Je m'inquiète en voyant Satan s'asseoir à côté de moi.

— Dois-je changer de banc fétiche ?

— À toi de voir, répond-il d'un ton détaché. Maintenant, on sait où te trouver.

Je jette les restes de mon croissant aux pigeons.

— Que veux-tu, Satan ? Pas savoir comment je vais, j'imagine.

— Tu m'as créé, Lucifer, au moins je te respecte pour ça.

— Ne me dis pas que tu vas m'appeler "papa"...

Je guette sa réaction d'un air horrifié, mais il écarte cette idée d'un ricanement.

— Tu m'as forgé pour que je devienne ton meilleur guerrier et général.

— Et j'ai plutôt réussi mon coup, non ?

— Je veux plus de responsabilités.

J'avoue que son arrogance m'amuse.

— Tu as trop peu d'expérience.

— Et toi, tu t'es barré depuis un siècle. Il est temps que tu passes le relais.

— À qui ? À toi ?

Aie, je n'ai pas pu retenir le mépris dans ma voix. Néanmoins, je dois étouffer ses ambitions à tout prix. Je n'y suis pas allé de main morte pour modeler l'Enfer et je n'ai pas non plus lésiné sur la création de Satan, dans lequel j'ai investi mes larmes les plus amères et mon sang le plus bouillant. L'Enfer sous son commandement détruirait le monde.

— Je n'ai pas besoin d'interim. Je vais régler le léger différend avec Michael dont Bel m'a parlé, et vous me laisserez en paix le temps que je décide de revenir.

— Lucifer...

— Écoute, tu sais frapper, torturer, tuer, mais que connais-tu en gestion des âmes damnées, en communication horrifique ou en diplomatie divine ?

Il me dévisage, bouche bée. J'enfonce le clou, impitoyable.

— Rien. Du. Tout. Donc ne réclame pas ce qui ne te revient pas.

— Mais tu n'étais même pas là pour m'apprendre ! hurle Satan, aussi furieux que frustré.

— Alors peut-être que ni l'un ni l'autre ne sommes destinés à remplir nos rôles respectifs.

— Attends, tu dérailles, là, lâche-t-il.

Mon regard glacé le fait frissonner des pieds à la tête. Il sait que je déteste ses sorties vulgaires. Voilà qu'il tremble. J'ôte ma veste en velours en soupirant et la lui tend. J'y suis sans doute allé un peu fort.