METSÄ- 15

Le ciel était clair; si bleu qu'il semblait presque factice, ainsi dénué de nuage. C'était une belle journée, qui s'annonçait encore plus chaude que les précédentes.
Taehyung était assis sur le rebord épais d'un des temizuya, ces petites fontaines de pierre où se purifient les visiteurs des temples, qu'il devait récurer, contemplant la forêt qui s'étalait devant ses yeux, morose. Le mince filet d'eau qui s'écoulait devant l'unique et imposant torii semblait créer une frontière naturelle entre le sanctuaire et le monde humain. Une très légère brise agitait les quelques cheveux qui s'étaient échappés de la petite couette que lui avait fait Jimin, ronchonnant sur combien sa tignasse était longue et qu'il "ferait mieux de dévoiler à tous ses beaux yeux, plutôt que de les cacher derrière cette frange".

Des éclats de voix retentissaient depuis quelques minutes déjà, filtrant à travers la porte entrouverte du temple. Jimin tentait, pour l'instant vainement, d'obtenir une permission de sortie pour le dernier arrivant au sanctuaire, afin qu'il puisse aller au village avec les deux autres serviteurs, qui devaient profiter du marché pour faire quelques emplettes.
Il pouvait sans peine imaginer son camarade, poings sur les hanches, les sourcils froncés, se tenir fièrement face au maître du sanctuaire, lui qui l'effrayait tant en temps normal. A vrai dire, le comportement quasi sacrificiel du rouquin réchauffait son cœur. D'un naturel si doux, le garçon renard n'avait pas hésité à hausser le ton face à son maître pour obtenir ce qu'il voulait.

Soudain, une violente bourrasque poussa les battants de la porte et, l'air à la fois mortellement ennuyé et profondément agacé, étrange mélange, le jeune homme aux cheveux verdâtre s'avança vers lui, son serviteur, goguenard, sur les talons.
«-Tu peux accompagner tes camarades en ville. Mais que cela soit bien clair, humain, tu appartiens au temple, à présent, et tu ne pourras t'en échapper sans ma bénédiction. Inutile, donc, de comploter un quelconque plan d'évasion. Hm?»

Puis, en lançant un dernier regard méprisant à Taehyung, qui ne pouvait refréner son sourire, le maître du temple s'éloigna, secouant la tête de dépit, alors que Jimin trépignait sur place, les deux poings levés en signe de victoire. Ils attendirent que disparaisse le claquement des talons de Yoongi avant de se jeter dans les bras de l'autre, sautillant comme des imbéciles en riant, impatients, sous l'œil étonnés de Jeongguk qui passait là, un seau et une grosse éponge à la main, qu'il finit par lancer sur le crâne de Taehyung.
«- Le village, c'est après avoir finit tes corvées!» il hurla, désignant d'un vague mouvement de la tête les bassins à moitié rutilants.

-

Le marché n'avait pas changé depuis la dernière fois qu'il y avait accompagné sa grand-mère, et pourtant, une légère euphorie troublait ses sens. Chauffant au creux de son ventre, cette soudaine, exquise, liberté chatouillait le bout de ses doigts et lui donnait envie de s'élancer parmi les autres en criant. Le citadin laissa échapper un rire heureux, couvé du regard bienveillant de Jimin, qui s'avançait quelques pas plus loin. L'odeur des snacks vendus çà et là se diffusait dans l'air, rappelant celle qui embaumait les festivals estivaux.

La rue qu'habillaient les stands était encombrée, agitée par les pas de la petite foule qui s'y pressait sous les cris chaleureux des marchands. Jimin et Jeongguk examinaient les produits, se frayant un passage parmi les habitants, leur paniers se remplissant peu à peu.
Au temple, ils faisaient eux-même la grande majorité de ce qu'ils mangeaient, et Yoongi s'arrangeait pour remplir les celliers chaque semaine. Il fallait cependant descendre de temps en temps au village pour s'y fournir en ce qu'ils ne pouvaient obtenir ailleurs. Aujourd'hui, il fallait donc faire l'acquisition de certaines herbes médicinales, qu'on ne trouvait pas aux alentours du temple.

Ces gens babillaient gaiement entre eux, réglant leurs emplettes en discutant. Dans ce petit village, tous se connaissaient.
C'était d'autant plus étonnant que personne ne semblait faire attention à eux, malgré leur accoutrement bien différent de celui de la population du bourg. Même sa tunique, cette fois semblable à celle de Jeongguk, détonnait avec lss vêtements modernes que portaient les autres habitants.
Taehyung flânait, examinant d'un œil distrait ce village qui, à présent, lui semblait être un monde différent. Il n'appartenait pas à celui des trois occupants du temples, cependant... il n'était plus tout à fait de celui-là non plus. Comme s'il voguait entre deux univers sans être affilié à aucun d'entre eux, et ce constat s'évapora en laissant un goût amer dans sa bouche. Après tout, c'était ce à quoi il avait été condamné; il n'était plus qu'un éternel étranger, sans repère ni but, une faible impression de déjà-vu, rien de plus.

«- Taehyung! »l'interpella Jeongguk, coupant court à ses réflexions, lui faisant signe de les rejoindre. Les deux serviteurs s'étaient arrêtés au seuil de la boulangerie, qui dégageait d'alléchants fumets. Le jeune garçon s'arrêta net alors que ses camarades y entraient, une vive émotion enserrant sa gorge face à cette boutique. Lorsqu'il poussa finalement la porte, Jimin et son ami portait chacun une épaisse miche de pain, et quelques billets trônaient sur le comptoir, une pièce posée au-dessus pour éviter qu'ils ne s'envolent. L'intérieur n'avait pas changé. Namjoon nettoyait, à l'aide d'un chiffon humide, le haut de son étalage, sifflotant gaiement. Ses racines noires avaient repoussées, constata le citadin. Soudain plus léger, il se tourna vers les deux jeunes hommes qui l'attendaient pour repartir.
«- Pourquoi avoir laissé l'argent ici?
- Ben... C'est pas comme si on pouvait faire autrement! »lui répondit Jeongguk, bavant presque devant les pâtisseries qui s'étalaient en rang d'oignon devant ses yeux.
D'un signe de la tête, le rouquin lui indiqua la porte, pressé de continuer ses achats. Après tout, ils ne sortaient pas si fréquemment que ça, et ces moments étaient précieux, ils ne pouvaient donc pas tarder.
«- Tu viens?
- Je reste encore une minute, d'accord? Allez-y sans moi, je vous rejoindrais plus tard. »

Le noiraud, égal à lui-même, haussa négligemment les épaules et attrapa la main de Jimin, qui hésita une seconde avant d'acquiescer et de lui emboîter le pas, franchissant la porte de la boulangerie, agitant le petit mobile de clochettes qui l'ornait. Taeyung se retourna gaiement vers le boulanger, le saluant d'un timide geste de le main. Face au mépris de Namjoon, qui semblait presque ne pas le voir, il s'avança plus près encore vers le comptoir.

«- Je ne vous ai pas oublié, tu sais? Tu ne vas sûrement pas y croire, mais il m'est arrivé un truc de dingue! On pourrait aller boire un verre avec les autres, non? Je vous présenterai Jimin et Jeongguk, et puis je pourrai tout vous raconter, qu'en dis-tu? Taehyung ne reçut pas de réponse. Le jeune garçon, le visage tâché de farine, comme à son habitude, arrangeait à présent les viennoiseries dans la vitrine, l'air concentré. Alors qu'il se redressait, les poings sur les hanches, contemplant avec contentement le fruit de son travail, la clochette de la boutique tinta et, l'air guilleret, les autres jeunes que connaissait Taehyung entrèrent dans la boulangerie bruyamment. Quelle chance que vous soyez ici!, il s'exclama, j'allais justement demander à Namjoon de-»
En s'élançant pour étreindre son ami, Seokjin lui était passé au travers. Littéralement. Son corps avait traversé le sien comme si de rien n'était.

Le souffle coupé par l'horreur, une vive nausée le prit soudainement et, alors que ses amis, s'il pouvait encore les considérer comme tels, discutaient joyeusement, ignorants, le citadin prit conscience de ce qu'était réellement cette malédiction.
Yoongi le lui avait pourtant dit. Il n'existait plus; spectre d'un temps révolu dont il était l'unique gardien.
Sans un mot, il palpa son torse et ses bras, et, les poings si serrés que ses ongles blessaient ses paumes, il détala, fuyant la boutique, cavalant dans les rues les yeux humides de larmes et le cœur lourd. Du coin de l'œil, il repéra une tâche orange, brillant à travers la foule, vers laquelle il s'élança. Jimin et Jeongguk examinaient un étal coloré, des brochettes de gâteau de poisson entre les mains. Le petit magasin ambulant était plein d'éventails plus ou moins imposants, peints à la main par l'artisan qui en faisait le commerce. Jimin paraissait hypnotisé par le travail habile du vieillard qui, assit devant lui, faisait naître de ses doigts créatures légendaires et autres personnages du folklore nippon. Jeongguk, lui, engloutissait brochette après brochette, un mince sourire sur les lèvres, le regard mobile, s'intéressant aux commerces alentours. En le repérant parmi les passants, son visage s'éclaira et, levant le poing, il lui proposa une brochette.

Toujours lancé à pleine vitesse, Taehyung se jeta dans ses bras. Malgré son léger mouvement de recul, le jeune garçon le réceptionna, son visage se décomposant sous les sanglots déchirants du citadin.
«- Ramenez moi à la maison, s'il vous plaît », murmurait le citadin, les yeux clots, le visage enfoui contre l'épaule du serviteur, qui ne savait quoi dire. Sans ouvrir la bouche, il tapota gentiment dans son dos, qui tressautait sous les pleurs violents de Taehyung, patientant jusqu'à ce que ses larmes ne se tarissent. Agité par la panique, Jimin balbutiait, ne sachant que dire, ou que faire, et finit par glisser sa main dans les cheveux de son ami, les caressant tendrement pour le calmer.
«- J'aurais aimé pouvoir le faire, taehyung. Réellement.» finit par répondre le rouquin, contrit.

Alors que Taehyung se reprenait enfin, se mouchant bruyamment dans le carré de tissus que lui avait gentiment tendu Jeongguk, Jimin s'approcha prestement du tableau d'affichage à quelques pas, se penchant vers l'une des affiches qui y étaient collées. En la lisant, il laissa échapper un gloussement puis, excité comme une puce, il attrapa ses deux amis par le coude, les tirant dans la foule en s'exclamant.
«- Tu vas voir, Tae, on va te remonter le moral! »

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