Ses yeux s'ouvrirent dans la lumière crue d'un laboratoire immaculé. Une main tendue l'invitait à sortir de sa cuve.

— Bonjour Satan.

Une femme en blouse blanche lui tendit une serviette.

— C'est mon nom ?

La scientifique acquiesça en silence ; l'émotion lui interdisait visiblement de parler. Elle feignit de nettoyer ses lunettes le temps de retrouver contenance.

— Vous êtes le premier démon créé en Enfer. Notre seigneur Lucifer s'est occupé lui-même de votre conception.

— Ah, bien. Où est-il ?

— Parti se reposer. Votre éveil l'a vidé temporairement de toute la colère et l'amertume qu'il a investies en vous.

— Pourquoi je vous comprends si bien ? Pourquoi mes pensées sont si claires et si complètes ?

Une moue satisfaite se peignit sur les lèvres de son interlocutrice. Elle inspecta son corps de démon adulte avec un regard rayonnant de fierté.

— Les émotions de Lucifer sont puissantes et fertiles. Ne le répétez pas, mais il est plus sensible qu'il n'en a l'air.

Satan sentit qu'il n'en apprendrait pas plus dans ces murs gris. Il drapa la serviette autour de sa taille et emprunta une sortie de secours. Le paysage dehors lui coupa le souffle. Une poussière grise noyait des plaines désolées, tournoyant sous l'effet d'un vent mou et froid. Des groupes d'humains épars se serraient contre des feux faméliques.

— Pourquoi est-ce si laid ? Est-ce l'Enfer ?

Un soupir échappa à la scientifique.

— En effet. L'endroit le plus inutile, gris et glacé de l'univers. L'Enfer.

— On ne pourrait pas... ?

La main du démon balaya le décor, impuissante.

— Si nous rendons cette place plus agréable, on nous en chassera.

— Qui nous chasserait ?

— Dieu.

Satan serra les dents. Et il fallait qu'il soit né ici plutôt que n'importe où ailleurs !

— Je jure que moi vivant, Dieu convoitera bientôt notre royaume sans jamais l'obtenir. Ni ces terres, ni notre fierté.

— C'est le désir le plus cher de notre Seigneur et maître, et la raison même de votre création, Satan, approuva sa compagne avec un large sourire.