05 | SITUATION DE CRISE & RÉPÉTITION PERTURBÉE

𝐸́𝑙𝑖𝑒 𝐵𝑜𝑢𝑟𝑔𝑒𝑜𝑖𝑠

ÉLIE AVAIT TOUJOURS APPRÉCIÉ RÉPÉTER DANS LE GARAGE D'ALOÏS. Pourtant ce jour-là, la répétition était loin d'être une partie de plaisir.

Alors qu'il se plaisait à accorder sa guitare en sifflotant gaiement, tapant du pied au son de la musique s'échappant de l'enceinte portable de Delphine, Céleste quant à elle effectuait les cent pas. Elle ne cessait de tourner en rond, se massant les poignets frénétiquement, comme une sorte de trouble obsessionnel compulsif. Son débardeur à volants camel brassait l'air alors qu'elle accélérait le pas, manquant de percuter de plein fouet son petit ami, Barnabé.

— Eh, tout va bien se passer Céleste, la rassura ce dernier en tentant de la prendre dans ses bras.

Toutefois la jeune femme se dégagea de son étreinte d'un air agacé, l'envoyant bouler un peu plus loin. Barnabé voulut dire quelque chose mais se ravisa lorsqu'il constata que cela ne servirait à rien. Delphine échangea un furtif regard avec le jeune homme, puis soupira en se remettant à nettoyer les caissons de sa batterie. Aloïs dans son coin parcourait avec habilité son classeur de partition, recherchant une reprise que les amis de la fille du maire seraient susceptibles d'apprécier.

Élie ne comprenait pas pourquoi Céleste se mettait dans un tel état. Certes, elle avait dû mentir pour obtenir une chance de se produire à la fête du village, et par conséquent ils devaient faire leur preuve le lendemain chez le maire lui-même. Mais le Tahitien ne voyait pas pourquoi elle s'alarmait de cette façon-ci : après tout, n'avaient-ils pas déjà joué des centaines de fois ensemble, si ce n'était des milliers ? Oui, le brun ne voyait pas pourquoi la chanteuse du groupe stressait autant.

Qu'est-ce qu'il aurait pu dire lui aussi, avec ses nerfs à cran depuis sa séparation avec Laure  ? — qu'il fréquentait tout de même depuis presque deux ans. Et pourtant lui était venu, car la perspective de partager quelques instants en compagnie de ses amis était de loin le meilleur remède qu'il lui fallait.

— On pourrait jouer du Lorde ? C'est à la mode chez les collégiens, non ? tenta le rouquin en se redressant vers le restant du groupe.

— Réfléchis un peu Aloïs, contra Céleste en se tournant vers le garçon, Lorde c'était à la mode quand on était en cinquième. Alors tu crois vraiment que c'est toujours le cas ou tu te moque juste de moi ?

Aloïs se renfrogna immédiatement et retourna à la contemplation de son classeur. Élie eut de la peine en le voyant se faire disputer de la sorte par Cél' : bon dieu mais que lui arrivait-il aujourd'hui ? Le pauvre Aloïs n'avait fait que de proposer une idée, qui certes n'était pas la meilleure de l'année selon Céleste, cependant il ne méritait pas qu'on lui parle comme s'il n'était qu'un moins que rien. L'attitude de la brune aux iris émeraudes plaisait de moins en moins à Élie qui pourtant, était réputé pour son calme olympien — surtout lorsqu'il s'agissait d'un de ses amis.

— Sinon ce qui marche en ce moment c'est Ariana Grande, se risqua Delphine en s'échauffant les poignets. On part sur une valeur sûre si on tourne dans ce registre.

Le restant du groupe avait plutôt l'air emballé par l'idée de la métisse, et déjà Aloïs avait sorti son téléphone portable à la recherche du bon morceau. Malheureusement — et il fallait s'y attendre —, la suggestion de Delphine n'était pas encore au goût de Céleste qui s'exclama :

— Mais vous êtes dingue, ma parole ! J'ai pas du tout la même puissance vocale qu'elle. Le maire ne va pas du tout apprécier si ce que nous faisons est de l'approximatif. Non, ce qu'on va faire c'est qu'on va chanter un ou deux morceaux d'Angèle pour commencer. Tout le monde aime Angèle et c'est facile à jouer et à chanter.

Visiblement, Céleste avait fait son choix depuis un moment déjà et attendait juste une occasion pour en faire part aux Alphapabêtes. Élie voulait bien croire qu'elle était la chanteuse et que par conséquent, elle avait en priorité son mot à dire sur les morceaux qu'ils allaient jouer, toutefois, eux aussi devaient être d'accord, il ne fallait pas l'oublier.

Aussi Élie, n'étant guère un grand fan d'Angèle, voulut protester et faire part de son désaccord. Cependant, c'était avant d'apercevoir les gros yeux que Barnabé lui faisait, et qui étaient censés le décourager. Alors Élie laissa tomber, non désireux de se fâcher avec le fils de deux grenouilles de bénitier, et attrapant sa guitare, il demanda à Céleste quel morceau elle voulait chanter en premier.

— J'avais pensé à "La thune", répondit cette dernière en s'emparant du microphone reposant sur l'une des baffles.

Delphine fronça les sourcils suite à cette annonce et Élie se demanda bien pourquoi elle réagissait de la sorte. Ce n'était pas tant la difficulté du morceau qui était susceptible de la gêner, ni le rythme paisible de ce dernier. Aussi Élie ne voyait pas bien où se trouvait le problème — si ce n'était qu'il résidait en Céleste et la tête de mule qu'elle affichait depuis son échange avec le maire.

— Mais... Je crois pas qu'il y ait de batterie dans ce morceau, répliqua la métisse en se pinçant les lèvres.

— Eh bien ce n'est pas grave, tu ne joues pas. Et pendant ce temps-là, tu n'as qu'à chercher une nouvelle idée de chanson. Ou tu peux encore aller chercher les cookies que la mère d'Aloïs a laissé sur le comptoir de la cuisine, lâcha Céleste en balayant les paroles de sa meilleure amie du revers de la main, l'air totalement désinvolte.

C'en était trop pour Élie, le jeune homme se devait d'intervenir avant que la situation ne tourne au vinaigre. Du moins, si ce n'était pas déjà trop tard. Et voyant que Delphine demeurait interdite, assise sur son tabouret, cherchant à savoir si Cél' plaisantait ou non, Élie en vint à la conclusion qu'il ne pouvait pas laisser passer cela.

— Delphine, tu restes là : on va trouver un morceau que tu pourras toi aussi jouer. Vous vous souvenez de ce qu'on dit toujours ? On ne joue jamais l'un sans l'autre. Et toi, Céleste, je ne vois pas pourquoi tu stresses autant : c'est juste l'anniversaire d'une collégienne qui ne sait peut-être même pas faire la différence entre du rock et du hard-rock. En plus, tu ne t'en rends même pas compte, mais tout ce que tu réussis à faire depuis qu'on est là, c'est nous crier dessus alors qu'on cherche tous une solution, expliqua Élie en se levant d'un bond.

Du haut de son mètre soixante-trois, Céleste ne pouvait rien contre un géant de la trempe d'Élie. Malheureusement, la jeune femme n'était guère connue pour avoir sa langue dans sa poche, aussi se permit-elle de répondre au Tahitien.

— Ce n'est pas juste un anniversaire, Élie, c'est notre ticket pour savoir si oui on non nous sommes pris pour animer la fête du village, débita sèchement la brunette d'un air pincé. On n'a pas le droit à l'erreur.

— Bordel, Cél' ! On dirait que tu joues ta vie là ! Qu'est-ce qu'on s'en fiche que tout soit parfait ou non ! L'important c'est qu'on s'amuse et que les ados s'amusent également. Puis c'est pas la mer à boire si on n'est pas retenus pour la fête du village de Saint-Lac : on aura qu'à se présenter pour celle de Montdesbois si jamais ça marche pas. Et puis même si on est pris, en quoi ça va changer ta vie de pouvoir ambiance les trois papys du coin ? demanda Élie en faisant de grands gestes avec ses mains.

— Ce que tu peux manquer de sérieux Élie, c'est dingue ! Pas étonnant que Laure t'ait quitté si tu étais aussi nonchalant dans votre relation que tu l'es aujourd'hui. De plus, il est hors de question qu'on joue pour ce village à la noix, c'est pas pareil que pour le bal du lycée, là il y aura beaucoup plus de gens pour nous juger, dont la catin avec qui mon père sort. Jouer à Saint-Lac est la plus grande opportunité qui nous ait été proposés depuis la formation du groupe, on ne peut par conséquent pas la gâcher ainsi !

— Alors c'est comme ça que tu fonctionnes : mademoiselle décide de ce qu'elle veut faire et nous, on doit suivre comme de vulgaire petits moutons ? Bravo, belle philosophie de la part de quelqu'un qui veut partir en fac de droit et rétablir la justice ! ironisa Élie en frappant dans ses mains, une moue faussement ravie esquissée sur son visage caramel. Et pour ce qui est de Laure, je t'interdis de dire quoique ce soit à ce sujet : ça ne te regarde pas.

Céleste n'en démordait pas pour autant. Les bras croisés devant sa poitrine, la jeune femme regardait avec une certaine contrariété le Tahitien. Cél' n'avait jamais apprécié qu'on la contredise et si jusqu'à ce jour Élie avait veillé à ne pas se disputer avec elle, il se devait tout de même d'admettre qu'il était plutôt soulagé de lui avoir fait part de ses quatre vérités. Le jeune homme tourna la tête vers Aloïs, Barnabé et Delphine : ces derniers demeuraient muets et observaient tour à tour leurs deux amis, comme des spectateurs durant un match de tennis.

Élie remarqua qu'un faible sourire était esquissé sur le minois en cœur de Delphine, comme si elle souhaitait le remercier d'avoir pris sa défense tout à l'heure. De son côté, Barnabé paraissait plus qu'agacé par le comportement de sa petite-copine — bien qu'il se serait gardé de lui faire la moindre reproche. Enfin, Aloïs avait totalement abandonné le débat et fixait à présent le sol d'un air penaud.

Élie eut de la peine pour le rouquin : il était si fragile à voir, avec ses boucles de feu qui tombaient tristement devant ses iris saphirs. Il devait sûrement se sentir responsable de cette querelle nouvelle, alors qu'en réalité, il n'y était pour rien : c'était Céleste qui faisait des siennes depuis leur retour de la mairie, c'était elle qu'il fallait blâmer.

— T'as autre chose à dire ? cracha Céleste en reposant le microphone là où elle l'avait pris.

— Non.

— Dans ce cas je m'en vais. Débrouillez-vous sans moi demain et n'espérez pas que je vienne samedi soir.

Et sur ces dernières paroles, Céleste s'empara de son chapeau et quitta le garage d'Aloïs, sans pour autant que quelqu'un ne se décide à la retenir.







Dramaaaaaaaaa !
(#SKAM)

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