09 | LE SNACK-BAR DU LAC & LA BANDE DE NOE

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CONVAINCRE LES GÉRANT DU SNACK-BAR D'ORGANISER un concert à la dernière minute n'avait pas été chose aisée. Toutefois, après plusieurs commentaires mielleux et encouragements de leur propre fille, les parents d'Aurore Norrand avaient finalement accepté.

—Par contre, vous ne jouez pas trop fort afin de ne pas déranger les personnes venues pour se reposer, et je ne veux pas entendre de musiques trop violentes pour les enfants, avait exigé le patron en les regardant tour à tour, fort lentement.

—C'est bon, papa, était intervenue Aurore en le tirant par le bras. Tu vas leur faire peur si tu continues à te la jouer gros dur.

Son père avait difficilement obtempéré et après avoir fixé Barnabé avec plus d'intensité que ses camarades — sûrement pensait-il qu'il était le fauteur de troubles des Alphapabêtes —, il était retourné vers sa femme qui se tenait déjà derrière le comptoir et servait quelques sodas à une famille nombreuse. Aurore était restée un peu plus longtemps en leur compagnie, discutant de tout et de rien avec Céleste et Delphine — enfin surtout avec Delphine —, avant de finir par prendre congé auprès du groupe.

—Bonne chance les gars, lança-t-elle alors qu'une lueure sincère brillait dans son regard bleuté. C'est cool d'avoir proposé d'animer le lac aujourd'hui !

Si seulement elle savait, pensa Barnabé en lui rendant son sourire. Les membres de la famille Norrand étant partis, le plan de sauvetage d'Aloïs pouvait enfin être mis en place. Déjà Élie courait-il lourdement jusqu'à sa petite Golf, suivi de près par Delphine qui tentait d'arborer un air peu suspect. Seulement, vue qu'elle regardait à droite et à gauche à chaque pas, l'effet était plutôt raté. Il n'y avait que Céleste qui ne semblait guère stressée, bien que son copain savait que c'était pertinemment tout le contraire.

—Tu crois vraiment que ton plan va marcher ? demanda-t-elle au brun en entrelaçant ses doigts aux siens.

Barnabé la couva d'un regard tendre, comme si elle était la plus belle chose qui lui soit arrivé. Et elle l'était ! Loin de là. Céleste, c'était la muse de Barnabé, avec sa voix mélodieuse qui ravissait les cœurs lorsqu'elle ne les brisait pas. Elle portait toujours un large chapeau couleur crème, qui lui allait si bien, ainsi que du fard à paupière dans les tons abricot. Le reste de son visage, elle ne le maquillait guère et Barnabé préférait largement cela.

La beauté naturelle de Cél' était la première chose qui avait retenu le regard de Barn' lorsqu'ils étaient rentrés au lycée de Montdesbois, échappant de peu à celui de Saint-Lac, un établissement privé aux bâtiments vieillissants. Ils avaient toujours été amis, du moins depuis le collège, mais pour autant le brun n'avait jamais entrevu la possibilité de sortir avec elle. C'était Céleste, son amie et au collège, c'était largement suffisant pour lui.

Mais étrangement les choses avaient fini par changer, et d'une simple amitié était née une romance digne d'un conte de fées, enfin, une romance tout court avait vu le jour. 

—Je vais pas te mentir Cél', j'ai un peu le tract concernant ce dernier. Ça pourrait super bien marché comme ça pourrait tout autant tourner au vinaigre, confia Barnabé en se grattant la nuque. Reste juste à espérer que tout roule sur des roulettes et qu'Aloïs soit rapidement congédié de ses obligations.

Un bref sourire naquit sur les lèvres de la brune et elle accorda un baiser au jeune homme. Puis elle s'en alla à la suite de Delphine et d'Elie, bien décidée à leur donner un coup de main avec les instruments de musique. Le groupe était passé voir Aloïs en début d'après-midi, afin de récupérer la clé du garage de sa maison. Le rouquin avait paru étonné l'espace d'un instant, se demandant probablement ce que ses amis manigançaient.

Aussi Barn' — bien qu'il avait promis à ses amis de ne rien dire au jeune homme — l'avait-il attiré un peu à l'écart du groupe, et lui avait révélé le plan farfelu qu'ils avaient inventé pour le sauver des griffes du dragon — Katia en l'occurrence. Aloïs avait eu l'air dubitatif suite à ces révélations et Barnabé savait que le guitariste n'approuvait guère le fait qu'ils échafaudent un tel plan au lieu de répéter tranquillement avant le grand soir.

—Lo', dis-toi que chanter cet aprem au lac fera office d'entraînement. Et en plus on pourra joindre l'utile à l'agréable si tous les clients du Royaume Glacé désertent la berge saint-lacoise au profit de celle de Montdesbois.

—Mais Katia... Elle va être folle de rage si personne ne vient manger de glace ici et toute cette colère va me retomber dessus, encore une fois, s'était lamenté le rouquin en fermant les yeux, l'air désespéré.

Barnabé n'aimait pas voir son meilleur ami se laissait abattre de la sorte. Aloïs avait beau paraître tout mignon, tout gentil et tout fragile, ce n'était pourtant guère le cas, bien que lui y croyait dur comme fer. La preuve, le jeune homme encaissait les horreurs que proférait sa patronne à longueur de journée, et alors qu'il aurait pu délaisser ce boulot depuis fort longtemps, il avait tenu bon. Aloïs était courageux et avait le souci de bien faire. Aussi s'il y avait bien une personne qui ne se laisserait pas détruire par le mauvais caractère d'une trentenaire en manque de reconnaissance, c'était bien lui.

—T'auras qu'à m'envoyer un message si jamais ça tourne au vinaigre, avait suggéré le brun en accordant une petite tape dans le dos de son ami. On viendra te chercher illico presto !

Barnabé se retrouvait désormais seul au lac de Montdesbois, debout au milieu de l'herbe brûlée que tant avaient foulé. Quelques bambins insouciants jouaient au bord de l'eau, sous l'œil avisé de leurs parents, tandis que les adolescents avaient réquisitionné les plongeoirs bleutés situés au milieu du lac. Une trentaine de personnes était allongée sur des serviettes fleuries ou bariolées de toutes les couleurs qui puissent exister. Certaines lisaient, tandis que d'autres s'endormaient paisiblement, couvées par les doux rayons du soleil.

Barnabé reconnut un groupe de lycéens chahutant et discutant bruyamment près d'un pin, et aussitôt, il remercia le ciel d'avoir fait déguerpir Céleste et Élie. Un petit blond aux boucles d'or se plaisait à raconter une histoire à ses amis, passant une main dans sa chevelure d'ange. Son ami, un peu plus discret, renouait avec peine son bandana grenat, et discutait avec une rouquine au nez recouvert de crème solaire. Allongée sur le ventre, un livre à la main et pestant à chaque fois qu'une blonde aux grands yeux azurs lui envoyait des brins d'herbe sur elle, se trouvait une silhouette longiligne aux mèches onyx.

Barnabé n'avait jamais apprécié la bande de Noé Snapp, ainsi que ses amis, Ulysse Anvers, Diane Thomas, Juliette Donsand et Laure Perbet. Bon, à vrai dire il les avait toujours toléré et s'était même rendu à une fête organisée par le blond l'été dernier, mais disons que ce n'était pas pour autant qu'ils étaient amis. Puis il y avait eu le divorce des parents de Céleste et la bande avait découvert que le père de la brunette sortait avec la mère de Noé, elle aussi divorcée. Et comme si cela n'avait pas suffit, il avait fallu que Laure, cette demoiselle je-sais-tout largue ce pauvre Élie sous prétexte qu'ils allaient étudier loin l'un de l'autre.

Non vraiment, les relations des Alphapabêtes avec la bande de Noé étaient vouées à l'échec dès lors qu'elles avaient commencé.

—Eh Barnabé ! héla Boucle d'or depuis l'endroit où il se trouvait. 

Barn' grommela dans sa barbe, maudissant le polo orange fluo qu'il avait décidé de porter aujourd'hui — vraiment pas une bonne idée lorsque l'on souhaitait passer inaperçu. Toutefois, le Saint-Lacois se tourna en direction des lycéens et leur adressa nonchalamment un signe de la main. Puis il sortit une cigarette de sa poche de short, ainsi que son briquet avant d'allumer le cylindre blanc. Le portant à ses lèvres, Barnabé espérait que Noé l'avait déjà oublié. Néanmoins, le problème avec ce dernier, c'était qu'il était encore plus bavard que le père Laurent de l'église de Saint-Lac.

Aussi lorsque vous le croisiez dans la rue ou au détour d'un couloir, mieux valait fuir en courant. 

—Viens t'asseoir avec nous mec au lieu de rester planté comme ça à rien faire ! ajouta le garçon et Barnabé préféra obtempérer.

Le brun se résolut donc à se traîner jusqu'au cercle que formaient les amis du Franco-allemand, espérant que Céleste, Élie et Delphine ne tarderaient guère à arriver. Juliette Donsand, la fille du maire de Montdesbois, se décala légèrement pour lui faire une place à ses côtés. La blonde était peut-être la seule des amies de Noé que les Alphapasbêtes appréciaient. C'était une jeune fille plutôt simple, qui ne cherchait guère à se venter de la situation de son géniteur et qui n'hésitait pas une seule seconde à défendre ses amis et ses opinions.

Ulysse Anvers, le gars au bandana, était son meilleur ami en plus d'être le garçon le plus humble et le plus serviable qu'il soit. La plupart du temps, il aidait ses parents dans leur pâtisserie de Montdesbois, Le Nuage bleu ce qui expliquait la douce odeur de pâte à choux imprégnée à ses vêtements. Diane Thomas et Laure Perbet n'avaient cependant aucune qualité remarquable selon Barnabé. Elles paraissaient superficielles et psychorigides, d'ailleurs Barn' se demandait bien comment Élie avait pu tenir aussi longtemps en compagnie de Laure.

Avec son nez busqué et ses joues creusées, il fallait croire qu'elle avait jeté un sort au Tahitien pour le garder.

—Comment ça se fait que t'es tout seul ici ? s'enquit Noé en s'adossant au tronc du pin situé derrière lui. Me dis pas que t'as enfin réalisé que la berge de Montdesbois est cent fois plus stylée que celle de Saint-Lac.

—À vrai dire, j'attend mes amis : ils sont partis chercher nos instruments de musique. Le père d'Aurore nous a demandé de faire un petit concert en plein air pour accompagner cette si belle journée, répondit cordialement Barnabé en laissant échapper quelques volutes de fumée.

—Les Alphapabêtes vont venir jouer ici cet après-midi ? s'étonna Juliette en arquant un sourcil. Ma foi ce n'est pas une mauvaise idée : au moins ça obligera Noé à arrêter de débattre sur un sujet aussi inutile que le bout en plastique des lacets.

Barnabé lâcha un petit rire, par pur politesse. Il ne se sentait pas vraiment à l'aise parmi cette bande de copains d'enfance. C'était comme si malgré leur gentillesse et leurs répliques amusantes, Barnabé ne pouvait s'empêcher de penser qu'ils étaient tous plus faux envers lui les uns que les autres. Si Aloïs avait été là, il aurait déclaré que tout ceci n'était que des balivernes et que Barn' voyait le mal là où il n'y était guère, c'était d'ailleurs là son plus grand défaut.

—Barnabé ! Ramène ta fraise sur le champ ! s'écria une voix dans le dos du jeune homme.

Il se retourna et remarqua que Delphine, Céleste et Élie étaient de retour. Les deux derniers se chargeaient déjà de descendre les caissons de la batterie. Delphino avait formé un porte-voix à l'aide de ses mains et hélait leur ami afin qu'il vienne les aider. Barnabé remarqua le coup d'œil que Céleste adressa à Noé et il se pinça les lèvres.

—C'était sympa de vous voir les gars, mais faut vraiment que j'aille les aider, s'excusa le brun en prenant congé auprès de la bande de Noé.

Puis il se releva d'un coup, sa clope à moitié terminée glissée entre deux doigts, et s'en alla donner un coup de mains aux membres de son groupe de musique.

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