06 | SILHOUETTE ERRANTE & EXCUSES ACCEPTÉES

𝐶𝑒́𝑙𝑒𝑠𝑡𝑒 𝐺𝑎𝑟𝑛𝑖𝑒𝑟

LES RUES DE SAINT-LAC ÉTAIENT PLUTÔT DÉSERTES CET APRÈS-MIDI LÀ, ce qui ne déplaisait pas plus que cela à Céleste.

Les habituels cris et rires qui égayaient les rues du petit village s'étaient taris, remplacés par les gazouillis lointains de quelques merles vagabonds. Aucune voiture ne pointait le bout de son nez à l'horizon, aucun vélo ni aucun piéton. La jeune femme était seule, foulant l'asphalte brûlant de ses pieds traînants. Les rayons du soleil embrassaient sa peau claire et bien qu'elle tenait son chapeau du bout des doigts, elle n'avait même pas le courage de se couvrir la tête avec.

La vérité était que Céleste s'en voulait un peu d'avoir réagi de la sorte, d'une façon plus que puérile. Élie avait raison dans un sens, elle voulait tout contrôler et en venait même à oublier le libre-arbitre de ses compagnons. C'était hélas son plus grand défaut, cette manie d'imposer ses désirs et ses ordres tel un dictateur. Et puis elle regrettait d'avoir mal parlé à Aloïs ainsi qu'à Delphine alors qu'avec du recul, Céleste devait tout de même admettre qu'ils avaient eu de bonnes idées.

Et voilà maintenant qu'elle les avait laissés tomber sur un coup de tête, juste histoire de rester campée sur ses positions comme la jeune femme butée qu'elle était. Elle les abandonnait, la veille d'un événement aussi important que l'anniversaire de la fille du maire - bien que ce dernier ne semblait avoir de la valeur qu'à ses yeux, étant donné la nonchalance d'Élie. Comment allaient-ils faire sans ses talents de chanteuse ? Il y avait bien Barnabé pour la remplacer même s'il avait souvent tendance à fuir cette idée.

Céleste avait envie de faire demi-tour, de courir s'excuser pour son comportement et les termes blessants qu'elle avait eu à l'égard de ses amis. Elle voulait tout effacer, oublier le semblant d'ultimatum que le maire leur avait posé, oublier l'anxiété et le stress que ce dernier avait généré. Faire machine-arrière était désormais le souhait le plus cher de Céleste, néanmoins il était de loin le plus dur à réaliser. Machinalement, la brunette sortit de sa poche de short son téléphone, ouvrit l'application des messages et glissa vers leur discussion de groupe.

Ses doigts pianotèrent à toute vitesse le long de l'écran légèrement rayé. Les pensées de la jeune femme se bousculaient dans son esprit, tel un ouragan des plus mouvementés, et ce n'était qu'à la fin de son message, qu'elle réalisa qu'elle s'était pincée les lèvres jusqu'au sang pendant toute l'écriture de ce dernier. Un goût métallique, vaguement écœurant côtoyait ses papilles gustatives, mais Céleste s'en moquait un peu. Tout ce qui comptait à présent, c'était le mot qu'elle venait de rédiger et qu'elle contemplait avec une certaine nervosité.

"Je suis désolée les gars, je sais pas trop ce qui m'a pris tout à l'heure. Tout ce que je voulais c'était passer du bon temps à vos côtés, pas me disputer avec vous pour des conneries. Je sais que ce que j'ai dit n'était pas vraiment cool mais j'espère que vous me pardonnerez, surtout toi Élie. Je voulais pas te faire de la peine en parlant de Laure, et dès que c'est sorti je l'ai regretté. Puis j'avais pas vraiment envie de partir non plus, je veux pas vous laisser tomber à la veille de deux représentations. Alors j'espère que vous accepterez mes excuses quant à mon mauvais comportement."

Le téléphone de la jeune femme tremblait légèrement entre ses doigts alors qu'elle lisait pour la énième fois les substantifs inscrits sur l'écran. Céleste ne savait plus trop si c'était une bonne idée ou non de s'excuser de cette façon. Elle avait un peu l'impression de revenir comme une fleur après la troisième guerre mondiale, de faire tache dans le décor avec ses excuses bidons après tout ce qu'elle leur avait dit. Aussi décida-t-elle de supprimer le message qu'elle avait tapé avant de ranger son téléphone dans sa poche.

Elle n'aurait qu'à leur transférer le message du maire quand ce dernier lui aura confié la liste de chansons et puis elle cessera de les importuner. C'était peut-être même la meilleure chose à faire.

La maison des Garnier était vide lorsque Céleste ouvrit la porte d'entrée. Sa mère n'était pas encore rentrée du travail et Lucas avait laissé un mot sur le comptoir comme quoi il allait au lac avec ses amis. Céleste fut tentée l'espace d'un instant de le rejoindre, avant de se rappeler que les amis de son petit-frère rentraient à peine en quatrième. Oubliant cette idée soudaine, Cél' retira ses Converses grossièrement avant de se traîner jusqu'au canapé brun du salon. Un caleçon d'homme - qu'elle espérait propre - était coincé entre les coussins défraîchis et la jeune femme le retira avec dégoût avant de s'asseoir.

Il appartenait sûrement à Dan', le gars que sa mère commençait à fréquenter depuis le début de la semaine. Cette perspective nouvelle eut le don de dégoûter encore plus Céleste qui préféra allumer la télévision pour chasser ces terribles idées. Il n'y avait pas grand chose à regarder le mercredi après-midi quand on avait moins de soixante-dix ans et qu'on était loin d'être passionnée de telenovelas. Aussi Céleste préféra-t-elle se perdre dans les méandres des réseaux sociaux avec en fond, un vieil épisode de la série Malcom.

La tentation de téléphoner à Barnabé se faisait plus forte au fur et à mesure des heures s'écoulant. Le garçon était le seul à qui Céleste pouvait se risquer de parler, sans pour autant se faire remballer ou qu'on ne critique son mauvais comportement. Après tout, Barnabé était loin d'être un saint - contrairement à ce que pensaient ses parents. En effet, il s'était de nombreuses fois disputé avec les autres membres des Alphapabêtes au cours des ans. Toutefois, le jeune homme s'était toujours débrouillé pour se faire pardonner et réintégrer la bande.

Et Céleste comptait bien en faire de même.

Alors elle ne se questionna guère plus longtemps et composa le numéro de son prince charmant. Une sonnerie retentit, puis deux et à la troisième, on décrocha à l'autre bout de l'appareil. Céleste fut accueillie par un silence morbide qui ne manqua pas de lui rappeler qu'il ne s'agissait peut-être pas d'une bonne idée. Des chuchotements inaudibles provenaient aux oreilles de la jeune femme, sans pour autant qu'elle ne comprenne ce qu'il se disait. Or elle était sûre qu'ils jacassaient à son sujet et pensaient également être discrets.

- Céleste ? Qu'est-ce que tu veux ? demanda Barnabé d'une voix neutre, dénuée de toute émotion.

- Je m'excuse, déclara-t-elle de manière succincte. Et je veux pas quitter le groupe.

Les chuchotements se firent plus intenses suite aux paroles de Céleste, et la jeune femme ne put s'empêcher de mordiller les peaux mortes autour de son doigt. Pourvu que ça marche, priait-elle en fermant les yeux.

- Excuses acceptées, affirma son petit copain à l'autre bout du fil et Cél eut l'impression qu'on lui retirait un poids de la poitrine.

- Dans ce cas j'arrive tout de suite ! J'espère que vous n'avez pas terminé de répéter !

- Un instant. C'est pas parce qu'on accepte des excuses que t'es pour autant pardonnée, ajouta une voix qui n'avait rien à voir avec celle du brun - Delphine peut-être. Tu nous as gâchés notre après-midi de répétition avec ton attitude déplaisante, alors crois pas que tu puisses revenir aussi facilement que ça. On veut bien que tu réintègres le groupe mais suivant plusieurs conditions.

Ouch. Ça faisait mal. Néanmoins Céleste hocha gravement de la tête, avant de se souvenir que Delphine ne pouvait pas la voir. Elle était prête à tout pour assurer le spectacle demain et surtout se faire pardonner pour son comportement de princesse pourrie gâtée.

- De un, tu arrêtes de nous crier après et de nous parler avec un air condescendant sous prétexte que tu es stressée. De deux, c'est nous qui choisissons le morceau à jouer, pas seulement toi, et il faut que tout le monde puisse user de son instrument. De trois, si tu veux venir ce soir, tu fais des cupcakes pour tout le monde et surtout pour Élie avec qui tu n'avais pas à te disputer alors que tu savais pertinemment qu'il avait raison.

- Et vous me pardonnerez si je fais tout ça ? C'est un peu du chantage que tu me fais, Delphino, grommela Céleste alors que la porte claqua derrière elle.

La jeune femme éloigna son téléphone de ses oreilles et se tourna en direction du nouvel arrivant. Il s'agissait de Lucas qui, dégoulinant de la tête au pied, venait tout juste de rentrer du lac de Montdesbois. Le pré-ado ne fit guère attention à son aînée, se contentant d'aller piocher une des glaces au chocolat traînant dans le congélateur. Voyant qu'elle n'obtiendrait rien d'autre de ce dernier, Céleste reporta son attention sur la conversation qu'elle entretenait avec Delphine.

- Certes, mais avoue que tu nous dois bien ça après la scène que tu nous as faits cet aprem, rétorqua la métisse et Céleste soupira.

Capitulant, la jeune femme se releva du sofa où sa mère et Dan' avaient sûrement pratiqué des choses peu catholiques, et se dirigea vers le réfrigérateur.

- Chocolat ou vanille les cupcakes ?

Vraiment, qu'est-ce qu'elle ne ferait pas pour se faire pardonner ?

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