Partie 31

Elle se détacha d'Archie pour basculer à sa droite et, d'une main, dénoua le lien retenant sa robe autour du cou. La soie glissante coula le long de son buste et de ses flancs, parvint à ses pieds qui s'écartèrent pour se débarrasser de l'entrave. Le regard d'Archie ignora l'entrejambe et se concentra sur les petits monticules des seins. Rien à voir avec la poitrine de Stephen où émergeaient deux tétons semblables à des grains de café. Ceux de Felicity avaient une consistance et une saveur de framboise. Occupé à les déguster, Archie ne s'aperçut pas tout de suite du manège auquel se livrait la jeune femme. Ses soupirs allant crescendo, il lâcha les pointes drues et risqua un œil vers l'endroit dangereux, à contourner absolument. Une couverture moussue cachait le sexe où les doigts s'affairaient. Par l'interstice des phalanges, Archie entrevit la fente d'un rose luisant, en forme de sourire et le clitoris bourgeonnant. Combien de temps lui faudra-t-il pour s'en approcher ? Si toutefois Felicity m'accorde du temps, songea-t-il. 

Il revint aux seins dont il reconnut les contours, avec les mains cette fois. Sollicitée par le haut et par le bas, Felicity se plaignait de plus en plus fort. Sa poitrine se portait au-devant des paumes d'Archie, ses cuisses s'écartaient un maximum. Ces dernières finirent par se refermer violemment. Une série de décharge ébranla l'éditrice dont le corps gracieux se tordit un instant avant de se laisser aller dans un mol abandon.

À ce moment, Archie sentit la tumescence tant attendue gonfler son caleçon.


La certitude que cette pratique plaisait à Felicity l'avait-elle dopé ? En tout cas, ses inhibitions avaient disparu dès l'abordage de l'orifice privilégié. Oubliant ses complexes, il avait sodomisé la jeune femme sans réticence, comme il l'aurait fait pour un mec. Mais c'était comme une femme qu'il l'avait caressée. Le cul, le dos et les hanches pouvaient entretenir l'illusion ; pas la poitrine dont le contact lui électrisait l'extrémité des phalanges. Abîmés dans une mutuelle jouissance, ils reposaient à présent côte à côte sur les draps gris argent au chiffre des Lyme.

« Il doit être très tard, observa-t-il, passant une main sur son front moite.

— Et alors ? Personne ne nous attend, ni l'un ni l'autre.

— Je me disais...Eddy... »

Il était bien temps d'y songer. Bizarrement, son sentiment de culpabilité envers son ami avait diminué. N'empêche, il devrait affronter Eddy et le regarder dans les yeux en sachant qu'il l'avait trompé. Une main longue et fine, mais d'une force peu commune, étreignit la sienne.

« N'ayez aucun souci. Demain – ou plutôt ce matin si j'en crois cette ravissante pendulette bleu marine –, je lui parlerai. »

Archie se raidit. Il souhaitait cette réaction tout en appréhendant les conséquences. 

« Que...que lui direz-vous ? balbutia-t-il.

— Vous le savez très bien. Que je ne l'épouserai pas.

— Je...commença-t-il. »

De l'index, elle mima le geste de clore les lèvres d'Archie. 

« Inutile de me resservir le couplet de tout à l'heure. Je ne m'imagine pas vivre avec Eddy Merinvale ; il est froid, distant, arrogant, il calcule le moindre de ses actes. Vous êtes tout le contraire. »

L'entendre dénigrer son ami procura à Archie une douce satisfaction. En même temps, Felicity jugeait sur ses apparences. Il existait un autre Eddy qui dissimulait des blessures anciennes sous une carapace d'indifférence.

« Je pourrais me révéler décevant, la prévint-il. Supposez que je retourne à mes premières amours ? Vous m'en voudriez et notre relation tournerait à l'aigre.

— Tant pis ! Je prends le risque. »

Était-elle joueuse ou avait-elle une confiance inébranlable en ses charmes ? Au fond, Archie n'était pas mécontent d'être bousculé. « Dormons, ajouta-t-elle, nichant sa tête dans le creux du cou d'Archie. »

Pas un instant elle ne lui avait demandé s'il souhaitait regagner ou non son aile et ça tombait bien. Il n'en avait aucune envie.


D'abord réticent, lord Lyme s'était peu à peu fait à l'idée d'une union entre son petit-fils et Felicity. Or, vu la tournure des événements, les deux intéressés n'en prenaient pas le chemin. L'éditrice semblait apprécier davantage la compagnie de Tutbury que celle d'Edwin. Ce soir, elle avait carrément planté là ce dernier au profit d'Archie. Edwin n'avait pas protesté, se contentant d'afficher une mine sinistre. « Tu n'es pas très causant ce soir, lui dit-il après un quart d'heure de mutisme total. »

Edwin le gratifia d'un regard vague, comme s'il venait de s'apercevoir de sa présence. 

« Désolé, marmonna-t-il.

— Tu ne te serais pas querellé avec Felicity, par hasard ? »

Lord Lyme s'attendait à un « Mêlez-vous de vos affaires ! », mais Edwin soupira : 

« Si seulement c'était le cas ! Je n'existe pas pour elle. Je pourrais aussi bien être transparent.

En souffrait-il ? Non, lord Lyme l'aurait juré. Edwin n'était pas amoureux de Felicity ; ni d'ailleurs d'une autre femme. Mais le dédain de la jeune femme blessait son orgueil. Qui sait ? Ce nouveau revers sera peut-être salvateur, pensa le vieillard. Edwin aura appris qu'il ne peut pas tout posséder. « En misant sur Archie, reprit celui-ci après une pause, elle va au-devant d'une sacrée déconvenue.

L'intonation hautaine conforta lord Lyme dans ses certitudes. 

« Oublie-la. Il y a d'autres femmes, Dieu merci, et d'autres hommes, ajouta-t-il, dont l'un n'est pas très loin. »

Lasubite irritation peinte sur le visage de son petit-fils lui prouva qu'il avaittouché une corde sensible. 

« Je vous en prie, arrêtez avec Al. Je n'ai qu'un désir : mener une vie normale d'hétéro et engendrer un héritier.

— Si c'est pour me faire plaisir, tu te trompes. Mon unique rêve est de te voir heureux, même si notre lignée doit s'éteindre. »

Il regarda Edwin droit dans les yeux, conscient qu'il n'y a pas si longtemps, il n'aurait pas parlé ainsi. « Merci, fit Edwin, manifestement ébranlé. Je déciderai moi-même de mon avenir si vous le voulez bien. »

Il quitta la table et la pièce d'une démarche ferme. Je reconnais bien ce fichu orgueil propre à notre race, songea lord Lyme, navré. J'en étais affligé moi-même il n'y a pas si longtemps. Et, seul dans la vaste salle à manger où il recevait jusqu'à trente convives du vivant de son épouse, le vieil homme se livra à son mea culpa. Concernant l'éducation d'Eddy, il n'avait pas toujours été à la hauteur. N'avait-il pas privilégié une poigne de fer à l'écoute dont le gamin avait besoin ? Privé de père presque dès sa naissance, unique enfant d'une veuve inconsolable, Eddy méritait attention et bienveillance. Certes, il était pourri gâté, mais les biens matériels ne remplaçaient pas les témoignages d'affection. Au souvenir des rares moments de complicité avec son petit-fils, les yeux lui piquèrent. Parviendrait-il à inspirer à Edwin autre chose que la défiance ? L'avenir le dirait. En tout cas, il l'empêcherait de faire n'importe quoi.

Le vieil homme resta là, à réfléchir pendant que les domestiques désservissaient.


— C'est fait, déclara Felicity.

Archie lui trouvait l'air satisfait du torero qui vient de planter la dernière banderille. Lui, se sentait dans ses petits souliers. 

« Si vite ? murmura-t-il, comme si Merinvale pouvait l'entendre. »

Ilétait encore sous le choc de cette nuit à la fois magique et déconcertante. Auxpetites heures de l'aube, il s'était glissé hors de la chambre et avait regagnél'aile sud. Felicity dormait profondément à ce moment-là. Il ne pensait pas laretrouver aussi en forme ce matin. En chemisier et pantalon kaki, elle évoquait Ava Gardner dans Mogambo, les formes en moins. Détendue, hâlée, souriante, elle ne donnait pas l'impression de sortir d'une rupture. Peut-être se comportera-t-elle ainsi quand elle me larguera, songea Archie avec une implacable lucidité.

Oui, expliqua-t-elle en s'attablant devant son petit déjeuner. J'ai eu la chance de tomber sur Eddy en arrivant. Nous avons fait quelques pas dans le parc et mis les choses au point.

— Co...comment a-t-il réagi ?

— Bien. Il n'a paru ni en colère ni affecté. Vous aviez tort de vous biler, ce type est inoxydable. Et Felicita enchaîna avec ironie : Je pourrais être vexée de son indifférence. Or, ce qui me peine le plus, c'est...

Elle ne put achever. Une sorte de tornade traversa la pièce, balaya tasses de thé et brioches. Archie eut la sensation d'être soulevé de son siège par une poigne puissante. Il se retrouva les quatre fers en l'air sur le tapis de Perse, parmi la porcelaine renversée et les viennoiseries. Au-dessus de lui, un Merinvale dépossédé de son self control légendaire. Les cheveux en désordre, le visage marqué par l'insomnie, il avait perdu sa flamboyance, mais pas sa pugnacité, pensa Archie. Il tenta de se redresser : en vain ; son adversaire le maintenait fermement au sol.

« Espèce de salaud ! éructa Eddy. »

Felicity qui, entre-temps, s'était rapprochée d'eux intervint :

« Laisse-le ! Tu es ridicule. »

Archie, dans l'incapacité de relever la tête, voyait le bas de ses pantalons et l'extrémité de ses derbies en daim clair.

« Ridicule ? glapit Eddy. C'est toi qui m'as ridiculisé. Et avec mon meilleur ami, en plus.

— Je vais...t'expliquer, balbutia Archie. »

Eddy lâcha, méprisant : 

« Il n'y a rien à expliquer. Tu es un coucou pondant son nid dans celui des autres, Archibald Tutbury. »

Archie frémit. Si Eddy l'appelait par son nom entier, ça signifiait que leur amitié était vraiment morte. Il avait du mal à respirer, des mains dures pesant sur son thorax.

« Ça suffit, maintenant ! intima Felicity à Eddy. Tu vas l'étouffer. »

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