Partie 3
S'attabler dans la cuisine ensoleillée face à ce petit lot bandant fut pour Eddy un moment de pur bonheur qui le paya des désagréments de la nuit. Il put mater à loisir le cou pareil à une colonne de bronze et les bras bruns où les muscles affleuraient à peine. Leur peau dépourvue de poils devait être douce et satinée. Perdu dans sa contemplation, Eddy en oublia son thé et ses œufs au bacon.
Le portable passait mal. Quand Al eut quitté la pièce pour appeler du poste fixe, Archibald adressa un clin d'œil à Eddy :
— Je t'ai vu reluquer le môme. À ton avis, il en est ou pas ?
— Tu sais, à cet âge, ils en sont tous plus ou moins. Vu la montée des hormones, il suffit de les pousser de l'un ou de l'autre côté, observa son ami avec un certain cynisme.
Archie le poussa du coude : « Et ça, tu t'y entends.
— Disons que je me défends, déclara Eddy avec une feinte modestie. Tiens, avec ce petit trésor.
— Tu n'as tout de même pas l'intention de... ?
— Si, pourquoi pas ? Il s'ennuie à crever dans ce trou. Un peu de distraction ne lui ferait pas de mal. Toi, tu es jaloux, ajouta-t-il devant la mine renfrognée de son ami. Si tu veux le baiser, je te le laisse.
Archie haussa les épaules : « Je les aime plus baraqués. Non, sérieux, ce gamin risque de tomber de haut.
— Ça lui fera des souvenirs pour les dimanches de pluie. Je ne te croyais pas si moraliste.
« Il a raison, en un sens, se disait Eddy. Si Albert s'imagine des trucs et après, retourne à son existence pouilleuse, ce sera dur pour lui. » L'éventualité de le ramener à Londres ne se posait pas ; il goûtait rarement deux fois au même plat, sauf si le partenaire se montrait très adroit. Sa décision de laisser le gamin tranquille était presque arrêter lorsque ce dernier reparut :
— Le garagiste va venir pour la batterie, leur annonça-t-il. Si ça ne marche pas, il devra la commander.
Debout sur le seuil, il offrait une vision si délectable qu'Eddy revint derechef à sa première idée. Dévorer cette bouche charnue, mordre à même cette chair brunie, prendre dans sa bouche ce sexe que la toile de jean dessinait avec une précision anatomique et... il fixa le jeune homme avec intensité. Du coup, Al vira à nouveau à la pivoine. Archie émit un raclement de gorge qui détourna vers lui l'attention de son ami. L'expression fâchée lue sur le visage en lame de couteau ne perturba pas Eddy le moins du monde.
— En attendant, reprit Al, sans cesser de rougir, vous pouvez loger ici. Nous avons...des chambres.
Il s'en voulut d'avoir trébuché sur le mot, surtout en croisant le regard brûlant d'Eddy. Ce type avait le don de vous déstabiliser. De sa personne, émanait une sorte de magnétisme. Tout en étant plus sympa, son ami ne provoquait pas chez Al un trouble identique.
— Votre père sera d'accord ? demanda Eddy.
— Oui...je...
Al baissa les yeux. Eddy, conscient de l'effet qu'il produisait, adopta un ton propre à le tranquilliser. « J'aimerais le saluer, dit-il d'un ton aimable. Si sa santé le permet, bien sûr. »
Il était curieux de voir l'homme ayant engendré cette petite merveille. Les réticences d'Al à lui montrer l'auteur de ses jours lui firent soupçonner autre chose qu'une simple maladie. Ce que confirma une brève incursion dans la chambre paternelle. Étendu tout habillé en travers du lit, Brackmear offrait un spectacle peu ragoûtant. Il ronflait comme un sapeur et le devant de sa chemise était souillé d'une substance ressemblant à du vomi. Eddy nota les cheveux noirs, la bouche charnue qui avait dû être sensuelle avant de présenter ce pli veule. Brackmear avait sûrement été beau gosse, à l'image de son fils, avant de virer poivrot
— Vous devriez le faire soigner, suggéra-t-il à Al, debout près du lit, l'œil fixé sur son père.
— Vous voulez dire, désintoxiquer ? On a essayé je ne sais combien de fois.
— Je connais une clinique près de Londres, ils obtiennent de bons résultats.
Al haussa les épaules : « Trop cher pour notre bourse. »
Qu'est-ce que ce rupin s'imaginait ? Qu'ils roulaient sur l'or ? Mais le regard du mec exprimait une sincère sollicitude. Il eut honte de l'avoir catalogué trop vite dans les snobs puants. De son côté, Eddy mourait d'envie de le prendre dans ses bras pour le réconforter. « Je vieillis, se dit-il ; je deviens sentimental. »
— Comment arrivez-vous à vivre ? demanda-t-il.
— Le lait de nos vaches et les légumes du jardin vendus au marché.
Eddy jugea qu'il en savait assez. Entre son père alcoolo et ses soucis d'argent, le pauvre garçon n'avait pas une vie bien palpitante : raison de plus pour lui donner un peu de plaisir. Si leur relation s'avérait satisfaisante, pourquoi ne pas l'emmener à Londres prendre du bon temps ? Ça emmerderait Lilian : une perspective loin de lui déplaire. Et tant pis si Archie tirait la gueule !
Il se rapprocha et posa sa main sur l'épaule d'Al : un geste amical pour une personne extérieure, mais que le garçon interpréta correctement. Eddy nota son raidissement et la façon dont il évitait son regard. Il dit, d'une voix basse et séductrice :
— N'ayez donc pas peur de moi, Al ; je ne vous veux que du bien.
— Je sais, souffla le jeune homme. Je n'ai pas peur, sauf de mes...réactions à votre égard.
Eddy aurait dû retirer sa main et quitter la chambre, mais il en était incapable. Les beaux yeux noirs à présent plantés dans les siens lui tourneboulaient les sens. « Mon vieux, tu t'apprêtes à faire une connerie », pensa-t-il en attirant le jeune homme à lui. Les lèvres dont il rêvait de s'emparer depuis la minute où il l'avait vu s'entrouvrirent avec une étonnante docilité. Sa langue visita l'intérieur de la bouche auquel il trouva une saveur de fraise de bois. Al, malgré sa visible inexpérience, lui rendit son baiser. Une petite mèche de ses cheveux vint chatouiller le nez d'Eddy. Ce dernier sentait son membre se tendre dans son pantalon. Bientôt, il ne pourrait plus se contrôler.
— Où est ta chambre ? murmura-t-il. Ton père risque de se réveiller.
Ces mots furent pour Al un électrochoc. Ce type avait beau embrasser divinement, il n'était pas prêt à faire ses quatre volontés.
« Désolé, dit-il en se reculant. Tout va trop vite pour moi.
— Je comprends.
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