03 | UN CŒUR BRISÉ & TROIS TISANES TROP SUCRÉES

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À PEINE DELPHINE ÉTAIT-ELLE RENTRÉE CHEZ ELLE CET APRÈS-MIDI, que son téléphone s'était mis à vibrer de toutes ses forces dans la poche de son short.

Le temps de claquer une bise contre la joue de son père — qui venait tout juste de rentrer de son boulot de boulanger —, les gémissements du smartphone s'étaient tus. Aussi Delphine s'empara-t-elle de ce dernier d'un geste rapide, comme elle le faisait depuis tant d'années, et consulta rapidement ses messages. Elle avait reçu un snap d'Élie, son meilleur ami.

Vu l'absence des snap streaks en face de son surnom, Delphine crut l'espace d'un instant qu'il venait se plaindre auprès d'elle, comme quoi ils avaient encore perdu leurs "flammes" et que si elle ne se bougeait pas les fesses, cela allait être encore pire l'année prochaine. Néanmoins, lorsque Delphine glissa sur la conversation, elle fut étonnée de n'y trouver que ces cinq mots : "viens à la maison. stp.". La métisse fronça les sourcils, brusquement intriguée par le ton qu'avait employé Élie.

Ça ne lui ressemblait pas d'être aussi succinct. Aussi Delphine avait le mauvais pressentiment qu'il s'était passé quelque chose cet après-midi, pendant qu'ils étaient tous au lac. La jeune femme aux prunelles sombres fronça les sourcils, relisant pour la énième fois les substantifs inscrits sur l'écran de son cellulaire, juste avant que d'autres n'apparaissent : "Laure a mis fin à notre pause. Elle ne veut plus rien avoir à faire avec moi".

Et ces derniers mots finirent par convaincre totalement la jeune femme. Élie avait besoin d'une épaule sur laquelle pleurer, et quoi de mieux que celle de sa batteuse préférée ?

Le père de Delphine, Hugo Mercier, était allongé sur le sofa en cuir du salon, celui sur lequel Effie — Efferalgan de son vrai nom —, le chat écailles de tortue de la famille, passait son temps à faire ses griffes. Delphine avait toujours trouvé ce nom stupide, mais bon, il fallait croire que cela amusait grandement sa mère, Isabelle, pharmacienne de son métier. Et bien que Delphine levait les yeux au ciel à chaque fois que sa génitrice faisait une blague à ce sujet, elle ne pouvait toutefois s'empêcher de l'admirer, avec ses yeux pétillants, son teint mat et ses jolies boucles ébènes.

Isabelle Mercier n'avait pas eu une enfance des plus faciles. Grandir dans une cité délabrée de Marseille était bien loin du confort que le village de Saint-Lac pouvait apporter. Aussi la voir sourire ainsi suffisait à faire oublier à Delphine ses calembours quelque peu subjectifs.

— Papa ? Ça te dérange si je vais voir Élie ? questionna Delphine depuis le comptoir en crépis. Je te promets d'être rentrée avant le dîner ! ajouta-t-elle par la suite en guettant la réaction de son géniteur.

Ce dernier s'endormait déjà à moitié, aussi la réponse qu'il donna à sa fille fut des plus vagues, un peu comme celle que donnerait une personne fortement alcoolisée. Toujours est-il qu'il était d'accord pour qu'elle aille rendre visite à son ami, ce qui ravit Delphine. Le pauvre garçon allait enfin pouvoir vider son sac et après, la métisse ferait une razzia dans les rues de Montdesbois et irait péter le nez de cette Laure.

Plutôt chargé comme programme, n'est-ce pas ?

La seule chose qui n'était pas pratique lorsque l'on voulait rendre visite à Élie, c'était que le jeune homme de dix-huit ans habitait de l'autre côté du lac, en plein cœur du village de Montdesbois. Non pas que cela dérangeait Delphine en d'autres mesures, mais disons que ce n'était guère aussi aisé que de se rendre chez Barnabé, qui lui, vivait juste en bas de la rue de la jeune femme.

C'était d'ailleurs étrange qu'un des membres de leur groupe ne vienne pas de Saint-Lac, surtout lorsque l'on connaissait l'aversion de Céleste pour le village aux monts et aux bois. "C'est par pure charité" ne cessait de répéter Cél' lorsque Delphine l'interrogeait. Mais en réalité, si Élie avait été accepté par le petit groupe de Saint-Lacois, c'était avant-tout pour ses talents de guitariste et sa volonté de toujours faire sourire les personnes l'entourant.

Puis Céleste, elle aimait bien plus Élie que ce qu'elle laissait sous-entendre, un peu comme une grande sœur clamerait qu'elle déteste son petit frère pour finir par prendre sa défense si on s'attaquait à lui.

Les rues de Montdesbois défilaient sous les prunelles de la métisse à mesure que les roues de son vélo tressautaient le long des pavés irréguliers. Delphine ne pouvait nier qu'il s'agissait d'un très beau village, où les gens tout sourire accueillaient chaleureusement les étrangers. La jeune femme avait même aperçu au loin la fille du maire, Juliette Donsand, qu'elle avait gaiement salué avant de poursuivre sa route. Une odeur de pâte à choux parvint aux narines de la jeune femme lorsqu'elle passa devant la pâtisserie du Nuage Bleu, avant qu'elle ne tourne à l'angle de la rue.

Mettant pied à terre, Delphine releva le nez en direction de la bâtisse provençale se tenant face à elle. Il s'agissait d'un imposant bâtiment de pierre, s'étendant sur trois ou quatre étages et dont les volets ocres mériteraient bien un coup de peinture. La métisse déposa son vélo près de l'entrée et l'accrocha grossièrement à un poteau de fer. Puis elle sonna au digicode et attendit qu'on lui déverrouille la porte.

— Oui ? interrogea une voix féminine, que Delphine reconnut comme celle de Hereiti, la sœur de son ami.

— C'est Delphine, est-ce qu'Élie est là ? répondit la jeune femme en triturant distrairement les peaux mortes autour de ses doigts.

— Oh Delphino ! Tu tombes à pique ! Je t'ouvre tout de suite mais prépare toi, parce que vu sa tête t'es pas rentrée chez toi avant vingt-deux heure, conseilla l'étudiante d'un air mi-amusé mi-inquiet.

Le bruit du déverrouillage de la porte retentit quelques instants plus tard et Delphine pénétra dans le vieil immeuble. Le hall d'entrée carrelé de gris était vide, de même que l'escalier bancal menant à l'appartement de Hereiti et de son cadet de deux ans. La métisse se dépêcha de grimper les marches, ne s'attardant guère sur les plaintes déchirantes que ces dernières poussaient, et atteignit bientôt le deuxième étage, là où les deux jeunes résidaient. Delphine toqua à la porte de l'appartement treize et on vint lui ouvrir quelques instants plus tard.

— Prépare-toi au choc, furent les premiers termes qui s'échappèrent d'entre les lèvres de Hereiti.

La Tahitienne avait les lèvres pincées et lorsqu'elle posa une main sur l'épaule de Delphine, cette dernière ne put empêcher son cœur de battre la chamade. La métisse avait toujours eu un faible pour la grande sœur de son ami. C'était peut-être ses longs et épais cheveux onyx qui tombaient gracieusement de chaque côté de sa tête, ou encore son sourire éclatant et sa joie de vivre à toute épreuve. Et vêtue de cette robe à fleurs des plus simples, elle n'en était que plus jolie.

Delphine sentit ses joues prendre la teinte des coquelicots, toutefois elle avait déjà dépassé Hereiti avant que cette dernière ne s'en rende compte. La jeune femme de vingt ans referma à clé la porte avant de s'engouffrer dans la cuisine. L'appartement des Bourgeois était plutôt petit pour deux personnes, mais après tout, c'était toujours mieux que rien. Les parents de son ami étaient retournés à Tahiti il y avait deux ans de cela, laissant derrière eux, après de nombreuses semaines de négociations, leurs deux enfants. Ils avaient alors vendu leur maison mitoyenne de la rue Ferry, au profit d'un petit appartement en plein cœur du village.

Les parents de Delphine n'auraient jamais été d'accord pour la laisser vivre toute seule à seulement 16 ans — l'âge d'Élie quand les siens étaient partis. Néanmoins, il fallait tout de même préciser que la métisse était fille unique et que par conséquent, elle se retrouverait vraiment seule s'ils s'en allaient.

— Élie, c'est Delphino. Je peux entrer ? murmura-t-elle d'une voix douce après avoir toqué à la porte de sa chambre.

Un grognement digne d'un homme des cavernes parvint aux oreilles de la jeune femme et cette dernière prit cela comme une invitation à entrer. Étendu sur son lit, un oreiller écrasé sur son visage et vêtu d'un vieux short et t-shirt, Élie faisait vraiment peine à voir. Il avait fermé les rideaux de son unique fenêtre, de sorte que la pièce était totalement plongée dans la pénombre. Delphine remarqua qu'un paquet de photos déchirés traînait par terre. Elle en ramassa une et ne mit guère de temps à reconnaître la personne se trouvant aux côtés de son amis.

Il s'agissait d'une jeune femme aux longues mèches de jais, et dont les bras si maigres auraient pu faire croire à n'importe qui qu'elle était anorexique. Assise sur les genoux d'Élie, elle riait à gorge déployée, ses iris grisonnantes détaillant avec bonheur le Tahitien. Il n'y avait pas de doute, cette jeune femme n'était autre que Laure Perbet. Et si déjà Delphine ne l'appréciait pas plus que cela, désormais elle n'était pour elle qu'un moucheron insignifiant.

— Élie... Qu'est-ce qui s'est passé à la fin ? commença Delphine en s'asseyant au bord du lit de ce dernier.

La porte s'ouvrit quelques instants plus tard sur Hereiti. L'étudiante en droit portait dans ses bras un plateau sur laquelle elle avait déposé trois tasses. Des effluves de verveine s'échappaient de ces dernières et Delphine reconnut immédiatement la boisson préférée de son amie : une tisane. Hereiti tendit l'un des mugs à Delphine puis s'asseyant par terre, elle attrapa celui destiné à son frère et lui secoua faiblement le bras.

— Eh Cosette, prends donc un peu de tisane à la verveine. Ça va te faire du bien.

Énième grognement de la part d'Élie. Néanmoins, contrairement au précédent, le jeune homme se redressa mollement et l'oreiller qui dissimulait jusqu'à présent son visage tomba également. Les yeux ébènes du garçon étaient bouffis à force d'avoir pleuré et plusieurs de ses vaisseaux sanguins avaient éclaté. Si Barnabé avait été là, il l'aurait probablement accusé d'avoir fumé quelque chose de peu légal, histoire de détendre l'atmosphère. Cependant il n'était pas là et ce n'était guère le genre de Delphine de faire des blagues de ce style.

— Merci, débita Élie d'une voix rauque en remettant ses lunettes avant d'attraper la tasse fumante.

Ses cheveux noirs étaient totalement emmêlés et sa joue droite avait la marque de l'oreiller. Il faisait de la peine à voir, lui qui était toujours joyeux et ne cessait de remonter le moral des autres. Vraiment, cette Laure Perbet n'était qu'une garce. Une garce qui avait brisé le cœur du gars le plus génial qui puisse exister.

— T'sais si tu veux pas nous parler de ce qu'il s'est passé c'est pas grave, avoua Delphine en posant sa main sur l'épaule de son ami. On veut juste pas que tu te morfondes tout seul dans ton coin et toi non plus visiblement. Tu ne m'aurais pas envoyée de message si t'avais pensé le contraire.

Hereiti sourit à son petit frère, comme pour l'encourager à vider son sac, ce qu'il s'empressa de faire — juste après avoir à moitié vidé sa tasse.

— Elle m'a dit qu'elle ressentait plus rien, débuta le Tahitien en jouant avec le bas de son t-shirt. Puis qu'avec les études on pourrait pas se voir aussi souvent vu qu'on ne sera pas dans la même ville. Pourtant je lui avais proposée de prendre un appart à Aix-en-Provence avec moi : vu ses notes, c'était sûr qu'elle serait prise à la fac de médecine d'Aix. Mais non, elle préfère courir à Lyon, sous prétexte que sa tante habite là-bas.

— Et c'est vrai ça ? Qu'elle a une tante à Lyon ? jugea bon d'ajouter Delphine.

— Aucune idée. Mais ce que je sais, c'est que Basile, son ex, va en école de commerce là-bas, rétorqua Élie avec amertume.

— Me dis pas que..., commença la métisse avant de se rendre compte que dire cela n'avancerait à rien. T'sais quoi, j'ai peut-être quelque chose à te proposer qui serait susceptible de te remonter le moral.

Élie arqua un sourcil, soudainement intrigué par les paroles de son amie. Hereiti aussi semblait vouloir connaître la suite, puisqu'elle se tourna également vers la jeune femme. Désireuse de perpétuer le suspense quelques secondes encore, Delphine prit une gorgée de sa tisane — qu'elle manqua presque de recracher tant elle était sucrée.

— Samedi c'est la fête du village à Saint-Lac, et on s'est dits que ce serait pas mal si les Alphapabêtes jouaient deux trois morceaux. T'en penses quoi ?

Élie avait essuyé du revers de sa paume les larmes qui perlaient au coin de ses yeux et l'instant d'après, il serrait Delphine dans ses bras musclés.

— J'en pense que c'est une super bonne idée, chuchota Élie et Delphine ne put s'empêcher de sourire.










Hey !

Troisième chapitre, cette fois-ci du point de vue de Delphine, la diplomate du groupe qui contrairement à son meilleur ami, ne raffole pas vraiment de la tisane.

J'espère que ce chapitre vous aura plu ! C'était le dernier avant que l'on rentre pleinement dans l'histoire. N'hésitez pas à me faire part de votre avis et à cliquer sur la petite étoile si le cœur vous en dit !

Bonne journée et à samedi prochain !

capu ton cygne

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