08 | ALOÏS EST COINCÉ & LA LISTE TANT DÉSIRÉE
𝐷𝑒𝑙𝑝ℎ𝑖𝑛𝑒 𝑀𝑒𝑟𝑐𝑖𝑒𝑟
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LE GRAND JOUR ÉTAIT ARRIVÉ POUR LES ALPHAPABÊTES : L'ANNIVERSAIRE TANT REDOUTÉ AVAIT LIEU CE SOIR, DANS LE JARDIN DU MAIRE.
À peine s'était-elle levée ce matin là que Delphine avait aussitôt sauté hors de son lit, bien trop énervée par les événements de la journée pour y rester affalée un instant de plus. Puis elle avait envoyé un message au restant de la bande, les conviant à un rassemblement de toute urgence au bar de l'Anaphore, situé en plein cœur de Saint-Lac. Tous avaient répondu positivement à l'appel, sauf Aloïs bien sûr qui devait se rendre à son job d'été. Et bientôt, les quatre membres restants du groupe de musique jacassaient dans un coin du bistrot encombrée.
Le bar de l'Anaphore était à Saint-Lac ce que le Tournesol Levant était à Montdesbois. Il s'agissait d'un lieu empli de vie, où se restauraient les touristes de passage ou encore les habitués du coin. Contrairement à son homologue montdesboisien, le bistrot saint-lacois n'était pas aussi branché. Aussi trouvait-on des banquettes d'un émeraude subjectif, la plupart du temps griffées par les poches de jeans ou encore coloriées par les plus petits. C'était un lieu familial où il y avait plus de bambins larmoyants que d'adolescents.
Le patron, Yann Sigurd était un homme d'une soixantaine d'années approchant grandement de la retraite. Avec sa calvitie proéminente, ses lunettes de travers sur son nez à cause de sa branche cassé et ses manières, Monsieur Sigurd était un tout un personnage à lui-même. Il parlait plutôt vite et s'agaçait rapidement lorsqu'on le faisait attendre. Il avait beau être aigri envers ses clients, ce n'était pas pour autant que l'Anaphore désemplissait.
Delphine avait l'impression que Monsieur Sigurd et sa mauvaise humeur ne faisaient qu'attirer davantage les touristes et les habitués, comme s'ils se faisaient passer le mot sur le comportement étrange du propriétaire. La jeune métisse, elle, l'appréciait plutôt ce vieux Monsieur efféminé, surtout parce qu'elle le connaissait depuis toujours, tout comme le restant de la bande — mis à part Élie. Et bien qu'il ne manquait pas de leur faire savoir lorsqu'ils l'agaçaient, Yann Sigurd leur offrait souvent une tournée gratuite.
Pour résumer, on pouvait dire que tout comme le garage d'Aloïs, le bar de l'Anaphore était l'un des repères des Alphapabêtes. Un lieu chargé d'émotions et de souvenirs dont Delphine ne souhaiterait se séparer.
— Pourquoi il ne me l'a toujours pas envoyée ? Me dites pas qu'il a oublié notre marché quand même, s'agaçait déjà Céleste en examinant sa messagerie de téléphone portable.
— Peut-être qu'il dort encore ? suggéra Élie en sirotant son éternelle tisane à la verveine. Un type comme ça ne doit pas trop être fatigué par ses fonctions.
— Oui mais quand même, il est presque onze heure, renchérit Céleste en levant les yeux au ciel. Je veux bien croire qu'il ne travaille pas beaucoup mais quand même !
Delphine était bien d'accord avec son meilleur ami sur ce point là. Monsieur Guibon, le maire de Saint-Lac paraissait passer plus de temps à soigner son apparence plutôt qu'à régler les potentiels litiges entre ses habitants. La preuve étant qu'il n'avait cessé de passer sa main dans ses cheveux pendant leur entrevue de la veille. Même sa collègue, la dénommée Claire qui pourtant avait l'air d'être coquette, n'avait pas eu l'air aussi obsédée par son apparence que lui.
Delphine avait un peu peur de rencontrer la fille du maire. Non pas qu'elle était terrifiée à l'idée de se retrouver face à une collégienne, mais plutôt car elle ignorait tout de son caractère. Tel père telle fille disait le vieux dicton et Delphine pour une fois, espérait qu'il se trompait.
— Mauvaise nouvelle les gars, annonça Barnabé en revenant s'asseoir à leurs côtés — il était parti téléphoner dehors. Aloïs est coincé au Royaume Glacé jusqu'à six heure à cause de sa collègue. Elle est malade et ne pourra pas travailler cet après-midi, c'est pourquoi cette mégère de Katia a réquisitionné notre rouquin préféré.
— Oh non... Mais comment on va faire sans lui ?! Il garde tout le matériel dans son garage et ses parents ne rentrent pas avant sept heure, se lamenta Céleste en pianotant du bout des doigts contre la table.
— No stress Cél', la rassura son copain en posant une main sur son avant-bras. On n'aura qu'à passer au lac en début d'après-midi pour récupérer les clés de chez Lo'.
— Puis on aura qu'à prendre ma voiture pour tout transporter. Certes, elle est pas aussi cool que Jacqueline mais on fera avec, avoua Élie en souriant à la brune.
Céleste afficha une mine perplexe pendant quelques secondes avant de finir par accepter. De toute façon, ils n'avaient pas d'autre choix que de tout préparer avant l'arrivée d'Aloïs — du moins si Katya le laissait partir un jour. Néanmoins, Delphine se demandait bien comment ils allaient faire rentrer sa batterie dans la voiture d'Élie. Elle avait beau être plus spacieuse que la deux chevaux, la Golf de son ami ne possédait pas pour autant de toit ouvrant. Sans compter les nombreuses baffles, microphones, clavier et guitares qu'ils devaient également transporter en plus de câbles et des multi-prises.
Non, cela allait être bien trop compliqué dans un espace aussi limité en hauteur de plafond. Il fallait trouver une autre solution, une solution qui permettait de se servir de Jacqueline.
— J'ai une idée ! s'écria subitement Delphine en terminant sa bière légèrement réchauffée. Et si on allait proposer notre aide au Royaume Glacé ? Peut-être que Katia accepterait de nous engager bénévolement pour la journée ? Comme ça, on aide Aloïs avec les commandes des clients et vu que l'effectif de serveurs est multiplié, il finit beaucoup plus tôt que prévu !
— Hum... Je voudrais pas briser tes rêves Delphino, commença Barnabé en se mordant la lèvre. Mais je doute sincèrement que Katia veuille bien nous engager, même bénévolement. Faut pas croire mais les jobs comme ça c'est beaucoup plus structurés que ce qu'on peut penser. Puis je vois pas en quoi être plusieurs va réduire le nombre de clients et aider Aloïs : si on fait ça, leur nombre ne va cesser d'augmenter au lieu de diminuer.
— Tu proposes quoi dans ce cas ? demanda Élie en remontant ses lunettes sur le bout de son nez. Parce qu'à moins d'un miracle, je ne vois pas trop comment on peut libérer Aloïs des griffes de sa patronne.
— Bon, ça va peut-être pas vous plaire, surtout à toi Céleste, mais j'ai pensé à un truc pendant que j'étais au téléphone avec Lo'. On ne peut décemment pas chasser les clients un à un ou encore lécher les bottes de Katia pour qu'elle le laisse partir. Non, faut la jouer plus fine.
— C'est-à-dire ? poursuivit Delphine en fronçant les sourcils, légèrement perdue.
— On va organiser un mini concert clandestin de l'autre côté de la rive, près du snack-bar des parents d'Aurore Norrand. Ils sont pas du genre à rechigner sur un peu d'animation et vu qu'on s'est déjà produits plusieurs fois là-bas et que Delphine a failli sortir avec leur fille, ils nous connaissent bien et ne poseront pas trop de questions.
— Je vois où tu veux en venir, annonça la métisse alors que son air perdu disparaissait peu à peu. Le fait qu'il y est de l'animation de l'autre côté de la rive va attirer les clients vers le snack-bar et par conséquent vers Montdesbois.
— En effet. Et les clients du Royaume Glacé vont eux aussi migrer vers le village d'à côté et délaisser le stand de glace de Saint-Lac. Katia ne fera peut-être pas beaucoup de profit aujourd'hui, mais au moins Aloïs, vu qu'il n'y aura plus autant de clients, sera sûrement libéré de ses obligations beaucoup plus tôt, acheva Barnabé en laissant son dos retomber contre la banquette usée.
Delphine fut la première à approuver l'idée, bientôt suivie par Élie qui déclara qu'ils n'auraient qu'à prendre sa voiture pour transporter le strict minimum. Seule Céleste, fidèle à ses habitudes, demeurait sceptique. Elle se pinçait les lèvres et paraissait peser le pour et le contre dans sa tête. Delphine aurait voulu s'emparer de ses épaules et la secouer en clamant que c'était l'idée du siècle. Toutefois, n'ayant guère envie de passer pour une hystérique, la brune aux iris ébènes se contenta de la fixer avec beaucoup d'intensité.
Après quelques instants de silence, Céleste se décida à parler, non sans tripoter le bas de son t-shirt comme elle le faisait lorsqu'elle se sentait partagée entre deux choses.
— Vous pensez vraiment que c'est une bonne idée ? s'enquit-elle timidement. Je sais pas, mais j'ai l'impression que c'est comme une sorte de trahison que l'on fait à Saint-Lac. Puis Katia, même si elle n'est pas toujours cool avec Aloïs, ne mérite pas de voir tous ses clients piqués par le concurrent d'en face. Imaginez qu'elle soit tellement en rogne qu'elle mette à la porte Aloïs ? Je m'en voudrais terriblement.
— Il va rien arriver de tout cela Céleste, la rassura Barnabé en lui accordant un prompt baiser. Katia ne va pas faire faillite et encore moins virer Lo' pour quelques clients en moins. Puis je vois pas pourquoi tu vois ça comme une trahison envers Saint-Lac. T'es pas mariée avec ce village à ce que je sache et puis Montdesbois, c'est plutôt sympa.
— Montdesbois c'est comme un coquelicot : aussi fade que beau, rétorqua Céleste en croisant les bras.
— Eh bien si tu chantes cet aprem, dis-toi que tu rendras ce village beaucoup moins fade, lança Élie en esquissant un sourire.
Céleste s'apprêtait à répondre au Tahitien lorsque son téléphone portable sonna. Elle s'en empara brusquement et pianota vivement dessus avant d'annoncer :
— Le maire vient de m'envoyer la liste pour l'anniversaire de sa fille.
— Génial ! Et y a quoi dessus ? s'empressa de demander Delphine.
Pour toute réponse, la brune lui tendit son téléphone. Delphine parcourut du regard la liste longue d'une trentaine de chansons toutes plus différentes que les autres. Certaines que Delphine appréciait s'y trouvaient, bien que la majorité ne lui revenait pas ou ne faisait guère partie de son registre musical.
— Eh bien, je sais ce qu'on va chanter cet après-midi, débita la métisse en rendant son téléphone à son amie.
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