Partie 25
Les lumières de l'aile sud s'étaient éteintes l'une après l'autre. La fenêtre de lord Lyme avait été la dernière. La tente qui serait démontée demain avait un air d'abandon, le personnel du traiteur ayant emporté tables et pliants. Eddy avait observé le serveur évoluant avec une grâce féline malgré sa carrure. Les muscles de ses fesses saillaient sous l'épais tissu noir de son pantalon. Était-il nu en dessous, comme au Black Lizard ? Rien que d'y penser, Eddy avait la gorge sèche et le feu au bas-ventre. Pour apaiser sa nervosité, il avait fait le tour du parc et jeté au passage un œil aux abords de la fontaine. Plus personne sur le banc. Cette petite garce est bien capable d'avoir attiré Al dans sa chambre, se dit-il, les dents serrées. Puis il refoula les images suggérées par son imagination. De retour près de la tente, il constata que l'utilitaire du traiteur était parti. Pas trop tôt.
La veste du serveur formait une tache claire sous le couvert des arbres. Eddy se dirigea vers elle comme vers un fanal. Les pulsations de son cœur s'accéléraient, comme chaque fois avant ce genre de rencontre, bien que l'homme ne soit pas un étranger complet. Il connaissait le goût de son sperme, mais il voulait plus : sentir sa fabuleuse tige dans son anus.
« J'ai cru que tu ne viendrais pas, dit le mec.
— Pourquoi ?
— Une idée. Tu aurais pu avoir peur de ton vieux, ou de ta gonzesse. »
Eddy se mit à rire :
« Je suis libre », déclara-t-il.
Et pour le lui prouver, il saisit l'homme aux épaules et se plaqua contre lui. Leurs lèvres se trouvèrent sans difficulté. Celle du serveur fleurait bon le vin de qualité dont la cave de Lyme Hall regorgeait. Il a dû siffler les verres pas finis, songea Eddy, amusé. Bientôt, les émotions le submergèrent, abolissant toute pensée cohérente. La langue chaude et épaisse qui avait léché son phallus au Black Lizard s'enroulait autour de la sienne, en de lents mouvements sensuels. Des piques de plaisir irradiaient le bas de son corps. Il n'y tint plus, ses mains cherchèrent à tâtons la fermeture éclair du fut noir. Comme il commençait à la descendre, l'homme abandonna sa bouche pour pousser un « aï » retentissant. Des poils venaient de se coincer au passage.
« Doucement, l'ami, dit le mec. Tu es bien pressé. »
Inutile d'avouer qu'il n'avait pas baisé depuis le Black Lizard parce qu'un gamin de vingt ans l'obsédait trop. L'autre l'aida, extrayant lui-même le bâton de chair sur lequel la main droite d'Eddy se referma avec un soupir de soulagement. Sa propre érection gonflait sous son pantalon de smoking. De sa main gauche, il abaissa celui du mec et pelota le ventre musclé et au-delà, la taille, sans lui lâcher la bite pour autant. Pendant ce temps, le serveur n'était pas resté inactif. Il avait ouvert la braguette d'Eddy et extirpé du slip le membre turgescent :
« Tu bandes bien, constata-t-il. Tu veux que je te la mette ou le contraire ?
— Que tu me la mettes.
— À vos ordres, mister Merinvale. Moi, c'est Gerald, Gerald Cooper, Gerry pour les intimes. Maintenant, tu en fais partie. »
Gerry. Parfois, Eddy connaissait le nom du mec qui l'enfilait ou qu'il enfilait. Pas toujours. De toute façon, il l'oubliait l'instant d'après. Celui-ci ferait-il exception ? Après avoir ôté le reste de leurs vêtements, les deux hommes se laissèrent choir sur le sol au pied du plus grand bouleau. Ils se jetèrent l'un contre l'autre et s'étreignirent avec une certaine férocité. Eddy ne se priva pas de palper le corps musclé du serveur. La peau élastique, un peu grasse faisait naître des picotements au bout des doigts. Gerry le caressait aussi, lui pinçant les tétons et le branlant avec ardeur. Au point qu'Eddy faillit plusieurs fois éjaculer. Quand la tension devint insoutenable, il s'allongea dans l'herbe. Gerry s'installa sur lui à califourchon et s'empara de ses fesses qu'il pétrit entre ses paumes. Une chaleur intense, pareille à une brûlure mais si délicieuse, envahit Eddy. Deux doigts s'enfoncèrent dans sa raie jusqu'au tréfonds, puis revinrent à son point de départ. La répétition de ce mouvement mit le feu à ses entrailles. Quand les doigts se retirèrent, il se sentit vide, déboussolé. Pas pour longtemps car la tige prit le relais. Longue et raide, elle s'adaptait parfaitement à son conduit. À nouveau, il éprouva la sensation d'être rempli. Tantôt les parois de son anus se resserraient autour du membre pour mieux l'emprisonner, tantôt elles se relâchaient pour le laisser libre de circuler. Le souffle aviné de Gerry passait sur le visage d'Eddy, des mèches de la longue chevelure effleuraient ses joues au rythme de ses allées et venues, renforçant son excitation. Il saisit son sexe dégonflé, décalotta le gland et se branla. L'orgasme survint en quelques secondes tandis que Gerry continuait à le bourrer. Ses halètements et la crispation de ses mains sur ses hanches avertirent Merinvale de l'imminence de son orgasme. Le corps de Gerry se cabra violemment.
« Oh ! oui ! Je viens, ma petite fiote, gémit-il, inondant de sperme chaud le fondement d'Eddy. »
Ce dernier contracta son anus pour profiter au mieux de cette giclée bienfaisante. Sa propre jouissance se déclinait en spasmes continus. En ces minutes, Al ne comptait plus lui ; seul le préoccupait le plaisir pris au cœur de la nuit avec un mec tellement à l'opposé de ses goûts habituels.
Étenduscôte à côte, les deux hommes demeuraient silencieux, les yeux fixés sur le cielétoilé. Son bas-ventre apaisé, Eddy tâchait de repérer les constellations. Leurcontemplation le ramenait à l'époque où son grand-père les lui citait. Tu vois, Edwin, ici c'est le Chariot, là, LaGrande Ourse, là, la Casserole. Bizarre de se le rappeler dans cescirconstances.
« Je ne me trompais pas, dit soudain Gerry. On est fait pour s'entendre. »
Arraché à sa rêverie, Eddy sursauta:
« Quoi ?
— Tu n'écoutais pas. En réalité, tu te fiches pas mal de moi. »
S'il obtempérait, le type se vexerait. Or il n'avait pas l'intention de renoncer à cette queue d'exception. D'autre part, s'il protestait, Gerry lui collerait au train. Il préféra temporiser.
— Pardon, je suis dans les vapes.
Gerry posa la main sur le sexe flasque d'Eddy en un geste tendre.
« Je comprends. Je suis content d'avoir doublé Nigel sur ce coup-là, murmura-t-il. Il te voulait, mais il n'a pas été assez rapide. »
Eddy n'en revenait pas d'être l'enjeu d'une rivalité entre ces deux homos de province. Ses potes de Londres jugeraient l'anecdote croustillante. Par contre, il ne leur parlerait pas d'Al, fiché dans son cœur telle une flèche empoisonnée.
« Je pourrais avoir envie de récidiver avec Nigel, suggéra-t-il en manière de plaisanterie.
— Non, c'est un bande-mou, tu as dû t'en rendre compte. Toi, il te faut une bonne grosse pine bien dure pour te contenter.
Cette remarque qui aurait excité Eddy tout à l'heure le fit bâiller. Il avait hâte de prendre une douche et de dormir, s'il le pouvait.
Archie avait beau se tourner et se retourner sur son matelas ferme – la literie de ces vieilles demeures seigneuriales laissait à désirer –, il ne parvenait pas à trouver le sommeil. Depuis son arrivée à Lyme Hall, il avait cessé de prendre les somnifères prescrits par le médecin suite à la rupture avec Stephen. L'air de la campagne l'assommait au point de s'écrouler chaque soir sur son lit.
Bizarre, je n'ai pourtant rien bu, se dit-il, changeant pour la énième fois de position. Son insomnie avait une autre cause. Peut-être la conversation avec Felicity. Outre sa teneur, la confiance aveugle que la jeune femme lui avait témoignée le remuait. Pour Archie, habitué à vivre dans un milieu masculin, tant professionnel qu'amical, les femmes représentaient un territoire inconnu. Son éducation à Eton, puis à Oxford n'avait pas favorisé les contacts avec l'autre sexe. Même la révélation de son homosexualité était survenue tardivement, à l'âge de dix-huit ans, quand l'un de ses condisciples l'avait déniaisé. Une expérience rapide dans les douches de l'internat, suivies d'autres plus ou moins réussies. Il en avait retiré du plaisir, certes, mais pas la stabilité auquel il aspirait. Des années et des aventures ratées plus tard, il n'espérait plus dénicher la perle rare capable de lui offrir un compagnonnage tendre et exaltant à la fois. Mais pas une femme, quand même. Était-ce le plan tordu d'Eddy qui lui fourrait de pareilles idioties en tête ? Désormais, il ne se mêlerait plus de ses affaires, que l'union avec miss Sturgeon se concrétise ou pas.
Dans la chambre, régnait une température étouffante. À faire mentir la légende tenace des étés anglais bien arrosés. Archie se leva, repoussa les volets intérieurs et ouvrit la fenêtre. La lune baignait le parc de lumière, le tronc des bouleaux semblait en argent. À Londres, son appartement donnait sur l'immeuble d'en face, haut d'une dizaine d'étages. Eddy avait de la chance d'être un jour propriétaire de ce magnifique domaine.
Quand on parle du loup...Deux silhouettes masculines émergèrent des feuillages ; l'une d'elle appartenait à Eddy, l'autre à un homme de taille identique, mais de carrure plus imposante. Le serveur. Des sentiments contrastés l'agitèrent : stupeur, admiration, indignation et aussi une pointe d'envie. La colère dominait. Eddy se tapait le mec quasiment sous les yeux de celle qu'il venait de demander en mariage. Pas tout à fait, admit-il en son for intérieur. Felicity dort dans une autre aile. N'empêche, l'intention y était.
Eddy et le serveur remontèrent l'allée. Archie nota leur débraillé. Les pans de la chemise du premier flottaient au lieu d'être rentrés dans le pantalon et les cheveux du second se répandaient sur ses épaules en boucles désordonnées. Au niveau du perron, tous deux s'immobilisèrent, puis le serveur prit Eddy par l'épaule et l'attira à lui. Ils échangèrent un baiser fougueux et sans équivoque. Archie se recula, comme s'il pouvait être visible du dehors. Lorsqu'il osa enfin regarder, Eddy était seul. L'expression égarée de son visage frappa Archie. Il fut sur le point de le rejoindre avant de se rappeler sa décision de ne plus intervenir dans la vie de son ami.
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