Partie 15
La vieille porte d'entrée trembla quand Eddy la claqua. Il bouillait de colère. Ce gamin l'avait traité de manière inqualifiable. Il savait maintenant ce qu'éprouvait Archie : le sentiment d'être une merde. Et ce culot d'aller lui reprocher sa conduite ! Dieu merci, il lui avait rivé son clou. Il était fier de devoir sa réussite uniquement à lui-même et non pas aux relations de son grand-père.
Quand lord Lyme avait cessé d'assumer ses frais de scolarité à Oxford, Eddy avait multiplié les petits boulots pour compenser : coursier, livreur de pizzas, baby-sitter. Ce dernier job lui avait permis de débaucher le père de la gamine qu'il gardait, un homme marié, tout penaud d'avoir eu sa première expérience homosexuelle. Une courte honte puisqu'il avait récidivé pendant six mois. La plus longue liaison d'Eddy, en dehors de Lilian. Il avait un peu morflé quand le mec l'avait largué pour revenir sur le droit chemin conjugal, mais bien vite, le tourbillon des coups sans lendemain l'avait emporté. Pourquoi repensait-il à cet enfoiré, lui qui avait fait table rase du passé ? Même sa mère adorée, il l'avait zappée. À cause de ce petit connard ! se répétait-il. Le prétexte de la copine était bateau, il en était sûr. La tache de sperme sur le short ne laissait aucun doute. Albert s'était branlé en le regardant : un beau petit sagouin.
La vision de son fiancé en train de se limer les ongles, loin de le calmer, accrut son exaspération.
« Tu as l'air hors de toi, observa Lilian. Ton petit chéri t'a fait des misères ?
— Je me moque de ce type. C'est clair ou dois-je te le dire en gaélique ou en patois écossais ? »
Changeant de tactique, Lilian vint se frotter à Eddy, comme une limace.
« Je connais le moyen de te détendre, murmura-t-il. »
Ses mains agrippaient déjà sa braguette : des mains potelées à la teinte cireuse. Rien à avoir avec celles d'Albert aux longs doigts bruns et sensibles. Eddy aurait tant aimé ces extrémités élégantes courir sur son gland. Au lieu de ça, il allait être épongé par un mec que le tout Londres gay s'était tapé. Non, mille fois non ! En un éclair, il repoussa Lilian, envoya bouler lime et polissoir.
« Va te faire foutre ! gronda-t-il. Je ne suis pas d'humeur. »
Lilian répondit, sans se fâcher :
« Justement, tu as besoin de te distraire. J'ai repéré sur Internet un bar gay pas loin d'ici, le Black Lizard
— Je connais ; j'y allais vers mes seize dix-sept, en cachette du vieux. »
La peur et l'excitation au ventre. Là, se situait sa première fois avec un mec très doux ; du moins était-ce l'impression qu'il en gardait. Pour le reste, il avait oublié son visage et son sexe.
« Que dirais-tu d'un retour aux sources ? fit Lilian, les yeux étrécis et la lippe gourmande.
— Pourquoi pas ? »
Pourquoi pas en effet ? Il avait un urgent besoin de déstresser et, surtout, de soigner son ego malmené par ce petit con d'Albert.
L'endroit, sombre et enfumé, comme il se devait, évoquait à Eddy de brefs flashs : des pantalons descendus sur des fesses pâles, des queues au garde-à-vous, des corps imbriqués les uns dans les autres, le tout sur fond de musique tonitruante. L'odeur de la bière se mêlait à celle des sueurs mélangées. Eddy les huma pour se mettre dans l'ambiance.
L'entrée de deux hommes d'une extrême élégance avait provoqué des remous parmi la clientèle : une majorité de mecs style déménageur ou camionneur. Eddy n'avait pas lésiné sur le look : chemise de lin paille, largement ouverte sur la poitrine, un jean gris argent qui ne laissait rien ignorer de ses attributs et des mocassins souples. Ses cheveux rejetés en arrière lui donnaient l'air d'un jeune dieu grec. Il avait conscience de l'effet produit sur ces types, de leurs murmures sur son passage, des regards attachés à son cul. Précédant Lilian, il se dirigea vers le comptoir d'une démarche de léopard. Le mec derrière – le patron, vraisemblablement –, une armoire à glace dont les biceps tatoués sortaient d'un tricot de coton blanc lui sourit.
« Vous, je vous connais, dit-il, l'englobant d'un air appréciateur ; vous êtes venu dans mon bar il y a un bon bout de temps.
— En effet.
— Vous verrez, l'ambiance est toujours au top. Il y a plein de types sympas qui ne demandent qu'à vous connaître vous et votre ami.
— Une bière, d'abord ; on crève de soif, dit Lilian. »
Tout en buvant sa Bridgnorth, il pivota pour examiner les hommes présents. Eddy connaissait ce regard scrutateur, pareil à celui d'un rapace. Lilian « faisait son marché » comme il le disait. Eddy, lui, tâchait de décompresser. Les yeux du type du comptoir se promenaient sur son visage, son cou et sa poitrine avec une relative discrétion.
Au bout d'un moment, Lilian posa sa chope et s'achemina à pas lents et gracieux vers un homme nonchalamment adossé à une colonne de faux marbre. D'où il était, Eddy ne le distinguait pas bien. Les deux se mirent à parler à voix basse avant d'être rejoints par un troisième compère. Eddy sentait le regard brûlant du patron entre ses omoplates ; il se désintéressa de Lilian pour se retourner vers lui :
« Je ne peux pas m'absenter, souffla l'homme, mais tu auras l'embarras du choix
— Je ne suis pas pressé. »
Il lissa ses cheveux d'un geste nonchalant. Les doigts du mec se crispèrent sur le verre qu'il était en train d'essuyer. Eddy jeta un coup d'œil dans la salle. Lilian avait disparu, ou alors la colonne le masquait. Deux hommes se rapprochèrent du comptoir dans un bel ensemble et, mine de rien, le jaugèrent. L'un d'eux parut à Eddy fade et sans intérêt. L'autre, par contre...une longue chevelure brune dégringolait sur son torse nu, lui donnant un aspect primitif. Un jean usagé, maintenu aux hanches par un ceinturon, montrait des abdominaux irréprochables. Eddy raffolait de ce genre de grande brute d'habitude.
« Tu es dispo ? » demanda le mec, lui frôlant l'oreille de ses lèvres.
Ce simple contact lui déclencha un début d'érection. Cette fois, il ne repartirait pas bredouille comme cet après-midi.
« Oui, fit-il. »
Le type glissa sa main large et carrée dans la sienne et l'entraîna sous l'œil envieux du patron. Le mec recalé ne perdait pas une miette de leurs mouvements.
Le jeune gars prit rapidement les choses en main ; ce n'était pas pour déplaire à Eddy, bousculé dans ses certitudes et prêt à se soumettre pour un soir au désir d'autrui. Il fut poussé dans un coin obscur de la salle et déloqué en quatrième vitesse. Les boutons de sa chemise et de sa braguette sautèrent sous des doigts impatients. Ces mêmes phalanges râpèrent la peau délicate de sa verge, dégagée de la gangue du slip.
« Oui, oui, murmura-t-il, croyant que l'homme allait le masturber. Mais, tombant à genoux, ce dernier l'enfourna gloutonnement. Si seulement Albert me pompait à sa place, regretta Eddy : un vœu d'autant plus stupide que l'inconnu suçait à la perfection. Il lui massait aussi les couilles avec une délicatesse en désaccord avec son physique rude. Eddy ferma les yeux et oublia tout, concentré sur le plaisir montant de son bas-ventre. Quelque chose de tiède sur sa fesse droite lui provoqua un sursaut. Pas de doute, il s'agissait bien d'une langue. Peu importe à qui elle appartenait. Le bout aborda l'entrée de son anus, tenta de s'y insinuer. Il écarta les cuisses davantage pour ouvrir grand l'accès à son pertuis. Après tout, il était là pour profiter. Son intuition lui dictait que le mec en train de lui amuser le trou de balle et celui éliminé tout à l'heure étaient une seule et même personne. Ça l'excitait. La langue du second mec lui fouilla le fondement sans retenue tandis que celle du premier lui léchait la hampe. Eddy avait emprisonné dans ses paumes le crâne du garçon et serrait fort, comme s'il voulait en extraire la cervelle.
Ouvrant machinalement les yeux, il aperçut Lilian au milieu de la salle. Debout, son fut à ses pieds, il avait le mec de tout à l'heure planté entre les fesses et un autre à l'avant, invisible pour Eddy. D'autres couples s'étaient formés et baisaient sans retenue, à deux, trois ou quatre. La musique couvrait gémissements et mots crus. L'excitation d'Eddy était telle qu'il s'aperçut à peine que le sexe du second mec avait pris la place de sa langue. Il s'introduisit le plus loin possible et commença à l'astiquer avec énergie. À chaque passage, les bourses claquaient contre les fesses d'Eddy, telles des voiles dans le vent. Il gicla à n'en plus finir dans la bouche du type à longs cheveux. De longs jets aqueux poissèrent la tignasse du mec quand il extirpa de ses lèvres la tige ramollie. Eddy lui aurait bien rendu la pareille, mais le grand costaud se releva et le gratifia d'un sourire radieux.
« À plus! » jeta-t-il en s'éloignant.
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