METSA- 16
Taehyung grimaçait, les mains plongées dans l'eau savonneuse qui remplissait, débordant presque, l'immense bac en métal posé devant lui, à qui le temps avait donné des reflets cuivrés. Ses paumes étaient douloureuses à force de presser le tissu gonflé d'eau pour l'essorer. Pourtant, il travaillait sans rechigner. Se concentrer sur la tâche qu'on lui avait attribué lui permettait de se vider l'esprit.
À côté de lui, Jeongguk rinçait le linge et le secouait vivement, avant de l'étendre sur les cordes accrochées çà et là, laissant le vent jouer dans les étoffes plus ou moins luxueuses pour les faire sécher. Taehyung savait que Jimin aimait particulièrement l'odeur des kimonos ayant été laissés au zéphyr. Il disait pouvoir y sentir les fleurs des champs et le soleil.
Le rouquin s'était d'ailleurs volatilisé à l'instant où ils avaient franchit les portes du temple, disparaissant on ne sais où dans un sourire malicieux. Il avait fait courir ses camarades aux quatre coins du temple toute la journée durant, leur assignant corvée sur corvée, plus ou moins ingrates. Lui, pendant ce temps, fabriquait quelque chose dans le plus grand des secret.
Ainsi, le citadin avait épousseté toute la collection de tasses de Yoongi, gigantesque, et, évidemment, sans n'en abîmer une seule; arraché toutes les mauvaises herbes qui bordaient l'allée principale menant au temple; trié par gradation de couleur les kimono du maître, "Du bleu ciel au cramoisi, malheureux!"; et toute une flopée de demandes incongrues, dont la liste s'étendait, s'étendait...
Finalement, Jimin avait pointé le bout de son nez hors de la cuisine dans laquelle il s'était enfermé après avoir bût le thé en les regardant bûcher sous le cagnard, et leur avait, comme tache finale, ordonné de se charger de la lessive, consignant le nouveau-venu, plus vraiment nouveau maintenant, dans un coin éloigné du jardin, où était aménagée une sorte de buanderie à ciel ouvert, lui interdisant de retourner dans le temple avant qu'il ne l'appelle.
Le jeune citadin n'avait aucune idée de ce que camouflait ses cachotteries, si ce n'est qu'elles nécessitaient l'accord de Yoongi-sama; et si Jeongguk en savait plus, il restait cependant muet comme une carpe, les lèvres résolument closes.
La route du retour s'était fait dans le même silence presque sacré, de ceux plus reposants que mortuaires. Les trois jeunes hommes semblaient tous plongés dans leurs pensées, les bras chargés des denrées empaquetées qu'ils avaient achetées, marchant d'un même pas sous la chaleur, déjà trop étouffante et moite pour l'heure matinale.
Bientôt, la panière de linge fut vide et, après avoir demandé au châtain de patienter, Jeongguk la ramena dans le temple au pas de course. Taehyung s'assit, presque camouflé par les draps qui s'agitaient sous le vent, rafraîchissant sur sa peau humide de transpiration. Il soupira.
Les jardins étaient paisibles, et pourtant il ne parvenait pas à trouver un semblant de sérénité, ici. Depuis quelques jours, les poils de sa nuque se hérissaient, et Taehyung avait la drôle d'impression que deux yeux inquisiteurs étaient constamment dardés sur lui, l'observant de loin; et cette idée se confirmait lorsqu'il voyait la frêle silhouette du maître du sanctuaire se dessiner, presque camouflée dans la verdure, ci et là, lorsqu'il était occupé.
Dans un dernier éclat de voix, sûrement destiné à Jimin, le serviteur se précipita vers la cabane de fortune que formaient les draps, rejoignant son camarade qui, allongé sur l'herbe, regardait les nuages se teintant de rose, annonciateurs d'un beau coucher de soleil. La lumière, plus dorée que d'ordinaire, tombait en faisceaux denses sur la silhouette de Jeongguk, qui semblait ainsi comme entouré d'un halo. Il marchait à grands pas, deux biscuits dans la main, le visage déchiré par un grand sourire, qui dévoilait deux dents un peu trop grandes par rapport aux autres. Le surnom que Jimin lui donnait prenait enfin tout son sens, sans compter l'étrange habitude qu'il avait de faire s'agiter son nez lorsqu'il était contrarié, tic qu'avait précédemment remarqué Taehyung. Jeongguk, de sa main libre, attrapa le poignet frêle du jeune garçon, l'obligeant à se relever pour l'emmener vers le petit lac.
Il y faisait plus frais, grâce à l'ombre des immenses saules pleureurs sous lesquels, courbés en deux pour éviter les branches, ils s'étaient glissés.
Là, assommés par la chaleur et l'effort, ils plongèrent les pieds dans l'eau. Bien que souriant, le serviteur aux cheveux sombres comme la nuit restait silencieux, et Taehyung en faisait de même. Pourtant, des dizaines de questions lui brûlaient les lèvres. Tant et si bien que, finalement, il en laissa échapper une.
« Et vous, Jimin et toi... Pourquoi êtes-vous ici? Si ça n'est pas trop indiscret, hein! »
Le noiraud se tourna vivement vers lui, la bouche entrouverte, les yeux écarquillés. C'était une drôle d'expression, que le citadin ne parvint pas vraiment à interpréter.
« Nous? Ça a toujours été ainsi, non? Je crois... Je crois que j'ai toujours servi Yoongi-sama. Un chose est sure, je n'ai pas de souvenirs d'une autre vie que celle-là. Un maître aussi particulier a besoin de serviteurs, c'est ce que Jimin et moi avons toujours conclût. »Finit-il par souffler, troublé. Il se tût un instant, avant de reprendre. « En réalité, je fais souvent le même drôle de rêve où je nous vois, Jimin et moi, enfants.
On court vers le sanctuaire; mais il n'est pas le même qu'aujourd'hui. Il est beau, plus beau encore qu'il ne l'est maintenant. Et les gens y sont nombreux. On se faufile à l'intérieur, tu vois. Il y des choses qui brillent, partout, et puis, sans trop de raison, comme si c'était un défi, on décide de piquer une babiole. Quoi, je ne sais plus vraiment, mais je la glisse dans ma poche en vitesse. Après tout, on est des gosses!
Alors, soudain, tout tombe en ruines, tout s'effondre autour de nous. C'est à cet instant que le rêve tourne au cauchemar. Tout est sombre, enfumé, des voix murmurent et gémissent dans le noir. C'est affreux.
Enfin, bref. Je me réveille toujours à ce moment, après avoir entendu un hurlement, et je ne sais jamais si ce cri est le mien. »L'air confus sur son visage creusait un pli profond sur son front dégagé, sur lequel Taehyung posa doucement son doigt. Son camarade se détendit légèrement, le nez agité, signe qu'il réfléchissait toujours.
« Mais ça n'est qu'un rêve »,conclut-il, agitant ses pieds dans l'eau qu'il fixait du regard.
Il ne vit pas que Taehyung le fixait à présent, de ses yeux profonds, songeur.
Lui, c'était le souvenir de Yoongi le maudissant, de la douleur de la marque qui ornait fièrement son flanc, faisant de lui l'objet du sanctuaire et de son maître, qui le hantait la nuit.
Ce rêve... Ce cauchemar, plutôt, en était-il vraiment un?
Jeongguk sursauta. On avait crié son prénom. Une étincelle de joie pétillant à nouveau dans ses yeux, il se leva prestement, ramassa sans les enfiler les deux sandales qui traînaient à ses côtés et, trépignant, attrapa la main du citadin. Presque fébrile, il noua ses doigts aux siens, comme le fait un enfant avec un camarade. « Jimin doit avoir terminé, maintenant. Viens! »,il s'exclama, se mettant à courir. Juste avant qu'ils ne franchissent le rideau de verdure séparant les jardins, Taehyung ne vit plus; son camarade avait couvert ses yeux d'un morceau de tissu, et, d'une main posée fermement dans le creux de son dos, guidait le jeune garçon, qui tâtonnait à l'aveuglette pour ne pas se prendre violemment les feuillages au visage.
« Ta dam! »lui murmura-t-il à l'oreille, dévoilant ce que dissimulait l'étoffe.
Le temple semblait complètement différent; l'allée qui reliait le torii et le sanctuaire était à présent bordée des lanternes qu'avait achetées Jimin, plus tôt dans la journée, qui éclairait les jardins d'une lueur rougeâtre. Le chōzuya, bassin en pierre dans lequel, lorsque les fidèles n'avaient pas encore délaissé le temple, se purifiaient les visiteurs, brillait de milles feux, éclairé par des lucioles qui se pressaient autour de l'eau et des plantes qui avaient finit par y pousser. Plus loin encore, à l'endroit où les deux serviteurs prenaient habituellement le thé, une large toile avait été étendue sur le sol, couverte de denrées qu'avait préparé le rouquin.
En une après-midi, il avait transformé le sanctuaire en véritable festival nippon.
Jeongguk le poussa doucement vers l'avant, l'invitant à s'asseoir sous un des cerisiers. Là, il manqua de s'étouffer face au spectacle dont il fut témoin; Yoongi, ayant revêtu un kimono bien moins solennel, bataillait durement avec la flamme d'un barbecue vieillot.
En riant face à son air abasourdi, Jimin lui tendit un petit verre remplit d'un liquide transparent.
« Ça te plait? L'idée m'est venue en voyant cette affiche, au marché. Parce que, enfin sans vouloir te rappeler des mauvaises choses, je sais que tu n'es plus en mesure d'aller à ce genre d'événements humains, du coup j'ai essayé de les reproduire! Ça n'est pas grand chose, mais j'espère que tu t'amuseras... Taehyung acquiesça vigoureusement, les yeux écarquillés. Finalement, reprit le garçon-renard, en boudant, le plus dur aura été de convaincre Yoongi-sama. Mais bon... Tout est bien qui finit bien! »
Tous se rassemblèrent; le maître, qui entre temps avait réussit à dompter le grill, s'assit, un peu à part, et les trois autres jeunes hommes trinquèrent.
Imitant ses camarades, Taehyung avala le liquide cul-sec, grimaçant sous la brûlure du saké descendant dans sa gorge, accompagné par les éclats de rire des deux amis. En toussant, Taehyung surprit le regard rieur que Yoongi portait sur eux. Prestement, le maître détourna les yeux, mordant dans un morceau de pastèque pour camoufler le rictus de joie qui avait brièvement éclairé son visage, comme honteux.
Peut être n'était-ce que le rougeoiement du feu sur ses joues qui leur donnait une teinte rosée plus soutenue qu'habituellement, mais il sembla à Taehyung que le garçon aux cheveux bleuâtres avait rougis.
Jimin et Jeongguk, eux, s'enivraient gaiement, discutant bruyamment de tout et de rien.
Ainsi, ils avaient presque l'air d'étudiants lambda, profitant d'une chaude soirée d'été entre amis.
Cette pensée furtive l'attrista soudainement et, comme s'il l'avait perçu, Jimin se releva dans un grognement peu élégant, alourdi par l'alcool et la viande pesant dans son estomac, et se campa face à lui, tendant sa main au jeune garçon châtain.
C'est la gorge serrée et les yeux un peu plus brillants que la normale que Taehyung attrapa sa main, chaude contre sa paume un peu moite.
Une fois qu'il se fut levé, étonnamment, Jimin ne la lâcha pas.
Au contraire même, il resserra l'étreinte de
leurs doigts, et, un sourire doux sur les lèvres, le reflet des flammes crépitant dans ses yeux sombres, dansa longuement avec le jeune homme, malgré leurs jambes rendues fébriles par l'alcool décidément bien trop fort.
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