METSÄ- 14
Il faisait bon et tiède dans le temple. Le soleil perçait à travers les cloisons laissées ouvertes pour aérer correctement l'édifice, que Taehyung n'avait connu, pour l'instant, que sombre et enfumé par l'encens qui brûlait presque en permanence dans les grandes salles -celles que fréquentaient le plus Yoongi.
Il lui était bien plus facile de suivre Jimin en plein jours. Taehyung commençait presque à prendre ses repaires dans ce dédale de couloirs. Cette fois, il n'avait pas cette impression macabre, ce frisson glacé courant le long de son échine comme lorsqu'il avait dû suivre le rouquin, la première fois.
Les rayons de fin d'après-midi se faufilaient dans le sanctuaire et, jouant avec les fines parois, traçaient de jolis motifs brillants sur le bois clair du parquet qu'avait nettoyé l'un des deux autres jeunes hommes.
Dehors, l'étouffante chaleur de l'été japonais s'était apaisée, remplacée par une moiteur tiède, plus agréable. On n'entendait plus que le vent frémir dans les herbes hautes, emmenant avec lui l'odeur des fleurs sauvages qui parsemaient le jardin, doucereuse et sucrée, les mêmes que Jimin avait rassemblé en bouquet.
«- Où est-ce qu'on va? s'enquit-il, voyant son camarade marcher d'un pas décidé vers une partie du temple que n'avais jamais visité Taehyung, traversant des salles plus grandes, plus lumineuses mais aussi en bien mauvais état. Ici, le passage du temps se faisait plus ressentir qu'ailleurs, comme s'il s'écoulait différemment selon les parties du sanctuaire.
- Déposer ces fleurs dans la chambre de Yoongi. Le rouquin sembla réaliser quelque chose et s'étouffa presque avec sa salive, reprenant la parole prestement, les yeux écarquillés dans une moue que Taehyung n'arrivait pas à qualifier; était-ce de la crainte ou bien de l'étonnement? Oh, mon dieu. Ne lui dit pas que je ne met pas les honorifiques lorsqu'il n'est pas là, s'il te plaît!
- Je serais muet comme une tombe.», chuchota alors le citadin, qui fit mine de fermer à clé ses lèvres jointes, offrant un clin d'œil malicieux à son camarade.
Jimin avait l'air pressé et Taehyung devait le suivre en trottinant presque, le nez en l'air, observant les colonnes à la peinture écaillées qui soutenaient les murs.
Soudain, le garçon-renard s'arrêta et poussa une lourde cloison de bois.
Là, il ôta ses geta d'un geste souple, et après avoir jeté un coup d'œil à la tenue débraillée du jeune garçon, principalement à ses pieds terreux, l'invita à l'attendre là où il était. Dans un bruissement de tissus, le serviteur s'éclipsa, s'enfonçant dans la chambre du maître du sanctuaire à petits pas rapides assourdis par l'épais tatami sombre qui tapissait le sol. Taehyung maintint la porte, patientant sagement sur le seuil, jetant un œil aux appartements du garçon aux cheveux bleus.
Le changement de décors était drastique. Passé l'étonnement, Taehyung explora la pièce du regard.
La chambre était spacieuse, bien qu'encombrée par de nombreuses plantes. À côté d'un futon, bien plus épais que celui qu'on lui avait donné, traînaient des feuillets noircis de Kanjis, certains rassemblés en un livret par un morceau de ficelle rouge. Yoongi-sama tenait-il un journal? Au fond de la pièce, une large cloison était ouverte, donnant sur les jardins. On y apercevait un petit bassin et un coin de ciel rougeoyant, la verdure florissante en cachant la plus grande partie. Le soleil n'allait pas tarder à se noyer dans le lac.
Quelques libellules voletaient, effleurant l'eau claire, se posant sur les nénuphars qui en décorait la surface.
C'était étonnamment paisible, ça sentait le papier d'Arménie et l'herbe coupée.
Lassé de ce calme alcyonien, Taehyung porta ses yeux sur la silhouette gracile de son camarade, qui sifflotait gaiement, arrangeant les fleurs dans un joli vase en terre cuite posé sur une table basse en bois sombre. Du bout des lèvres, par peur de troubler l'immense quiétude peut-être, il demanda;
«- as-tu bientôt fini?
- Oui. Voudrais-tu aller te baigner, après? Un peu de fraîcheur ne nous fera pas de mal, il s'attarda un instant sur les manches retroussées, la tunique tâchée de boue et froissée. Le citadin passa rapidement ses mains sur le kimono qu'on lui avait prêté pour en chasser quelconques brins d'herbes, embarrassé par l'œillade de Jimin, qui avait habituellement le sourire facile, mais qui en cet instant ne le dévisageait que d'un air agacé. Tae, nous nous occupons nous-même du linge, ici. Sais-tu combien de temps il me faudra pour rendre de nouveau présentable ce kimono? Les tâches d'herbes ne partirons sûrement pas.... Enfin! Nous pourrions profiter de ce bain pour te décrasser un peu! »
La discussion semblait close. Le rouquin pivota pour quitter la pièce, s'éloignant de sa démarche légère; il marchait comme s'il dansait, comme s'il glissait sur le sol. Jeongguk, lui, avait une allure plus franche, plus appuyée sur le sol, plus rustre. Il avançait comme le faisaient les paysans sur leurs terres, fier et droits, certes, mais lourds. Taehyung lui emboîta à nouveau le pas, trottinant à ses côtés.
«- Je le laverai, tu sais? Mon kimono, souffla t-il finalement. Mais il n'est pas pratique. Il est beau, c'est vrai, seulement je dois pouvoir me baisser, courir, lever les bras à mon aise, et tout ce tissu me restreint dans mes mouvements! Tu es fait pour porter ce genre de kimono, avec ta stature, ta grâce et ton agilité. Pas moi. Jeongguk, lui, possède une tunique plus simple que celle-ci, et c'est une tenue comme la sienne que je souhaite.
- Tu lui en empruntera une plus tard. Allons justement le quérir, qu'il vienne s'amuser avec nous. »
Taehyung se renfrogna. Il ne pipât mot jusqu'à ce qu'ils arrivent en face de sa chambre, où il ne pût s'empêcher de desserrer les lèvres une fois affalé sur son futon.
«- Je ne l'aime pas, laissa-t-il échapper dans un murmure. Et j'ai bien l'impression que c'est réciproque.
- Vous ne vous connaissez pas assez encore, laisse lui du temps. Il est... particulier, mais c'est un amour. Enfin, il est très gentil, et serviable et- ses oreilles rougissaient, et ce que j'essaye de dire, c'est que vous pourriez devenir très amis, si vous laissiez tomber vos a priori, tous les deux. »
Le rouquin ne le laissa pas répliquer, balayant sa réponse d'un geste du revers de la main, s'approchant de la fenêtre pour appeler le troisième jeune homme. Il se pencha, appuyé sur le rebord, les deux bras tendus, le soleil couchant se posant en voile doré sur sa peau claire, criant à pleine voix le nom de son ami.
...
Jimin avait tort, ils ne pourraient définitivement pas êtres copains, Jeongguk, qui avait d'ailleurs attrapé possessivement le bras du rouquin dès qu'ils l'avait rejoint, et lui.
Le jardin était désert, Yoongi-sama s'étant éclipsé on ne savait où. Tous trois marchaient à une allure tranquille vers le bassin. Il faisait encore bien chaud, moins étouffant qu'au zénith, mais tout de même, et la tunique de Taehyung collait contre son dos, en plus de limiter ses mouvements et de rendre sa marche difficile. Irrité, il se baissait de temps en temps pour attraper une herbe et siffler en la coinçant contre ses pouces, suivant à quelques pas de distance les deux serviteurs. Jimin, trois serviettes de bain propres dans les bras, se retournait fréquemment vers lui, tentant de comprendre ce qui n'allait pas. Depuis que Taehyung avait fait l'erreur de lui dire qu'il ne pataugerait pas avec eux, il n'arrêtait pas de le questionner. Ça en devenait agaçant. Surtout qu'il devait subir les coups d'œil hostiles de Jeongguk chaque fois que son camarade lui adressait la parole.
«- Alors, quoi? Tu ne sais pas nager?
- Bien sûr que si! Je n'en ai juste pas envie. Je ne vois pas pourquoi cela te dérange autant!
- Pourtant, tu étais d'accord, tout à l'heure... Que se passe t-il, à la fin? Taehyung se figea un peu brusquement, le poing crispé autour du brin d'herbe qu'il venait d'arracher.
- Je ne veux pas me baigner, et encore moins avec lui! hurla-t-il finalement, apercevant deux ou trois oiseaux s'envoler précipitamment en piaillant, dérangés par son cri.
Après tout, l'ami de Jimin ne lui avait adressé la parole que pour l'accuser d'avoir molesté le plus petit des trois, ou pour le rabrouer sur sa façon de frotter le sol, et, plutôt que de le soutenir comme le faisait le garçon-renard, il ne lui offrait que son mépris, qu'un regard hautain, assombrit par une colère que ne comprenait pas le citadin.
- Ça tombe très bien, parce que moi non plus! répliqua Jeongguk d'un ton acide, l'air dur, tranchant avec son visage poupon et juvénile. Les enfants comme toi devraient juste retourner pleurnicher dans les jupes de leur môman. Oh, zut... J'oubliais que cela risquait d'être compliqué pour toi, maintenant. Quel dommage- » Taehyung l'attrapa par le col. Il fulminait. Peu importait que Yoongi-sama ne les entende, il ne pouvait refréner cette colère sourde qui crépitait dans ses entrailles. Jeongguk semblait presque amusé de sa fureur, le fixant en clignant à peine des yeux, un rictus cynique sur les lèvres alors que l'autre agrippait sauvagement son col.
«- Cessez, enfin!» Jimin l'obligea à le lâcher et prit la main du noiraud. Il semblait prendre parti pour lui. Lui qui l'avait injustement agressé, lui qui avait sournoisement évoqué sa mère, appuyant sur ce point sensible et douloureux comme s'il versait de l'alcool sur une plaie encore à vif.
Cette constatation lui laissa un goût amer dans la bouche.
Jimin secoua doucement la tête, paraissant profondément consterné, ou déçu. Les deux à la fois peut-être.
«- Jeongguk, je t'interdis de redire ce genre de chose. Quant à toi, Taehyung, sache que jamais la violence ne résoudra un conflit. Vous êtes insupportables, tous autant que vous êtes. Faîtes donc ce que vous souhaitez, entre-tuez vous si vous le voulez! Moi, je vais me baigner. Je suis affligé de vous voir comporter ainsi, comme des... comme des sauvages!»
Il fit volte-face, se précipitant vers le lac, ignorant les appels des deux garçons qui, après s'être lancé un dernier regard qui en disait long, se lancèrent à sa poursuite.
Ils le rattrapèrent bien vite, mais Jimin ne leur lança qu'une sorte de grondement désapprobateur, n'ouvrant la bouche qu'une seule fois du trajet pour déclarer qu'il «ne leur parlerait plus jusqu'à temps qu'ils aient chacun présenté leurs excuses envers l'autre». Son silence était troublant, lui qui babillait si gaiement toute la journée durant, trouvant toujours une anecdote, une fable, une histoire à raconter, faisant fi de la fatigue pour divertir ses camarades. Mais leur fierté était trop importante pour qu'ils ne s'abaissent à s'excuser et, en toute honnêteté, Taehyung ne voyait pas en quoi il devait des excuses à ce mufle.
Enfin, ils arrivèrent devant l'étendue d'eau, lisse et limpide. Sans un regard pour eux, Jimin se déshabilla entièrement, laissant son kimono s'échouer sur l'herbe, et s'y précipita, aucunement gêné de sa nudité ou par le regard brûlant de Jeongguk sur son corps pâle. Le plus tanné n'hésita pas, se dévêtant à son tour, courant après le rouquin en riant, comme si rien ne s'était passé précédemment.
Taehyung, plus pudique, se laissa tomber sur l'herbe, les yeux levés vers le ciel, les détournant du duo.
«- Arrête donc de bouder et viens! L'eau est bonne, tu verras.
- je n'ai pas de maillot de bain! »leur cria t-il, les yeux fermés, profitant de la fraîcheur de l'herbe. Ils pouffèrent, et le silence se fit à nouveau, troublé de temps à autres par un rire étranglé, un mot murmuré, le bruit sonore d'une tape. Il était réellement bien, ainsi, les yeux fermés, à deux doigts de s'endormir, le très léger remous du lac lui effleurant presque les orteils. Le jeune homme étouffa un bâillement. Il se sentait étrangement lourd, la fatigue l'écrasant de tout son poids.
Soudain, on l'attrapa brutalement par les chevilles et les poignets et, dans un grand cri d'effroi, sous les éclats de rire de Jimin et ceux un peu plus moqueurs de Jeongguk, il s'écrasa lamentablement dans l'eau. C'était froid, ça l'empêchait d'ouvrir les yeux. Ruisselant, il extirpa brusquement sa tête de l'étendue et, les vêtements le collant comme une seconde peau, inspira profondément, agacé. Seulement, en pouffant, le noiraud l'éclaboussa et son rire surprit tant Taehyung qu'il ne sût que dire, planté là, dégoulinant, immergé jusqu'à la taille. Le garçon-renard s'approcha de lui, barbotant joyeusement.
«- Allez, va, enlève ta tunique et amuses toi avec nous!
Face a sa moue quémandeuse, le citadin craqua. En soupirant, un léger, très léger sourire sur les lèvres, il revint sur la rive et ôta rapidement son kimono déjà presque détaché, leur tournant chastement le dos. Fermez les yeux! , aboya t-il alors qu'il se hâtait de glisser dans l'eau. En quelques brasses, il les rejoignit.
Le lac n'était pas très concave, et il semblait qu'ils pouvaient avoir pied partout.
Jeongguk et Jimin s'amusaient à se couler. Le rouquin n'avait aucune chance contre son ami, dont les épaules étaient bien plus musclées, comme tout le reste de sa personne, sûrement. Pourtant, chaque fois que le renardeau s'approchait de lui, Jeongguk le dévorait littéralement du regard. Il semblait lui porter une tendresse profonde. Tant et si bien que Taehyung se demandait s'il était possible que son ami ne l'ait encore remarqué.
S'ils semblaient s'amuser sans lui, ils lui avaient tout de même demandé de les rejoindre, et, aussi simple soit-elle, cette pensée lui mit du baume au cœur.
«- Alors? C'est agréable, n'est-ce pas? lui demanda Jimin, les yeux passant rapidement sur son corps nu, bloquant un millième de seconde sur son torse. Jeongguk se taisait, lui aussi, étonnement; et Taehyung savait pertinemment pourquoi. C'était cette maudite marque, qui s'étendait sur son flanc gauche, en forme de tortue. Il avait beau frotter comme un forcené lorsqu'il se lavait, elle ne partait pas ni ne s'estompait. Elle lui rappelait, incessamment, cruellement, sa sentence. Elle se jouait de lui. Le plus petit des trois s'approcha lentement, effleurant du bout de ses doigts mouillés le symbole, tatoué sur son torse imberbe. Taehyung ne l'éloigna pas, trop occupé à contenir ses larmes. Il était las d'être en colère, fatigué de ressentir cette peine lui tordre l'estomac. Lorsqu'il voyait Yoongi, sa langue le brûlait autant que ses yeux; il aurait aimé lui tenir tête, l'empêcher coûte que coûte de le maudire. Mais le passé ne pouvait être changé et il devait avancer, à présent.
- C'est pas si terrible que ça, ce côté yakuza», déclara soudainement le garçon aux cheveux noirs, qu'il avait rabattus, dévoilant son front, brisant le silence. Alors, la gorge serrée et les yeux embués, Taehyung laissa échapper un gloussement, rendant son sourire à l'autre, qui lui fit étrangement penser à un lapereaux.
Le rouquin n'avait peut-être pas tout à fait tort, en réalité. Ils ne deviendraient pas amis du jour au lendemain, certes, mais dans ce sourire se cachait un "pardon" qui lui vint droit au cœur. Et peut-être, peut-être seulement, pouvaient-ils finalement accepter l'idée d'apprendre à connaître l'autre.
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