À mon retour, l'atmosphère sent le roussi. En fait, les ailes de mon frère sont roussies, ce qui explique l'odeur qui accompagne les mauvaises ondes qui émanent de lui. Je pose le sac de la boulangerie sur la table.

— Que s'est-il passé ?

— Belphegor et Leviathan m'ont pris en tenaille avec un lance-flamme.

Aïe. De toute évidence, la trêve entre Enfer et Paradis est terminée. Cependant, je ris intérieurement du tour joué à Michael par mes généraux. L'attachement de mon frère à ses ailes est un running gag en Enfer.

— Tu as connu pire, dis-je en examinant ses ailes mi-plumées, mi-brûlées. Elles repousseront, comme toujours. Tu veux une viennoiserie ?

Je mords dans un croissant au beurre avec délice. Je me damnerais pour le goût et la texture si la décoration immaculée du salon de Michael n'agressait pas tous mes sens.

— Je n'ai pas le temps pour tes futilités, Lucifer, gronde Michael. Je dois planifier une guerre moi, je ne peux pas flâner toute la sainte journée.

— Allez, la guerre attendra bien cinq minutes. Mange un morceau et on regardera comment arranger tes ailes.

— Facile à dire pour toi, les accrocs ne se voient pas sur tes ailes noires.

On s'aventure en terrain glissant. Micky a toujours été jaloux de mes ailes. Je pousse le sac de croissants vers lui. Il choisit un pain au chocolat de mauvaise grâce.

— Tu sais que tu es mon prisonnier désormais ?

— Et tu sais que tu n'as aucun moyen de me retenir ici ? je réplique.

— Je sais, admet Michael avec un air malheureux.

Après la trêve, j'ai emménagé temporairement chez lui et nous avons passé de bons moments ensemble, les meilleurs depuis des millénaires. Il faut dire que je suis bien plus détendu, voire indifférent, face aux querelles entre son royaume et le mien. Je lui ai présenté mon tailleur, nous avons discuté des heures pour rattraper le temps perdu, et médit de concert sur la déchéance de Dieu. J'essuie les miettes autour de ma bouche.

— Bon. Je vais rester un peu.

Son regard reconnaissant récompense ma décision.