Chapitre 4 Réécriture : Une Douce Journée

Je flotte sur le dos, dans une eau à trente degrés bien trop chaude pour me rafraîchir, en observant le ciel. Il n'y a pas un seul nuage à l'horizon uniquement cette immensité bleue à perte de vue. La canicule, qui s'abat sur nous, nous pousse à chercher tous les moyens pour nous rafraîchir. Je me laisse porter par les flots de l'eau de la piscine. Les oreilles immergées je n'entends aucun son. Le chant constant des cigales et les cris des enfants ont cédé leur place au silence aquatique. Les yeux dans le vague, je me détends enfin. Je ne pense à rien, je profite seulement du moment.

Je remarque, cependant, que les clapotis de l'eau sur mon corps et mon visage se font plus rapides et fréquents. Un ballon rouge me survole pour venir s'échouer à quelques centimètres de la loque que je suis à cet instant.

Sérieux, un ballon rouge, pensé-je en portant mon attention sur le skimmer le plus proche de moi.

Que tu es stupide ma pauvre ! Comme si un clown tueur pouvait être ici dans ce havre de paix, me sermonné-je dans ma tête en laissant échapper un fin ricanement. Les soirées films d'horreur chez Tim m'ont finalement marquées plus que je ne l'aurais imaginé. Coupée du monde qui m'entoure, je ne prends pas garde, mais je me rapproche dangereusement de la sortie d'un des toboggans, faisant de moi une cible parfaite. Ce détail n'a pas échappé à l'œil aiguisé de mon frère qui s'élance dans le tube à toute vitesse pour m'éclabousser et m'arracher brutalement à cet instant d'extase et de bien être que je vivais. Une vague submerge entièrement mon corps. Je manque d'air, la panique s'invite dans mon esprit, privé de ce besoin vital de respirer. L'effet de surprise me déstabilise, je coule à pic. Mon corps s'enfonce dans l'eau, les souvenirs du parc font échos en moi.

-Trouve-moi ! entends-je.

J'ouvre brusquement les yeux, mon cœur se serre dans ma poitrine. Je peux respirer en étant au fond du bassin. Une odeur ferreuse et de chair en décomposition me coupe le souffle. L'empreinte phonique des abysses qui m'apaisait, m'oppresse à présent. Un frisson parcourt l'ensemble de mon corps. Je suis pétrifiée de peur, immergée dans une eau rougeâtre. Le peu de rayons de lumière, qui me parviennent, se frayent un chemin à travers des corps sans vie qui flottent à la surface. Je coule à plusieurs mètres de profondeur.

- Non, je ne veux pas retourner dans cet enfer ! hurlé-je de désespoir.

- Alors bats-toi et trouve moi, reprends la voix.

Je me débats dans cette mer d'hémoglobine. Mon esprit refuse de rester une minute de plus. Je dois reprendre possession de mes moyens pour remonter vers l'amoncellement de cadavres. J'ai peur, j'ai froid. Je fixe toute ma concentration sur ces êtres vidés de leur âme. Je dois nager coûte que coûte vers la lumière pour sortir de ce cauchemar. Mon corps s'extrait peu à peu de sa torpeur, me permettant ainsi de nager vers mon objectif.

- Dépêche-toi sinon cet endroit sera bientôt ta réalité, continue-t-elle en riant.

J'ai l'impression d'être le jouet de cette chose qui m'interpelle, ce qui fait monter en moi un sentiment de colère. Cela me donne le regain d'énergie qui me manque. Je remonte à vive allure pour enfin atteindre la surface. Je sors la tête de l'eau avec l'entrain d'une personne qui se noie. Sans grande surprise, tout redevient normal. Plus de morts, plus de sang, seulement des cris de joie d'enfants qui profitent de leurs vacances. Le regard dans le vide je reste plantée là à observer la vie se dérouler sans encombre. Mon frère rit aux éclats en me pointant du doigt. Ma mère lézarde au soleil avec mon père, à ses côtés perdu dans la lecture d'un roman. Que dois-je comprendre ? Est-ce une menace ? Pourquoi cette vision maintenant ?

- Bouh ! entends-je derrière moi.

Deux mains se posent sur mes épaules. Ce contact me réchauffe au plus profond de mes entrailles. Je reprends peu à peu conscience.

- Ça va ? me demande Marie sur un ton trahissant son inquiétude.

Les sentiments de joie, de bien-être s'enracinent de nouveau dans mon cœur. La vie se ravive en moi. Je ne peux pas ignorer les moqueries de David que je prends en traître en l'aspergeant avec une énorme gerbe d'eau qui lui cloue le bec.

- Mieux, maintenant que ce mioche a eu ce qu'il mérite, lui réponds-je calmement. C'est à toi qu'il faut demander, pas trop fatiguée ?

- Non, me répond-elle simplement.

Nous nageons ainsi toutes les deux, loin des machinations de mon frère qui joue maintenant avec la petite sœur de mon amie. Elle me raconte la préparation intensive en cure de sommeil et d'homéopathie que sa mère lui a fait vivre avant le voyage. Rapidement, mon acolyte se fatigue, elle commence à trembloter. Je lui propose de sortir pour nous prélasser au soleil, non loin de mes parents qui ont été rejoints par la mère de Marie. Les deux mères de famille discutent, mon père toujours absorbé par sa lecture. Nous installons avec une grande précision nos serviettes sur le sol, puis nous nous adossons au grillage.

- Pierre n'est pas venu avec vous à la piscine ? interrogé-je mon amie

- Oh, c'est trop mignon ! s'exclame Marie. Non, il n'est pas venu avec nous au camping, m'informe-t-elle.

- C'est dommage, murmuré-je.

- Je te rassure il va bien même si ton câlin au parc l'a quelque peu chamboulé, finit-elle en riant.

Je me remémore alors mon étreinte quand il me portait. Mon teint se farde légèrement, je ressens un certain malaise. Je me suis un peu servie de lui pour faire face à mes sentiments envers Alexandre. J'espère que cela ne va pas gâcher notre amitié. Je partage avec elle les derniers potins des magazines à sensation pour sortir de cet échange malaisant. Qu'est qu'ils peuvent raconter n'importe quoi dans ces torchons, pensé-je.

- Ah, tu es là ! s'écrie une personne.

Je connais cette voix, mais je ne devine pas sans un coup d'œil l'identité de notre interlocuteur. C'est Enzo, essoufflé, il agrippe le grillage.

- Salut, tu me cherchais ? lui demandé-je.

Il relève la tête vers moi, toujours à bout de souffle. Je commence à m'inquiéter. Pourquoi autant d'empressement ?

- C'est qui ? intervient Marie en fixant le jeune homme.

- Ben, c'est Enzo. Il ne vous a pas accueilli à votre arrivée ? la questionné-je sur un ton intrigué.

Elle réfléchit très rapidement, Enzo l'observe avec insistance.

- Non, je ne pense pas vous avoir accueilli. Ce matin j'étais affecté à la préparation des mobil-homes, informe-t-il.

Marie prend une expression triste. Nous comprenons que son arrivée dans ce lieu ne s'est pas très bien passée.

- C'était un homme rustre et pas très agréable qui empestait l'alcool, indique-t-elle.

Un silence s'installe, l'adolescent qui semblait surexcité et impatient de m'annoncer quelque chose, se tend, son sourire disparaît. Ses yeux se voilent de tristesse.

- C'est mon père, marmonne-t-il presque mal à l'aise. Il y a une fête ce soir, tu viendras ? m'annonce-t-il sur un air peu enjoué.

Ce changement d'humeur me laisse perplexe. Est-ce-que l'alcoolémie de son paternel est la raison de ce masque qu'il porte sans cesse ? Je ne relève pas les dires de ma comparse. L'ambiance est devenue tendue et lourde.

- Je vais voir si mes parents sont d'accord, mais pourquoi pas, réponds-je.

Il écoute à peine ma réponse avant de s'éclipser sans plus de précisions. L'évocation de son père semble l'avoir profondément déstabilisé. Je ressens soudainement un pointe de pitié et de peine.

- Pauvre homme, que Dieu lui vienne en aide, continue Marie.

J'observe Enzo s'éloigner, puis s'effacer de mon champ de vision.

-Il y a un truc qui cloche ici, songe-t-elle à voix haute en scrutant la silhouette du garçon.

Un détail m'échappe. En temps normal, Marie se serait confondue d'excuses auprès de son interlocuteur pour avoir manqué de tact à l'évocation d'un membre de sa famille, ou aurait éprouvé une certaine culpabilité à la possibilité d'avoir potentiellement blessé quelqu'un, mais là, non. La jeune fille se rassit en reprenant la lecture de notre magazine. Peut-être n'a-t-elle tout simplement pas entendu la réponse d'Enzo ou perçu son malaise. Elle ricane en lisant une bande dessinée. Je profite de ce moment pour lui fausser compagnie. Je reste songeuse sur notre jeune guide, il ne doit pas avoir une vie très facile dans ce contexte familial. Une multitude de questions émergent dans mon esprit, auxquelles je ne pense pas avoir de réponses. Je ne suis pas assez proche de lui pour me permettre d'être aussi intrusive. Je sors de ma réflexion en arrivant face à mes parents qui discutent tranquillement.

- Il y a une fête ce soir, nous pourrions y aller ? quémandé-je.

- C'est ce soir ! s'étonne ma mère qui à l'air informée du déroulement de cette festivité.

- Oui, Enzo m'a...

- On verra en fonction de l'état de fatigue de tout le monde, d'accord, m'interrompt-elle.

Je retourne à ma place, les épaules affaissées. La révélation sur le père du jeune travailleur m'a piquée au vif. Je veux percer ce mystère, et pourquoi pas, pouvoir l'aider à sortir d'un quotidien pénible, mais cela implique que je me rapproche de lui malgré que mon instinct m'alerte à son égard. Ma vision, la révélation sur Enzo, me trottent dans la tête. J'essaie d'être la plus souriante et la plus conviviale avec mon entourage, mais j'ai du mal à rester avec eux. En réfléchissant un peu, le seul point commun avec ma vision du parc et celle de maintenant, c'est l'eau. Dans les deux cas j'étais complètement immergée. Cet élément serait donc le fil conducteur qui me permettrait de voir ce lieu apocalyptique.

Pas cool, si à chaque plongeon, je me tape une hallucination. Vive les vacances de l'angoisse, pensé-je.

Je m'extrais de ma réflexion sur l'origine et le pourquoi de mes visions, quand mon frère, trempé et tremblotant, se présente devant moi. Sans un mot, je tire sur ma serviette pour l'enrouler autour de lui. Il vient se nicher dans mes bras à la recherche d'un peu de chaleur. Je l'accueille avec la plus grande tendresse en le serrant contre moi pour qu'il trouve rapidement du réconfort. Quelques minutes suffisent pour que le garçonnet s'endort paisiblement, la tête posée sur mon épaule. Je ne le dérange pas et le laisse ainsi récupérer de ses pérégrinations aquatiques.

- On rentre les enfants ! nous signale ma mère qui se dirige vers nous.

- Il ne râle pas ? s'étonne-t-elle en voyant mon frère inerte.

Je lui fais un sourire en mettant mon doigt sur ma bouche pour lui indiquer qu'il dort. Elle s'accroupit devant le spectacle qui s'offre à elle. Elle caresse délicatement la joue de mon frère qui tressaille légèrement sans se réveiller. Attendrie par cette insouciance et cet amour fraternel, elle le prend doucement pour le porter, me rendant ainsi ma liberté de mouvement.

- La piscine a eu raison de notre petit garnement, murmure mon père à ma mère en embrassant affectueusement le front de David.

Je finis de ramasser mes affaires pour les suivre, en observant ma famille. Quelle chance j'ai de les avoir et que nous soyons aussi proches et unis, m'émerveillé-je intérieurement. Est-ce que je devrais leur parler de mes visions ? Non, je veux comprendre comment ça fonctionne et après je me confierai en leur expliquant tout, ça les rassurera sûrement. Je les rattrape en hâte, il faut que j'aie ma réponse pour la fête. David endormi, cela me laisse le champ libre pour avoir toute leur attention.

- Pour la fête, alors, on fait quoi ? attaqué-je

- Vu l'état de ton frère, c'est compromis, me répond ma mère.

Je soupire tout l'air présent dans mon corps. Si je veux apprendre à connaître le deuxième sujet de mes tourments, je dois aller coûte que coûte à cette fête.

- C'est pas grave je peux y aller seule, rétorqué-je

Je ne sais vraiment pas si cet événement va me permettre de me rapprocher de lui, mais j'ai cette sensation qu'il faut que j'y sois. Une irrépressible curiosité me pousse à y aller alors que je ressens en même temps une profonde inquiétude.

- Eh bien ! s'exclame mon père. Cet intérêt soudain pour une fête de camping, aurait-il un lien avec un certain jeune homme qui nous a accueilli ? me nargue-t-il avec un regard rieur.

Je rougis instantanément, il m'a percé à jour si facilement. Que sous-entend-il avec son regard narquois ? Je me braque immédiatement. Moi, avoir le moindre sentiment pour cet inconnu que je connais à peine! Comment peut-il imaginer une telle chose ?

- N'importe quoi ! m'offusqué-je. Je veux juste profiter un max de mes vacances, conclus-je.

- Si David est encore endormi, je t'accompagnerai, me rassure-t-il avec un ton décidé et ferme dans la voix.

Ma mère lui donne un coup de coude pour lui signifier un désaccord avec sa soudaine décision. Il lui adresse un regard charmeur pour l'amadouer.

- Il faut bien que jeunesse se fasse, ma chérie, lâche-t-il en riant.

Puis, il échange avec moi un clin d'œil complice. Je lui renvoie un sourire rempli de reconnaissance. Ma mère bougonne intérieurement, son instinct maternel est mis à mal par cette information, mais elle reste silencieuse et accepte la décision de mon père. Nous continuons notre chemin en écoutant mon père chantonner. Il est tellement plus détendu que d'habitude. Son travail le stresse pas mal ces derniers temps. Mon frère sur la touche, je profite de mes parents et de ces instants de tranquillité. Nous rions aux blagues de mon père et j'écoute avec attention les conseils culinaires de ma mère en cuisine. Nous profitons d'un air de musique de jazz pour nous restaurer en discutant de choses et d'autres. Que j'aime ces moments simples et chaleureux avec eux. Cependant, je n'évoque pas mes préoccupations du moment, je ne veux pas gâcher ce doux moment de bonheur.

A l'approche de l'heure du début de la fête, ma mère m'aide à me coiffer. Je choisis de revêtir une tenue simple et confortable. Je ne veux pas donner de fausse impression sur le motif de ma présence. Après un long câlin avec elle et une longue liste de recommandations, elle nous laisse enfin partir avec son approbation.

L'atmosphère de cette soirée me paraît spéciale et presque mystique. Le ciel revêt son manteau orangé annonçant l'imminence de son coucher de soleil. La nuit, qui nous offrira les rayons de sa pleine lune, nous enveloppera d'ici peu dans sa douce fraîcheur et ses ténèbres. Ce sera une de mes premières soirées sans mes amis. Je me sens un peu stressée et en même temps curieuse de découvrir ce qui m'attend. Même si j'ai un très fort pressentiment, je sais que je dois y aller. Que vais-je découvrir ? Qui vais-je rencontrer ?

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