Chapitre 13 : Départ précipité
À la suite de son réveil plus que bouleversant, Morphée s'était rendormie. Mais cette fois-ci, avec Toriel. Sa présence lui permit de ne pas avoir un nouveau rêve terrifiant.
Le jour suivant, Morphée se sentit beaucoup mieux quoique toujours interdite.
Toriel entreprit de lui remonter le moral en lui donnant le petit déjeuner, puis en lui lisant un livre.
- Alors la maman arriva et...
- C'est quoi une maman ? l'interrompit Morphée, curieuse.
Toriel sourit, nullement agacée bien que ce fût la vingtième fois que l'enfant demandait ce que signifiait tel ou tel mot. Elle semblait bien avoir intégré son nouveau nom mais quelque chose lui disait qu'elle ne se considérait pas encore comme une personne à part entière.
- Une maman... C'est une femme qui prend soin d'un ou plusieurs enfants tous les jours. Elle l'aime beaucoup, elle lui apprend des choses, elle le nourrit, s'amuse avec lui ou elle... listait la femme-chèvre.
- Oh ! Donc, tu es ma maman ! s'exclame Morphée, sûre d'elle.
Cette constatation laissa Toriel sans voix et très embarrassée. L'enfant crut immédiatement qu'elle avait eu tort.
Elle allait s'excuser quand elle vit l'adulte commencer à pleurer !
Elle ne s'attendait pas du tout à cette réaction.
Toriel la prit dans ses bras et lui conta à quel point elle était heureuse de l'entendre dire cela.
Morphée, d'abord surprise, ne sut pas trop comment réagir avant de finalement resserrer son étreinte sur elle.
L'après-midi défila tranquillement. La jeune fille passait son temps à lire et... lire.
Elle avait compté sur la voix au début -bien qu'elle lui paraisse toujours effrayante- puis, petit à petit, elle avait appris à déchiffrer elle-même les symboles.
Maintenant, elle dévorait ces pages sentant si bon le pin et l'écorce de sapin. Au sens figuré, bien sûr.
Le soir vers les vingt heures, Morphée annonça à Toriel qu'elle avait tout lu.
Celle-ci faillit en lâcher le saladier qu'elle avait en main et dont elle fouettait le contenu.
- D-Déjà ?!
- Oui, maman.
Pour la jeune fille, rien de plus facile : ses capacités d'apprentissage linguistiques et culturels faisaient partie de son CI. Aussi, lisait-elle aussi vite qu'un guépard pouvait courir.
Étrangement, elle se sentait plus... cultivée ? Intelligente ?
Observant pensivement l'enfant-renard, Toriel remarqua finalement à quel point sa protégée était grande et bien formée pour l'âge qu'elle faisait penser avoir.
- Dis-moi, quel âge as-tu ? lâcha-t-elle, malgré elle.
Elle déposa le saladier sur le plan de travail.
L'EXA réfléchit un instant.
- Il me semble que j'ai... six mille neuf cent trente-sept jours.
Toriel demeura perplexe un moment, faisant rapidement le calcul.
- Dix-neuf ans depuis deux jours... Et si naïve et innocente.
Elle se reprit bien vite.
- Que dirais-tu de fêter ton anniversaire ?
- Avec joie !
Le brusque surplus de vocabulaire stupéfia Toriel au plus haut point. Alors, il n'y aura plus de questions posées ?
Souriant nerveusement, elle lui demanda d'aller prendre sa douche en mettant le pyjama qu'elle avait mis la veille, histoire d'attendre le dîner.
Singulier. C'était si singulier de voir qu'elle avait monté sa compréhension d'un cran rien qu'en lisant... Si, quand même, quarante-trois livres...
- Incroyable... Mais qu'est-elle exactement ? murmura la Gardienne.
*
L'enfant qui n'en était finalement pas un, fredonnait des notes sans même comprendre comment elle avait pu les entendre ou les apprendre.
Elle se lava bien vite et enfila son vêtement.
Dès son trente-cinquième livre, qui traitait de l'histoire des monstres (bizarrement les pages après le bannissement sous terre avaient été arrachées, aussi ne savait-elle pas ce qui les retenait ici-bas hormis la peur), la voix s'était plainte d'avoir mal à la tête.
Ce qui avait fait sourire Morphée puisqu'elle était dans la sienne.
L'adolescente se regarda dans le miroir et commença à se brosser les cheveux.
Regarde-toi... Tu me fais pitié.
- Je t'inspire de la pitié ?
La voix sembla prise de court mais elle répliqua bien vite.
Qui n'aurait pas pitié d'une créature hideuse comme toi ?
- Tout le monde... D'après ce que j'ai compris, les monstres ont été banni par les humains non par pitié comme tu me le dis, mais par peur et dégoût.
Bien que son vocabulaire se soit nettement amélioré, son timbre de voix était toujours aussi innocent. Il lui faudrait plus de connaissances pour mieux réfléchir et comprendre les situations.
La voix cessa. Mais Morphée pourrait presque jurer qu'elle savait des choses sur ce monde encore inconnu pour elle.
Elle posa la brosse et sortit de la pièce.
Toriel l'attendait, un paquet cadeau dans les mains. Du moins, cela y ressemblait d'après la description du vingt-troisième livre lu.
- Tadaa ! Surprise ! Voici ton cadeau d'anniversaire !
Morphée sourit chaleureusement et la remercia avec effusion.
Prenant le paquet, elle l'ouvrit.
- Tu les as recousus ? s'exclama Morphée, agréablement surprise.
- Bien sûr ! Pendant ta lecture effrénée.
La jeune fille exhiba sa jupe vert pomme, son gilet bleu ciel à la fourrure or et ses chaussures jaune pissenlit bordées de rouge coquelicot.
Morphée s'amusait à donner un nom à toutes ces couleurs qu'elle avait vues dans les livres et qu'elle retrouvait dans ses bras.
Quelque chose de rouge vif attira son regard et elle sortit une longue écharpe du papier.
- Elle est magnifique ! Mais pourquoi une écharpe ? Il fait bon dans les Ruines, non ?
- Quelquefois, il fait froid dehors...
Le visage de Toriel s'était assombri. Elle semblait ailleurs et dans des pensées négatives. On aurait dit qu'elle sentait un événement malheureux arriver.
- Merci mille fois, maman !
Ces mots suffirent à refaire sourire la Gardienne des Ruines.
*
Plusieurs jours ont passé. Six exactement.
Morphée s'était bien vite intégrée dans les Ruines et chaque monstre était heureux de la voir quand elle se promenait. Son Froggit préféré passait la majeure partie de son temps avec elle. Au début, elle l'avait évité par peur due à son rêve. Mais au fur et à mesure de son apprentissage, elle avait compris que c'était stupide et avait recommencé à s'amuser avec lui.
À force de le côtoyer, celui-ci lui avait confié qu'il s'appelait Edward. De sorte qu'elle le surnommait affectueusement "Ed" de même qu'elle appelait le petit fantôme "Blooky".
Toriel lui faisait régulièrement des cours d'anglais (la langue principale des humains apparemment), de rune (la langue des monstres), de mathématiques et d'histoire. La géographie était vite partie aux oubliettes : les Ruines n'avaient plus aucun secret pour la jeune fille et Toriel ne connaissait pas la Terre d'aujourd'hui.
Un jour, Morphée qui connaissait par cœur la vie des monstres avant la guerre, avait demandé si depuis ces deux siècles, rien de nouveau ne s'était produit.
Toriel a tout simplement changé de sujet.
Pour la renarde, les Ruines étaient tout l'Underground.
Elle évitait Flowey qui la regardait parfois de loin, un sourire narquois sur les lèvres.
De temps en temps, la voix, lasse de ces moments joyeux, lui sortait cette phrase d'un ton agacé :
Tu sais, t'aurais jamais dû exister.
Ce à quoi Morphée se posait des questions. Si elle ne devait pas exister, pourquoi l'avoir créée ? Pourquoi "la garder sous contrôle" ? Pourquoi ne pas la laisser en paix ?
La voix ne lui a jamais répondu.
- Maman ? Je peux avoir sept pièces d'or, s'il-te-plaît ?
- Pourquoi faire, mon enfant ? s'étonna Toriel.
C'était, après tout, la première fois que Morphée s'intéressait à l'argent.
- J'ai promis aux araignées de leur acheter quelque chose. Mais je n'ai pas de quoi payer. Je te rembourserai un jour. Promis.
- Tu n'as pas besoin de le faire, lui assura l'adulte en allant chercher les pièces.
Morphée la remercia et courut jusqu'aux toiles d'araignée. Celles-ci sautèrent de joie de voir qu'elle ne les avait pas oubliées et lui donnèrent deux donuts par gratitude.
Bien que la valeur d'un objet lui échappât complètement, la demi-renarde comprit cependant que ce n'était pas très équitable mais elle ne voulut point froisser les araignées. Alors, elle accepta les deux pâtisseries...
Elle rentra, les deux donuts en poche, étrangement mal à l'aise. Comme elle ne se sentait pas bien, elle alla directement se coucher sans manger.
Toriel lui annonça qu'elle déposerait un morceau de tarte dans sa chambre si jamais elle se levait et qu'elle avait faim.
Morphée ne prit même pas la peine de se changer, elle se jeta sur le lit et s'endormit d'un coup.
*
Et lorsqu'elle se réveilla, elle était de nouveau devant son Froggit...
Mort.
Elle sursauta vivement, réprimant un haut-le-cœur à l'odeur âcre de la poussière.
Pas encore !
Entendant des cris, elle se précipita vers eux, les jambes toujours aussi lourdes. Elle croyait avancer dans une mélasse invisible qui la retenait, l'empêchant d'aller secourir qui que ce soit.
Le spectacle était effrayant.
Du sang coulait de partout. La poussière voletait sous ses pieds, une odeur métallique nauséabonde lui procurait des nausées. Les ruisseaux étaient teintés de rouge et de gris.
Personne n'était épargné et la bête qu'était son corps ne semblait même pas voir quelle tâche infâme elle exécutait. Il suffisait de suivre ses traces écarlates pour la rejoindre.
Morphée courut aussi vite qu'elle le put jusque chez Toriel, un sentiment d'impuissance irradiant son être.
La porte était enfoncée et des traces de griffes entaillaient les murs. Des poils blancs et bruns salis de rouge jonchaient le sol.
Pas de poussière.
Elle était encore en vie !
Morphée se lança vers les escaliers dont on lui avait interdit l'accès. Au diable, les règles ! Si Toriel était en bas, elle pouvait avoir une chance de la sauver !
Le chemin lui paraissait interminable et l'angoisse ne faisait qu'augmenter à chaque pas qu'elle faisait. Elle suivait les traces de sang et de poils. L'odeur s'étendait dans ce lieu si renfermé.
Au détour d'un virage, elle vit Toriel.
La bête, à quatre pattes, avançait doucement vers elle, prête à sauter sur sa proie.
Morphée criait intérieurement à ses jambes d'aller encore plus vite et elle utilisait toutes ses forces pour y parvenir.
Et lorsqu'elle parvint enfin à leur hauteur, il était hélas, trop tard.
La bestiole avait sauté au cou de Toriel et profondément griffé sa poitrine.
Son corps s'affaissa lentement, la bouche entrouverte d'où s'échappait un filet de sang et les yeux écarquillés, ayant perdu leur éclat.
Dès qu'elle eût touché terre, elle partit en poussière...
- Maman ! hurla la jeune fille en tendant désespérément sa main vers le petit tas.
Ses jambes étaient comme collées au sol, elles ne bougeaient plus. Elles étaient raides.
Avec effroi, elle vit la bête se retourner et la fixer de ses yeux si stoïques.
S'enfuir. Elle devait s'enfuir.
Mais elle ne pouvait pas.
Elle lâcha un cri de frayeur quand son corps sauta sur elle et que vint le noir complet.
Tu n'aurais jamais dû exister.
*
Tombant presque du lit, Morphée se réveilla en poussant un cri étouffé.
Et comme possédée par le diable, elle se jeta hors des couvertures et ouvrit l'armoire.
Cela avait été le cauchemar de trop.
Elle se dépêcha de chercher un sac à dos. Elle ne pouvait pas rester plus longtemps chez Toriel.
Elle trouva un sac vert et y engouffra la part de tarte qui traînait au sol et qu'elle avait failli écraser dans son élan. Elle y rangea ses deux donuts et l'écharpe rouge, sentant inexplicablement qu'elle allait en avoir besoin. Et aussi parce qu'un cadeau, ça ne se refuse ni ne se jette.
Chaussant ses ballerines, elle attrapa le sac, le mit sur ses épaules et ouvrit doucement la porte.
Faisant le moins de bruit possible, elle voulut sortir dans les Ruines.
Mais son corps alla de lui-même jusqu'aux escaliers qui l'apeuraient dorénavant.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? s'affola Morphée.
Ce n'était pas la première fois que cela arrivait. La plupart du temps, c'était la voix qui, par excès de colère, prenait les commandes.
On sort.
Bien obligée de marcher, la jeune fille descendit les marches, se demandant si la grande porte violette qu'elle avait vue dans son rêve serait belle et bien la sortie.
Aussi bien en songe que dans la réalité, le chemin semblait interminable.
Lorsqu'elle atteignit la porte, elle retrouva le contrôle de ses gestes. Et reconnut la silhouette qui lui faisait dos.
- Maman ?
- Tu veux partir, n'est-ce pas ?
Sa voix était triste mais elle ne parut pas vouloir la retenir.
- S'il-te-plaît, prends soin de toi une fois dehors...
Toriel se retourna et passa à côté d'elle sans lui jeter un regard. Mais Morphée ne l'entendit pas de cette oreille et l'enlaça immédiatement par derrière.
- Au revoir, maman.
Toriel masquait ses larmes, cependant elle répondit d'une voix presque assurée :
- Au revoir, mon enfant.
Morphée ouvrit la porte violette et alors qu'elle la refermait derrière elle, un murmure lui parvint.
- Reviendras-tu, toi aussi ?
La porte claqua.
Non.
Elle ne reviendra pas.
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