METSÄ- 11
Quand Taehyung souleva ses paupières, tâche plutôt ardue, il eut l'étrange impression d'avoir fait un drôle de rêve. Il lui fallut de longues minutes, durant lesquelles il comatait à moitié, avant de se redresser.
Sa bouche était sèche et pâteuse, comme s'il n'avait pas bu depuis des jours, et ses oreilles bourdonnaient. D'une main tremblante, il frotta ses yeux gonflés, douloureux, tentant d'émerger des limbes profondes du sommeil, lourd et sans rêves, dans lequel il était précédemment plongé.
Le soleil semblait haut dans le ciel, ses rayons s'infiltrant par la ridicule lucarne pour tracer des raies lumineuses le long des murs dénudés, agressant les rétines, bien trop sensibles, du jeune garçon.
Où était-il?
La chambre ne ressemblait en rien à celle qu'il occupait à la ferme.
Taehyung était troublé. Des pans entiers de souvenirs semblaient manquer à sa mémoire, et ce sentiment était teinté d'une amertume désagréable.
Son estomac gronda, le rappelant à l'ordre, se contractant violemment de temps à autres. Depuis quand n'avait-il rien avalé? Il n'avait pas le souvenir d'avoir dîné, le soir précédent. Et pourtant, malgré la faim qui lui tiraillait le ventre, Taehyung se sentait nauséeux.
Alors, sans vraiment savoir pourquoi, il se laissa tomber en arrière sur son futon, manquant de se cogner la tête contre le mur, et observa la pièce dans laquelle il avait dormi.
Ainsi à la lumière du jours, elle paraissait plus petite encore qu'il ne l'avait cru. Le plafond, d'un blanc grisâtre, autrefois éclatant, était zébré de fissures. Sur la bibliothèque poussiéreuse, qui mangeait tout un pan du mur, avait été posée une lampe à huile un peu vieillotte. Au pied du futon, à sa droite, un kimono de lin beige, plié, n'attendait plus que son propriétaire. Taehyung effleura le tissu du bout des doigts.
Cet habit, pourtant si simple, semblait avoir bien plus d'importance qu'il ne pouvait sembler. C'était semblable à une petite alarme, un flash clignotant dans son cerveau.
Alors, il se souvint; il se rappela de la punition cruelle qu'on lui avait donné, de la douleur infligée par l'apparition d'une étrange marque sur son torse, la douceur du rouquin lorsqu'il l'avait soutenu et bordé comme un enfant.
Ce n'était donc pas un rêve... Ou, tout du moins, si c'en était un, il était fichtrement réaliste.
Il se pinça furieusement la peau de l'avant-bras, juste au-dessus du poignet, le cœur gonflé par l'espoir que tout ne soit que le fruit de son imagination. Mais la douleur était là, vive, fugace.
Elle semblait le narguer. Regarde, fanfaronnait-elle, regarde comme tu es pathétique.
Et cette douleur, étonnamment, avait la voix suave d'un jeune homme aux cheveux bleutés et aux yeux glaçants.
Il faisait chaud, dans le sanctuaire, particulièrement dans le placard meublé où le jeune homme avait logé, et Taehyung suffoquait. Il lui fallait de l'air.
Il se leva brusquement, s'extirpant de la chaleur des draps propres, et traversa la pièce pour ouvrir la fenêtre, fébrile, les jambes courbaturées. Ses tempes pulsaient, comme si un étau enserrait son crâne.
Il poussa la vitre, forçant sur les muscles douloureux de ses bras, qui s'ouvrit dans un grincement strident.
Une brise lourde, moite frappa ses joues. Elle ne rafraîchissait pas l'air, mais le citadin eut néanmoins l'impression qu'il parvenait plus facilement à respirer malgré sa gorge nouée.
Il posa son front sur le mur, déglutissant difficilement. Il devait réfléchir posément.
Bordel... Il n'allait tout de même pas passer sa vie à exaucer le moindre caprice d'un homme dont seule la beauté égalait la cruauté! Et puis, malédiction ou pas, s'il était suffisamment discret, personne ne pourrait l'empêcher de prendre ses cliques et ses claques et lever le camp, n'est-ce pas?
Soudain, le jeune garçon parût s'éveiller. Il s'arracha à la fraîcheur du mur, se ruant vers la porte, simplement vêtu d'un caleçon. Ses yeux cherchèrent frénétiquement ses baskets, introuvables. Tant pis, il ferait sans. Mieux valait se meurtrir les pieds que croupir dans un temple en ruine dont la structure branlante, en bois pourrissant, manquait de s'effondrer à chaque coup de vent.
Il devait partir.
Il suffisait de s'en aller, loin, et ne jamais revenir. D'ailleurs, il n'aurait jamais dû poser ne serait-ce qu'un seul orteil dans le sanctuaire; il n'avait rien à faire ici.
D'une main il poussa le panneau coulissant de la porte, laissant la paroi ouverte sur son passage, se précipitant à toute jambe dans le long couloir, la tête tournée vers l'arrière, les yeux fixés sur la flamme vacillante de la lampe à huile posée à côté de la porte. Son corps entier gémissait de douleur alors que Taehyung courait à en perdre haleine, ses talons claquant contre le parquet abîmé.
Il allait pouvoir revoir les épis de blé s'agiter au vent, rire en observant le gros Yeontan courir devant le poulailler, respirer à plein nez l'odeur de la terre mouillée par la pluie. Il allait être de nouveau libre!
«- Taehyung?
Le jeune garçon tourna brusquement la tête vers la voix chantante qui avait résonné entre les murs, ses cervicales craquant sous la brutalité du mouvement.
Devant lui, au beau milieu du couloir, était planté le serviteur roux, un plateau dans les mains. Le serviteur glapit, ses yeux s'écarquillant, tétanisé.
Le fuyard arrivait si vite qu'il ne put l'éviter. De plein fouet, il percuta le plus petit, et, dans un tintement de vaisselle brisée, s'écrasa misérablement au sol, son corps entier retombant douloureusement sur le sol dur. Taehyung gémit, les yeux clôt, humides de larmes, recroquevillé sur lui même, la respiration hachée par sa course éperdue et la brutalité de la collision.
«- Oh, non non non! Le maître ne va pas du tout apprécier. C'est une catastrophe, Taehyung. Une catastrophe! Jimin balbutiait hystériquement, les deux mains fourrageant dans les débris de porcelaine coupants, tentant de tout rassembler. Il était assis au sol, les genoux égratignés par sa chute, le menton tremblant. Le service à thé est fichu, je suis mort et enterré. C'est... enfin, c'est un désastre.
- Arrête. Tu es en train de te blesser. Taehyung avait attrapé les mains du garçon-renard, lui retirant le tesson de porcelaine qu'il agrippait désespérément. Une longue plaie traversait sa paume et le sang ruisselait le long de ses doigts, tâchant d'écarlate la manche de son kimono, s'écrasant en grosses gouttes sur le sol. Ça n'est qu'une théière, il comprendra.
- Tu ne le connais pas... Yoongi-sama sera fou de rage! Il soupira. D'abord, qu'est-ce que tu fichais, à débouler aussi rapidement? Et puis, pourquoi est-ce que tu ne portes pas le kimono que j'ai mit à côté de ton lit? Enfin, Tae! Une lueur de suspicion illumina son regard, que Taehyung fuyait, et sa voix sonna très inquiète alors qu'il baissait d'un ton, murmurant presque. Ne me dit pas que... Taehyung, tu ne comptais tout de même pas t'enfuir d'ici? Enfin... Tu as été maudit, tu sais? Le temple ne te laissera pas sortir avant que le sceau ne soit effacé, et seul le maître n'en a le pouvoir.
- Peut importe! Taehyung se radoucit en voyant la moue compatissante du rouquin. Je... J'avais tout; une famille, un chez-moi, des amis, mais ton maître m'a tout enlevé, Jimin. Je ne veux pas, je ne peux pas rester ici, tu comprends?
- Tu devras t'en accommoder, humain. Ils sursautèrent, surpris par l'apparition du maître du sanctuaire, dont le visage était fermé. Ainsi debout, les bras croisés, l'air affreusement sévère et les traits tendus à l'extrême, il semblait vraiment effrayant. Tout deux blêmirent, et Jimin baissa la tête, les épaules courbées. Taehyung jura mentalement, encore plus lorsque, sèchement, l'homme reprit la parole. Jimin, va nettoyer ta blessure, avant que ton sang ne gâche définitivement la beauté de ce kimono. Quant à toi, jeune homme, tu répareras tes bêtises. Et si d'aventure tu venais à essayer de t'enfuir à nouveau, sache que je ne serai pas aussi clément. »
Alors le maître du temple, dans un mouvement souple, fît volte face et s'éloigna, emportant avec lui un souffle glacial qui fit bruisser son élégant yukata, glissant le long des joues pâlies de Taehyung. Ses pas frappèrent contre le sol, résonnant comme des coups de rin* dans le crâne du malheureux vacancier abandonné là, dans ce long couloir, prostré au sol parmi les débris de porcelaine.
Rin*: Le rin est un gong qui occupe une place centrale dans la méditation bouddhiste traditionnelle, connu également sous le nom de "bol chantant". Comme son 2ème nom l'indique, cet objet ressemble plutôt à un bol , qui produit pourtant un son semblable à celui d'une cloche ou d'un gong.
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