METSÄ- 12
C'est les yeux humides et l'esprit un peu brumeux que Taehyung avait rejoint sa chambre, la démarche mal assurée. Une fois la porte de la pièce qu'on lui avait généreusement affiliée refermée, il s'était jeté sur son futon, refrénant le cri qui montait dans sa gorge, les poings serrés de rage.
Il fallait bien se rendre à l'évidence, il ne parviendrait pas à fuir le temple. Pas de cette façon, en tout cas.
Peut-être, finalement, valait-il mieux qu'il ne purge sa peine, comme l'avait décidé de maître du sanctuaire?
À vrai dire, il se sentait tellement perdu, ici; et l'injustice à laquelle il était confronté avait un goût si amer, si aigre, qu'elle lui brûlait l'estomac.
En soupirant, il se retourna et, au moment même où ses yeux se posèrent sur elle, Jimin le surprit en faisant coulisser la mince paroi décorée d'un esprit; d'une espèce de forme brumeuse, aux grands yeux vides, dont taehyung pouvait presque entendre la complainte, peinte à l'encre de chine. Le jeune garçon sursauta.
«- Hé... Comment te sens-tu? Le rouquin portait un sac en toile de jute épaisse, nouée en baluchon, qui semblait particulièrement lourd sur ses frêles épaules. Sans même attendre sa réponse, il se pressa de refermer la porte, laissant tomber le sac, qui s'écrasa dans un froissement mat sur le parquet, et s'assit au bord du futon. Allez, va, ça ne peut que s'arranger. D'accord? Je suis sûr qu'on va- que tu vas t'en sortir. »
Un bandage entourait sa main et le citadin l'attrapa, l'examinant un instant avant de murmurer un «pardon» sincère.
Jimin avait été si doux depuis son arrivé, et lui n'avait fait que le blesser; avec ses mots tant qu'avec ses actions. Il se sentait minable.
Son camarade sembla percevoir son désarroi et, accrochant son regard dans celui de Taehyung, glissa une main hésitante dans les mèches de cheveux, plus qu'en batailles, du brunet, les ébouriffant d'un geste tendre, et le jeune garçon se détendit imperceptiblement.
Là, le rouquin étendit le bras pour attraper l'étrange baluchon et reprit;
«-J'ai quelque chose pour toi. Je doute qu'elles ne t'aillent réellement, mais tu devras t'en accoutumer. Pour l'instant, du moins! Ce sont les plus grandes que j'ai pût trouver ici... Peut-être Yoongi-sama t'en prêtera-t-il d'autres? Tout en babillant, Jimin avait plongé les mains dans le sac de toile et, habilement, en avait extirpé une étrange paire de chaussures, taillées dans un bois clair, avec deux talons sous chaque semelle, et décorées d'une lanière en tissus d'un rouge ancien, vaguement fané, qui lui rappela la couleur des colonnes du temples. Jimin les exhiba fièrement.
Voilà; ce sont des geta. Elles sont un peu anciennes, mais elles feront bien l'affaire. Qu'en penses-tu? »
Bien que très jolies, les chaussures avaient l'air usées, comme si quelqu'un les avaient utilisé avant lui et, étrangement, cela le mettait bizarrement mal à l'aise. Une drôle de sensation lui courût le long du dos, remontant le long de sa colonne vertébrale, alors qu'il se faisait la réflexion que, peut-être, la personne qui les avait porté s'était retrouvé dans une situation semblable à la sienne.
En avisant les vêtements, encore pliés, qui traînaient à côté de l'armoire, Jimin tiqua. Il s'affala peu gracieusement sur le futon pour les atteindre, et posa la pile de tissus sur ses genoux.
«- Dis, Taehyung, où as tu trouvé ce kimono?
- Il était là quand je me suis réveillé. Pourquoi?
Le rouquin avait l'air songeur, soudainement, perdu dans ses pensées, époussetant distraitement l'étoffe blanc-crème, vaguement beige, les yeux dans le vide.
Après un court silence, il raccrocha à la réalité, secouant brièvement la tête comme pour en chasser les souvenirs.
-Hum? Ah, non, rien d'important. Il me semble étrangement familier... enfin, mon esprit doit me jouer des tours. L'étincelle pétillante habituelle se ralluma dans ses yeux.
Attend, je vais te trouver de quoi agrémenter ta tenue!, s'exclama-t-il en se penchant de nouveau vers le sac en toile brute, un air espiègle et ravi sur le visage, prenant Taehyung de court par sa soudaine excitation. C'est du linge propre, je viens tout juste de le détendre. Je l'avais mis dans le jardin, pour qu'il sente bon l'herbe coupée une fois sec. »
Du sac, il sortit une grande lanière de tissus orangé, brillante comme de la soie.
L'étoffe avait la couleur du soleil couchant, semblable à celle du pelage de Jimin.
«- Bon! Debout fainéant. Et ne rechigne pas, enfin! Si Yoongi-sama t'as donné ce kimono, c'est bien pour que tu ne le portes, n'est-ce pas? »
Jimin lui tendit la tunique aux manches larges, dont le col, raide, comme amidonné, était brodé de noir.
À contrecœur, il passa ses bras dans les manches du kimono qui, une fois sur son dos, lui paraissait bien plus lourd qu'auparavant. Jimin s'afféra un instant à nouer l'obi, replaçant de ses doigts de fée les pans du kimono. L'habitude et la délicatesse transpiraient dans chacun de ses gestes. Une fois qu'il eut fini, l'homme-renard se recula de deux pas, admirant fièrement son petit protégé correctement vêtu, joignant ses mains en étouffant un gloussement de joie.
«- Ta dam! Alors, ça te plait?»
Comme unique réponse, Taehyung grimaça.
Il avait l'impression d'être ridicule, ainsi engoncé dans ce costume trop solennel, trop différent de ce à quoi il était habitué, trop opprimant. Et ces étranges chaussures étaient vraiment inconfortables!
Pourtant, Jimin et Jeongguk, eux, évoluaient si gracieusement dans cette toilette, sans parler de Yoongi-sama qui semblait parfaitement irréel; lui n'avait l'impression de n'être qu'une grossière imitation, ridicule, un bouffon risible et grotesque.
L'étoffe, rêche, épaisse, restreignait ses mouvements et la ceinture, en plus de lui tenir bien trop chaud, comprimait particulièrement sa taille, moins fine que celle des hôtes du temple, comme le ferait un corset.
Jimin s'aperçut de son trouble, et son nez s'agita faiblement, à la façon du museau d'un lapin. C'était absolument adorable.
«- Tu t'y habitueras vite, ne te fais pas de soucis. Et puis, en toute honnêteté, ce kimono te sied à merveille! » Ses yeux en croissant de lune se plissèrent adorablement alors qu'il lui offrit un sourire si franc, si tendre que Taehyung lui rendit dans la seconde.
«- Je vais devoir te laisser... Tu devrais sortir un peu. Je t'appellerai lorsque nous servirons le déjeuner!» Il mit un pied hors de la pièce, semblant indécis et, soudain, laissa brusquement retomber le sac, se pressa vers le jeune garçon qui se tenait, coi, au milieu de la chambre, les yeux tournés vers la lucarne, et l'étreignit avec force. Bien que surprit par cette soudaine démonstration d'affection, Taehyung lui rendit son accolade.
Puis, tout aussi rapidement, le rouquin prit ses cliques et ses claques et, à petits pas pressés, se sauva.
Par la fenêtre, la nature se tenait tranquille, mystique, paisible. Presque éternelle. Jimin avait raison, il ferait mieux de profiter de sa journée, plutôt que rester enfermé à l'intérieur. Il enfila les chaussures qu'on venait de lui offrir, avançant à pas hasardeux et plutôt fébriles dans les couloirs du temple.
À vrai dire, bien que jolies, les chaussures étaient plus qu'inconfortables. Ses orteils étaient contractés au possible afin de ne pas perdre les getas, trop rigides, à chaque pas, et il avait un équilibre précaire sur ses talons de bois -apparemment, l'incommodité était le point fort des tenues nippones traditionnelles. Lassé de devoir s'agripper aux murs, Taehyung abandonna rapidement les sandales au beau milieu du couloir dans lequel il était.
Dans le même instant d'agacement, il tira aussi sur le col brodé du kimono, d'un geste sec, donnant plus de mou, sans même penser un instant au travail fourni par Jimin sur sa tenue.
Ainsi, le col le compressait moins. Il baillait même franchement, laissant apparaître ses clavicules. Quant à la ceinture, il avait bien conscience qu'il ne saurait pas refaire le nœud complexe dans son dos, cependant il la défit en tâtonnant et la noua lâchement autour de sa taille. De cette façon, il pouvait respirer librement. Enfin.
Le jeune garçon erra un long moment dans le labyrinthe de corridors et, par un quelconque miracle, déboucha dehors, et s'arrêta un instant sur un des couloirs à l'air libre qui entouraient le bâtiment principal, à l'abris sous le toit bas, fait de bois abîmé, encore gonflé par les pluies. Le zéphyr chaud avait un goût de liberté. À l'intérieur du sanctuaire, l'air était lourd, chargé de poussière. Ici, la nature s'étalait fièrement sous ses yeux neufs, ses yeux urbains, peu habitués à cette verdure chatoyante, qui en paraissait encore plus éclatante, alléchante.
Alors, lentement, il se promena dans le jardin. Au fond, il savait pertinemment où il se rendait. Mais, à la façon d'un gourmet humant un plat particulièrement apprécié, il se balada mollement dans les jardins, les pieds s'enfonçant dans la terre molle, qui le chatouillait entre les orteils. Enfin, après avoir apprécié la beauté singulière des jardins, Taehyung passa le rideaux de verdure broussailleuse, qui formait une pseudo barrière naturelle, menant au bassin.
Là, il avança sur quelques mètres et s'affala lourdement au sol, se délectant du panorama, véritable tableau de Monet au-milieu duquel il était plongé.
Le vent gonflait le feuillage du saule pleureur, qui frôlait l'eau du bassin en en troublant la pureté. Le soleil jouait sur l'onde glougloutante, s'y reflétait en éclats brillants. Quelques insectes chantaient dans les hautes herbes, qui avaient poussé sans contraintes, encore mouillées par l'orage, où s'était allongé Taehyung. Ainsi étendu sur le tapis épais et verdoyant que lui offrait la nature, la main sur les yeux pour se protéger de la vive luminosité, le jeune homme profitait des rayons chauffant délicieusement sa peau dorée. Des libellules survolaient le bassin, leur carapace brillante, attrapant les faisceau du soleil, créant de petites étincelles bleu électrique.
Les pluies diluviennes, qui avaient agité la nuit, étaient comme oubliées, laissant place à une harmonie plaisante, chaleureuse.
Il soupira. Ici, il ne ressentait rien qu'autre qu'un profond apaisement.
Une satisfaction immense, délassante, qui tranchait drastiquement avec le cocktail explosif de sentiments par lesquels il était passé, ces derniers temps.
Un bruissement troubla sa tranquillité.
Le son venait de derrière lui et,pour être tout a fait honnête, Taehyung n'avait pas envie de se redresser pour regarder. Il était si bien, ainsi, presque enfermé par les herbes indomptées, si hautes qu'elles le recouvrait quasiment. Dans ce cocon de verdure, il se sentait parfaitement à l'aise et, égoïstement peut-être, il ne voulait pas que l'on vienne troubler cette quiétude.
Alors, quand il souleva sa paupière, il n'aperçut, du coin de l'œil, qu'un bref éclair verdâtre-bleuté, d'une couleur reconnaissable entre toute.
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