Chapitre 9 Réécriture : la noirceur s'empare de sa victime

Nous roulons depuis des heures, je me revois dans la voiture observant le paysage en imaginant ce séjour.

- Ne t'inquiète pas, tu vas vivre tes meilleures vacances, tu vas rencontrer des amis formidables, tu vas découvrir de nouveaux sentiments, dis-je avec enthousiasme à mon double pensif.

C'est vrai, depuis le début de ce séjour, je me sens sereine comme apaisée. Toutes mes préoccupations quotidiennes ne me hantent plus comme avant. Dans mes relations avec les autres, je suis beaucoup moins sur la défensive. Je me suis métamorphosée en une nouvelle Stéphanie, plus rayonnante avec un peu plus de confiance en elle.

- Est-ce vraiment la vérité ? me questionne froidement cet être qui m'était apparu dans ma première vision.

La vue de ses deux cornes noires prenant racine dans une chevelure blanchâtre abondante, ses yeux complètement noirs, ainsi que cette voix douce et dérangeante à la fois, me font sursauter. Elle est là, face à moi, conduisant le véhicule à la place de mon père. Je réalise alors que je suis assise à la place de ma mère, David n'est pas avec nous.

- Ton idiotie me sidère à chaque fois, continue-t-elle d'un air agacé.

Je tends ma main vers cette chose surnaturelle pour m'assurer que je ne rêve pas. J'entre alors en contact avec sa peau blanchâtre si pâle qu'on voit à travers les vaisseaux sanguins. Un corps froid, aucune chaleur n'est dégagée par cette chose pourtant en vie en devant moi.

- Même le gamin, t'as prévenu, avec les risques qu'il a pris, il va être bien déçu, enchaîne-t-elle en tapant le volant.

- Le gamin... , songé-je à voix haute, un air interrogatif sur le visage.

Soudain, l'atmosphère change. Le ciel perd sa couleur azuréenne, défiguré par des nuages gris presque noirs éclairés par une lueur mystérieuse qui leur donne une couleur rouge foncé. Nous roulons dans un paysage apocalyptique. Les champs fleuris d'autrefois cèdent leur place à des étendues macabres. Des cadavres putréfiés se font dépecer par des créatures infernales mi-loup, mi-bouc à la mâchoire carnassière. La voiture accélère quand leurs yeux ambrés luisants se posent sur nous. Ces créatures aux babines retroussées suintantes de l'hémoglobine dont elles viennent de s'abreuver nous prennent en chasse. En les voyant bondir à notre poursuite, je suis submergée d'angoisse. Mon cœur s'accélère, une sueur froide me parcourt l'échine, mais bizarrement, je sais qu'avec elle à mes côtés, je ne crains rien. Mon esprit, bien qu'apeuré, est rattrapé par l'image de ce petit garçon agonisant. Son visage si doux, animé par ces pupilles verdoyantes si expressives, comme j'aimerais le voir heureux. pensé-je

- Je n'ai pas pu le sauver, lâché-je avec une pointe de culpabilité.

Je baisse la tête pour ne pas lui montrer les larmes qui coulent le long de mes joues. Je ne veux pas qu'elle comprenne que je me suis attachée à cet enfant qui doit être du même âge que David.

- Tu ne le sauveras qu'en me trouvant, idiote, me souffle la créature qui conduit toujours.

La montagne que nous arpentons n'est plus, elle a mué en un volcan crachant sa brûlante bave sur toutes les âmes qui osent s'en approcher. Je suis médusée de voir toute cette beauté naturelle transformée en un cauchemar sans fin.

- Où allons-nous ? demandé-je naïvement à la conductrice en séchant d'un revers de la main mes larmes.

Elle émet un rire qui résonne dans cette atmosphère apocalyptique. Ce son, si mélodieux à mes oreilles, mais destructeur pour les monstres qui nous poursuivent. Ils stoppent leurs courses en se tenant la tête avant de tomber au sol. Le volcan finit son œuvre en les réduisant en un tas de cendres.

- Dans ton havre de paix, maintenant, ce sera ton unique chez toi, me répond-elle sèchement.

Je ne comprends pas sa réponse. Mon unique chez moi, que veut-elle dire, pensé-je.

Je la fixe en essayant vainement de pénétrer dans son esprit rotor. Mon attention est soudainement détournée de son but initial quand j'aperçois sur le bord de la roue mon amie d'enfance.

- Arrête-toi, il faut sauver Marie, pourquoi n'est-elle pas avec nous dans la voiture ? hurlé-je de panique.

Je m'apprête à basculer vers l'arrière du véhicule pour garder un contact visuel avec ma tendre confidente, quand je prends conscience que mes pieds et mes mains sont cerclés par des anneaux de fer lourd. Je relève mon bras pour examiner avec stupeur ma découverte. Je suis enchaîné par quatre grosses chaînes métalliques sur lesquelles je perçois du sang séché.

- Malheureusement, pour elle, c'est déjà fini, avoue la créature à mes côtés. Quant à toi, bats-toi et trouve moi, me dit-elle.

Ces derniers mots sont diffus, je les entends à peine. Ma vue se trouble, je sens mon être tout entier tomber. Je n'arrive pas à respirer dans cette chute brutale. Mon regard attaché à ma protectrice, je sombre inexorablement dans l'obscurité.

Je me réveille brusquement, un cri étouffé par un bâillon s'échappe de mes lèvres. Je prends rapidement conscience de la réalité. Je gîs enchaînée sur un autel en pierre blanche qui trône au milieu d'une pièce bien différente de celle que j'ai visitée précédemment. Les murs de roche blanche tachés d'éclaboussures de sang me font tressaillir. En relevant légèrement la tête, je constate que le piédestal qui me sert de prison est entouré de bougies toutes allumées, éclairant d'une pénombre angoissante l'espace. Un silence dérangeant règne en maître dans ce lieu, la musique agressive de toute à l'heure a stoppé sa mélodie infernale.

Je me débats en vain, le bruit de mes gémissements et des chaînes qui me restreignent sont les seules réponses en écho qui me parviennent comme une injure à mes oreilles. Mes efforts futiles m'épuisent, je fixe mon regard sur le plafond haut qui laisse apparaître un symbole dont j'ignore la signification. Il ressemble à une étoile à l'envers dans un cercle. Le tranquillisant faisant encore son effet, je n'arrive pas à voir précisément les détails.

Je soupire, en comprenant que je ne peux pas m'en sortir par moi-même.
Qu'est-ce que cela signifie ? Où suis-je ? Qu'est-ce qui va m'arriver ? Qui est derrière tout cela ? Marie est où ? Pourquoi elle n'est pas avec moi ? pensé-je.
Une vague d'angoisse s'ajoute à la panique qui envahit mon être tout entier. Ma fidèle amie est-elle en sécurité ? Non, bien sûr que non, je l'ai mise en danger. À cause de ma stupidité, elle est peut-être... Je ne finis pas ma pensée, les mots de la chose de ma vision me reviennent en tête : "Pour elle, c'est déjà fini". Des larmes de tristesse perlent le long de mes joues en pensant que le pire puisse arriver à ma sœur de cœur.

- Mais dites-moi que je me trompe, la belle au bois dormant sort déjà de son long sommeil ! s'exclame Tina sur un ton haineux en apparaissant dans mon champ de vision.

Je tente de me redresser, ne voulant pas me montrer vulnérable devant la personne que je soupçonne être l'instigatrice de cette mauvaise farce. Je lui jette un regard froid en essayant de lui parler, mais ce bâillon me rend complètement inaudible. Dès notre première rencontre, j'avais bien perçu qu'il fallait que je me méfie d'elle. Ce souvenir sur la piste de danse, ce malaise que j'avais ressenti à ce moment-là aurait dû me suffire pour rester à l'écart, alors pourquoi je suis tombée dans leur piège en embarquant dans ma chute ma pauvre Marie, pensé-je.
Elle s'approche de moi pour me retirer violemment le bâillon qui obstrue ma bouche. Une douleur en fermant ma mâchoire m'amène à en déduire que cela fait plusieurs heures que je suis ainsi maintenue au silence.

- Où est Marie ? l'interrogé-je, sur un ton agressif qui ne me ressemble pas.

Un sentiment de colère monte en moi en imaginant qu'elle a pu s'en prendre à un être aussi pur et innocent que mon amie. Elle rigole à ma question, son rire triomphant et diabolique résonne dans ce lieu clos apportant insidieusement ce qu'il faut pour entretenir ma rage.

- Elle se prépare, c'est un peu plus long pour elle, toi, tu es déjà prête, ta robe blanche de bal te va si bien, me nargue-t-elle sur un ton hautain.

Je me démène pour observer mon buste : effectivement, je ne porte plus mes vêtements, mais une robe blanche immaculée. Je me débats encore une fois pour me libérer, sous l'effet de la colère et de la panique; j'agis comme un animal comprenant que ces derniers instants se jouent face à lui. Je ne veux pas rester là sans rien faire, je dois sauver mon amie coûte que coûte. Encore une fois, je n'ai comme résultat que le rire moqueur de la brune au regard félin qui assiste à la scène en s'en délectant.

- Ne me dis pas que la couleur ne te plaît pas, continue-t-elle en riant, puis elle se penche sur moi. Ne t'inquiète pas, dans pas longtemps, elle sera de la plus belle des couleurs, me murmure-t-elle en éclatant de nouveau de rire.

- Ça t'amuse, sale conne ! explosé-je, détache-moi et on verra si tu continues à faire la maline, la menacé-je.

- Redescend un peu, petite pute, tu penses sérieusement que j'allais te laisser tranquille alors que tu tournes autour de mon mec depuis que tu es arrivée ici, me répond-elle en me fixant avec cette même haine qui anime mon regard.

Je ne comprends pas, je ne me suis jamais approchée de Loïc. Son discours incompréhensible me perturbe, troublée par cette annonce, je perds un peu de terrain dans cette joute verbale.

- Tu délires, ma pauvre, Loïc ne m'intéresse pas le moins du monde, lui craché-je au visage en ricanant.

- Loïc ! s'étonne-t-elle. Tu es plus naïve que je l'espérais, continue-t-elle en riant de plus belle. Tu as cru à ce petit couple parfait qu'on vous a servi. Non, ce n'est pas lui que j'aime, le gars avec qui je sors, c'est un brun au regard ténébreux, déverse-t-elle comme un poison.

Cette fugace description me fait rapidement réaliser que l'élu de son cœur n'est autre qu'Enzo. Un malaise me submerge en constatant qu'elle nous a menés en bateau depuis le début. Mon esprit s'embrume, la colère se mue en un sentiment de culpabilité.
Pourquoi a-t-elle fait tout cela ? Quel est le but de tout ce cirque ? Est-ce une vengeance ? essayé-je de déchiffrer.

- Ça suffit, sort de là, ordonne sèchement une voix d'homme à Tina qui s'exécute immédiatement en minaudant.

Ne voyant pas la personne qui se tient à l'entrée de la pièce, j'en déduis au timbre et au comportement de la jeune fille perfide qu'il s'agit du sujet de sa fracassante révélation. De nouveau, un silence pesant s'installe. Je n'entends que les bruits de pas sur le sol m'indiquant que quelqu'un vient à moi. Au fur et à mesure que la personne s'approche, l'ambiance devient oppressante, presque menaçante. Je sursaute à l'apparition du visage d'Enzo au-dessus du mien. Je peine à reconnaître le jeune homme qui me fait face, son visage déformé par la haine et le dégoût me fait tressaillir. Sans quitter son regard, je ressens une piqûre à mon bras. Écrasée par le poids de son ressentiment, je n'arrive pas à sortir un son de ma bouche, seules mes larmes témoignant de ma culpabilité pour Marie et de ma peur se versent lentement sur mes joues rougies avant de sombrer peu à peu dans un sommeil artificiel.

Une faible mélopée dont je ne parviens pas à déchiffrer les paroles m'arrache de mon inconscience. Je revois brièvement les dernières images d'Enzo qui me déchire le cœur. Une odeur ferreuse mélangée à celle des bougies me rappelle brusquement la dangerosité de ma situation. En observant autour de moi, je tremble en voyant plusieurs personnes vêtues de chasuble noire. Je cherche frénétiquement du regard un visage ami ou compatissant pour le supplier de m'aider, mais rien, comme des lâches, tous se cachent sous leur capuche, derrière des masques semblables à ceux des médecins de la peste, leur donnant une allure de corbeau attendant la mise à mort de l'agneau pour venir se repaître de sa chair innocente. La mélopée devient plus forte, un d'entre eux s'approche de ma prison en continuant à murmurer ce chant ignoble. Il est différent des autres. Sa chasuble comporte des symboles et des écritures brodés avec un fil écarlate.

- Laissez-moi partir, par pitié, le supplié-je en pleurant.

Il ne réagit pas, pas même un regard, pas une once de miséricorde. Il peint sur mon buste à l'aide d'une sorte de pinceau un symbole identique à celui qui trône au milieu du plafond. D'un geste presque machinal, trahissant sa pratique de l'exercice, il plonge sa main dans une sorte de coupelle pour me badigeonner le visage de ce liquide épais et coagulant. Mon corps par réflexe tressaille, je ne peux contrôler ses convulsions, je ferme les yeux quand il passe la main sur ma face déformée par la peur. Mon seul réconfort, alors que les chants s'intensifient encore, je prie. L'homme à mes côtés entame une sorte d'incantation dans un dialecte totalement inconnu, je prie le seigneur lui demandant grâce, lui demandant miséricorde, lui demandant de m'accueillir en son royaume, mais en rouvrant les paupières, je plonge dans l'horreur la plus impitoyable.

Mes yeux s'écarquillent en voyant l'effroyable tableau qui se dessine, la joie de retrouver ma fidèle amie tourne à l'effroi et à l'incompréhension. Un cri de tristesse sort du plus profond de mes entrailles.
Que lui ont-ils fait ? Pourquoi le Seigneur nous a-t-il abandonnés ici ? Pourquoi nous faire subir ça ?
Les larmes envahissent mes yeux, troublant ma vue. J'essuie rapidement ces gouttes de tristesse à l'aide de mes épaules pour garder un contact visuel avec elle. Comme endormie, ses yeux et sa bouche scellés par de la cire, suspendue par des câbles qui s'incrustent dans son corps nu, elle orne le mystérieux symbole de la voûte de cette sordide cave. Mon cœur bat à tout rompre, chaque battement me lacère de culpabilité et de tristesse. Ce spectacle me confirme que nous ne ressortirons pas indemnes de ce tragique stratagème.

Les chants se transforment à mes oreilles en des cris que je compare à ceux d'animaux charognards prêts à se battre pour avoir leur part du cadavre fraîchement exécuté. Une rage monte en moi, je ne serais pas leur repas, je ne serais pas une proie facile. La rage se mêle à la colère, me rendant de nouveau instable et hystérique. Je me débat de toutes mes forces quand l'homme qui continue son incantation me maintient la tête en posant sa main sur mon front, pour venir avec une dague tracer sur mon torse une croix chrétienne renversée.

La froideur de la lame au tranchant mortelle pénètre en moi, déchiquetant ma peau, faisant jaillir ce liquide rougeâtre qui semble les fasciner. Je me débats de toutes mes forces, l'homme n'arrive pas à me contenir seul, deux de ses sbires viennent me saisir les jambes en les plaquant contre la roche froide. Il me force à observer Marie, je lui crache au visage en réponse à sa brutale invitation.

- Je refuse, je rejette tout ce que vous êtes, hurlé-je dans un excès de folie.

L'homme sous son masque émet un rire alors nerveux comme un réflexe pour éviter de me gifler. Ces mots sortis à la hâte et sans réflexion de ma bouche ont l'air de plus l'agacer que mon crachat. Cependant, il continue sur un ton plus agressif son incantation. Je suis maintenue par les jambes et par la tête pour être le témoin du clou du spectacle. Il hurle alors les quelques mots qui mettent en route un mécanisme, les câbles violant la chair de Marie se tendent. Le corps de mon ami soumis à cette pression propage des bruits d'os qui se brisent et de chair qui s'arrachent.

- Diable ! s'exclame-t-il triomphant.

L'homme prononce alors ce dernier mot qui me fait frémir d'angoisse, je sens mes muscles arrecteurs hérisser chacun de mes poils. Les câbles finissent leur travail en ouvrant sauvagement la cage thoracique de mon amie avec une telle violence que son sang se déverse sur l'autel dont je suis prisonnière. Je fixe avec horreur ma plus proche amie, celle qui a toujours été là pour moi, celle qui me comprenait mieux que quiconque, totalement mutilée. Sa chair lacérée dont certains morceaux pendent en se balançant lentement, comme une triste preuve de sa vie, quittant inéluctablement sa dépouille. Ses os rompus, arrachés suintent des dernières gouttes de son sang. Tel un ange, elle déploie ainsi ses ailes constituées de chair et d'os. Marie éteinte semble avoir pris son envol, me laissant malheureusement derrière elle.

Mon cœur continue de battre à tout rompre en comprenant ce qui se passe. Je suis extirpée de ma contemplation qui m'achève psychologiquement par une douleur de brûlure. Ce Mal s'immisce en moi au niveau du torse, à l'endroit même où ce fourbe m'a entaillé. La sensation se diffuse rapidement dans tout mon corps. Cela devient si violent que j'ai l'impression que c'est mon âme qui se déchire. Je ne peux retenir un cri qui ravit l'ensemble des convives, ayant repris une mélopée plus faible comme un murmure. L'homme et ses sbires me lâchent, je me contorsionne de manière incontrôlée. Je ne maitrise plus mon corps qui n'est que souffrance.

Qu'est-ce qu'ils m'ont fait ? Qu'avons nous fait pour mériter un tel supplice ? songé-je avant de perdre conscience.

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