôt fait.

- Papiers du véhicule et pièce d'identité, s'il vous plaît, ordonna l'officier d'un ton peu amène.

- Mais bien sûr, lui répondit Silver.

Il se pencha vers moi pour ouvrir la boîte à gants, y prit les papiers demandés par le policier et me pinça la cuisse au passage. Je sursautai sur mon siège, mais n'osai rien dire. J'étais déjà bien trop mortifiée d'avoir été surprise dans une telle position. J'avais si honte, moi qui pensais pouvoir jouer la séductrice un peu plus tôt, je me rendais compte que je n'étais rien d'autre qu'une poule mouillée...

Silver lui tendit les documents et je le vis poser son autre main sur celle de l'homme qui se tenait debout. L'espace d'une fraction de seconde, je pus apercevoir le regard de ce dernier se perdre dans le vide, avant de cligner des yeux et de rendre à Silver ce qu'il venait de lui donner :

- Très bien monsieur, merci. Vous pouvez y aller. Et bonne route.

Il fit alors demi-tour pour retourner dans sa voiture.

Silver s'esclaffa en voyant mon air abasourdi.

- Il s'est passé quoi ?

- Oh, tu as besoin que je t'explique ce que tu étais en train de me faire ? me charria-t-il.

- Non. Je sais très bien ce que j'étais en train de te faire, merci. Je parle de toi avec l'officier de police.

- Ça ? Je suis juste entré dans sa tête pour lui dire que tout était en règle et qu'il pouvait nous laisser repartir.

- Et c'est tout ?

- C'est tout.

- Juste comme ça ?

Silver hocha la tête. Il remit le contact, démarra la voiture et reprit la route.

- Mais il te suffit vraiment juste de toucher la personne pour lui faire croire ce que tu veux ? Lui faire faire ce que tu veux ?

Silver laissa échapper un soupir et arrêta de nouveau la voiture sur le bord de la route

- Mia, si c'est ça qui te fait peur, je te fais la promesse sur tout ce que j'ai de plus précieux, que jamais, ô grand jamais, je n'utiliserai mon pouvoir sur toi, déclara-t-il en prenant mon visage dans ses mains. D'accord ?

Perdue dans ses yeux gris, ma voix resta coincée dans ma gorge et je trouvai juste le courage de hocher de la tête pour lui dire que j'avais compris. Il m'embrassa alors et reprit le volant.

- Très bien. Maintenant, si tu le permets, j'aimerais arriver assez vite. Donc si on pouvait ne plus s'arrêter, ça m'arrangerait grandement.

- Pressé d'arriver ? m'étonnai-je.

- Pressé de finir la partie que tu as commencée, me répondit-il avec un sourire carnassier.

Mon cœur tambourina dans ma poitrine et ma respiration accéléra. Je n'étais pas tout à fait sûre d'assumer ce jeu que j'avais engagé.

Un quart d'heure plus tard, Silver prit une allée qui se dirigeait dans la forêt. Au bout du chemin, il arrêta la voiture, en descendit, puis vint ouvrir ma porte et me jeta sur son épaule, comme un vulgaire sac à patates.

- Mais ! Mais tu fais quoi ? demandai-je, hilare.

- Je t'ai dit qu'on avait une partie à finir, il me semble. Et j'ai hâte de la finir, me répondit-il en faisant de grandes enjambées.

- Mais on est où ? Tu peux me le dire, maintenant ?

- Une cabane perdue dans les bois qui nous appartient à Mickaël et à moi. Et tu sais ce que ça veut dire Mia ?

- Non ? couinai-je.

- Tu peux crier autant que tu veux, personne ne t'entendra, me dit-il tout en riant.

- Repose-moi ! hurlai-je en tambourinant dans son dos.

J'étais morte de rire, la tête à l'envers et mes coups n'avaient aucun effet.

- Hors de question. Assume les conséquences de tes actes, se moqua-t-il.

Mais il ne finit pas sa phrase et s'arrêta brusquement.

- Ben, qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je, étonnée.

- La voiture de Mickaël est là. Et donc, lui aussi.

- Ah ?

Silver me reposa sur mes deux jambes puis m'embrassa avant d'ajouter :

- Tu as de la chance. Tu viens d'obtenir un sursis, déclara-t-il en me poussant vers la porte d'entrée d'une claque sur les fesses.

* Sexual healing, Marvin Gaye, 1982

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top