Chapitre 22 Réécriture : La Cruelle Punition

La sonnerie de la fin de la première heure des cours interrompt ma confession à Michael. Ce dernier m'a écouté attentivement sur mes visions et mes interactions avec l'enfant et la créature à qui je dois la vie. La brève apparition du garçonnet m'a rassuré et conforté dans mon choix de dévoiler notre étroite relation à cet être céleste.

J'avance d'un pas déterminé vers ma salle de cours en maudissant cette insolente sonnerie qui me laisse sans réponse à d'innombrables questions. Néanmoins, la découverte d'un tel allié me sécurise, me rendant plus combative, persuadé qu'il pourra déloger cet indésirable invité de mon être. En arrivant devant ma salle de cours, les dernières paroles de l'archange résonnent dans mon esprit.

- Désolé pour ce matin, il a voulu te punir à cause de mon intervention pendant votre repas familial, mais une chose est sûre, la jeune âme que tu as vu avec lui n'est pas ton amie, m'avait-il soufflé tout bas pendant qu'il m'ouvrait la porte pour sortir de son snack.

Je soupire, extériorisant toute l'angoisse et la tension de ma vision matinale. Cependant, un stress m'assaille l'estomac à l'idée de devoir aller chercher la raison pour laquelle j'étais dans les bras de mon binôme d'anglais. Mes jambes s'ankylosent lorsqu'à quelques pas de ma destination, je localise ma cible qui est adossée au mur. Mes joues se fardent en repensant à son étreinte, à sa caresse affectueuse dans mon dos. Je me plante devant lui en cherchant comment l'accoster. La tête baissée, perdu dans ses songes, il ne me voit pas.

- Coucou, ça va ce matin ? J'ai trouvé que le week-end était bien trop long, m'interpelle Mathilda en me serrant dans ses bras.

Ce geste de mon amie surgissant dans mon dos me déstabilise. Je perds l'équilibre et viens me rattraper au torse du jeune homme pensif. D'un mouvement naturel, il me soutient pour m'éviter une chute qui fera parler de moi durant toute l'année. Nos visages proches l'un de l'autre, si proches que je peux sentir sa respiration sur mes joues. Ses magnifiques pupilles m'emprisonnent encore une fois dans leur profondeur verdoyante voilée et rougie par une fine brume de tristesse. Mon cœur s'accélère, je ne peux plus rien contrôler. Sa tristesse me laisse sans voix ; Mathilda me tire alors vers l'arrière quand le professeur HARKER ouvre la porte.

- Vous pouvez entrer, prononce-t-il alors que retentit la seconde sonnerie mettant fin à la période de l'intercours.

Il me fixe avec un grand sourire. Je tremble en me redressant. Le stress de passer du temps entre quatre murs avec cet individu me fait pâlir. Après un dernier coup d'œil en coin à Alexandre, qui me fait signe de passer devant lui, je réajuste mon sac pour entrer dans l'antre de mes angoisses.

- Bonjour Stéphanie, je suis ravi de vous voir en pleine forme ce matin, me chuchote-t-il à mon passage.

J'accélère le pas, ma tête essaie de se cacher dans mes épaules, mais son ricanement me tend davantage, me laissant le sentiment qu'il sait que je me suis renseignée sur lui. Je me glisse sur ma chaise en le fixant du regard. Ses petites lunettes délicatement posées sur son nez. Ses cheveux gominés à la perfection et son costume parfaitement assorti à sa chemise et sa cravate me donnent presque la nausée.

Une grimace de dégoût se dessine sur mon visage alors que je surveille notre enseignant parlant à un autre élève. Une feuille pliée en deux vient se heurter à ma main. Ce contact me distrait de mon observation. Mon attention se focalise sur ce papier qu'Alexandre tient encore à son autre extrémité.

Pourquoi tu t'es jetée sur la route ce matin ? Cette voiture aurait pu te tuer. Je sais que tu as vécu des trucs pas cool cet été, mais ce n'est pas une solution, lis-je en ouvrant la feuille.

Sans avoir à poser de questions, il me livre la raison de sa réconfortante étreinte. Une œillade furtive sur mon voisin me suffit pour ressentir de nouveau l'émoi qui s'était emparé de mon enveloppe charnelle. Il semble suivre le cours ; son visage fermé et ses doigts tapotant sur le bureau montrent son impatience de lire ma réponse.

J'ai été imprudente, j'ai cru voir une personne à laquelle je tiens énormément, mais ce n'était pas elle, réponds-je

Je ne peux pas me permettre de lui expliquer que j'ai eu une vision causée par un démon qui me possède depuis la fin de l'été. Je repousse dans sa direction le bout de papier. Il le saisit hâtivement, soupire en lisant ma réponse toute faite à laquelle j'espère qu'il va croire.

Je vais me contenter de cette réponse. Si tu as besoin de parler, il y a Tim, Anna et même moi, si tu veux. Rien, aucun problème, aucune raison, ne vaut la peine de mettre fin à sa vie, rédige-t-il en se raidissant.

Il me rend le brouillon de notre correspondance sans un regard, jouant à l'élève modèle pour éviter de se faire coincer par notre expert de la langue de Shakespeare. Le suicide, cet acte qui, pour certains, est un espoir de liberté, alors que pour d'autres, il est la dernière expression de leur lâcheté. Pourtant, au fond de ma cave, j'y avais songé ; ma famille, mes proches, Marie m'ont vite remise sur la bonne voie.

Je ne vais pas te mentir, j'y ai songé. Ce que j'ai vécu a été très traumatisant et difficile, j'y ai perdu une personne qui m'était très proche, mais je me suis vite raisonnée. Je ne pourrais jamais laisser vivre ma famille et tous mes proches avec un sentiment de regret et de doute permanent et je ne baisserai jamais les bras pour cette personne ; je dois vivre pour elle et pour moi maintenant, lui couché-je sur le papier en forme d'aveu.

Me mettant ainsi à nu, je sens dans sa gestuelle que mon honnêteté sur le sujet le surprend.

Cela va te paraître bizarre, mais je t'apprécie beaucoup et je m'en veux énormément pour ces mots que j'ai prononcés au parc. Je voulais juste jouer le jeu de Kimberlay pour l'éloigner de toi et de la jeune fille qui t'accompagnait. Je ne voulais en aucun cas vous blesser, bien au contraire, je suis désolé, continue-t-il.

Mon cœur se serre à l'évocation de ma douce Marie. Je revois son visage souriant, m'arrosant de gerbes d'eau nos vêtements blancs du dimanche entièrement mouillés. Un rire me submerge alors que quelques larmes dévalent l'ovale de mon visage. Dans un mouvement bien futile, je les essuie craignant que mon voisin se sente coupable d'une tristesse dont il n'est pas à l'origine.

Je comprends, je ne t'en veux pas, c'était pas de ta faute, reussis-je à peine à écrire.

Je lui glisse le papier, les mains tremblantes et les lèvres pincées, espérant qu'il continue à jouer la comédie. Nos regards se croisent, son expression si sérieuse disparaît pour laisser place à de la culpabilité. Notre échange prend fin ainsi sur ce nouveau quiproquo. Nous restons silencieux jusqu'à la fin du premier cours.

Notre cher professeur nous autorise une pause entre nos deux heures d'enseignement. Je profite de cette aubaine pour m'éclipser discrètement vers les toilettes, espérant que ma disparition passera inaperçue aux yeux de Mathilda qui est en grande discussion avec Cédric.

Je me précipite pour trouver un lieu où je pourrais laisser sortir ma tristesse et ma colère. Je me hâte dans les couloirs bondés d'adolescents qui ignorent ma détresse. Dans ce raz-de-marée humain, une main saisit mon poignet, m'entraînant contre un mur sous les escaliers qui mènent au niveau supérieur. Dans cette pénombre et ce brouhaha, il m'offre la discrétion que je cherche.

- Vas-y, lâche tout, laisse-toi aller, murmure Alexandre à mon oreille en me serrant dans ses bras.

Je m'épanche contre son torse qui étouffe mes cris et les quelques coups que je lui donne alors qu'il resserre son étreinte autour de moi. Ce sentiment d'apaisement que j'avais ressenti le matin même me gagne, chassant ma tristesse. Je suis blotti contre lui, mon visage posé dans son cou. Sa main me caresse lentement les cheveux. Son autre bras se fraye un chemin au creux de mes reins. Je ne bouge plus, je ne veux plus bouger.

- Ça va mieux ? me questionne-t-il d'une voix chaude et tendre quand il remarque que mes sanglots ont cessé sans me lâcher.

Le souffle chaud de ses paroles me caresse la nuque, provoquant un frisson que je ne peux pas dissimuler. Je reviens petit à petit à la raison.

- Ce n'est pas de ta faute si je suis aussi triste, d'accord, cela n'a rien à voir avec ce que tu as dit, lui réponds-je en relevant la tête.

Mon visage de nouveau à quelques centimètres du sien. Mes yeux encore humides trahissent mon envie de déposer sur ses lèvres un baiser. Un délicat échange que j'ai si longtemps imaginé, me rendant compte que le prince charmant que j'avais dépeint dans mon journal intime était presque le chevalier servant que j'ai en face de moi. Mon cœur s'accélère, sans aucune gêne je pose mes mains sur son torse provoquant un tressaillement chez le jeune homme qui m'étreint davantage à mon plus grand bonheur. En douceur, il approche un peu plus ses lèvres des miennes, me faisant comprendre que cette exquise tentation ne le laisse pas insensible. Mon corps devient chaud en sentant ses bras m'enlacer. Nous sommes seuls dans un monde rien qu'à nous, prêts à nous goûter l'un l'autre.

- Alexandre, c'est toi ? Tu fais quoi là-dessous ? nous interrompt la voix aiguë et irritante de Kimberlay.

Le timbre de sa voix fait voler en éclats notre bulle de douceur. Il me lâche précipitamment, son regard fixé sur la blonde qui se tient devant nous.

- Vous faisiez quoi tous les deux ? lui demande-t-elle avec son air moqueur et arrogant qui la caractérise sans cesse.

- Va en cours, j'arrive, me dit-il avant d'empoigner la cheerleader par le bras et de s'éloigner dans le couloir.

Je soupire en les regardant disparaître à l'intersection du couloir. Encore une fois, elle a réussi à s'interposer entre lui et moi si facilement. Une douleur s'enracine dans ma poitrine, me parcourant le corps entier quand je franchis la porte de la salle de cours à moitié exténué et gonflé de colère.

Voyons, tu te fais encore des films, il se moque de toi. Ils sont en train de se marrer dans un couloir, me susurre le démon. Qui voudrait d'un monstre comme toi, continue-t-il.

Je me paralyse. Cette éventualité n'est pas dénuée de sens. Une énième blague de la blonde qui n'a pas aimé que l'on se défende au parc. De la haine se mélange à la colère en découvrant M. HARKER lisant la correspondance privée que j'ai eue avec mon voisin de classe. Mes humeurs, mes sentiments si changeants se mêlent et s'emmêlent les pinceaux.

- Vous n'avez pas suivi le cours, Mlle DOE, me demande le professeur en continuant sa lecture.

Quelques élèves sont encore présents dans la salle ou sont déjà revenus de leur pause. Ils discutent entre groupes et quelques rires éclatent de temps en temps.

- Vous êtes un peu trop curieux, Jonathan, lui lâché-je en réponse à son manque de respect avec une voix rauque qui lui fait lâcher la feuille.

Il me lance alors un regard surpris en voyant mon visage déformé par la bête que j'abrite.

- Qui es-tu ? continue-t-il en restant immobile et en ajustant ses lunettes.

Il sait. Comment peut-il savoir, songé-je dans mon fort intérieur. Je tente de me débattre pour diffuser cette chaleureuse énergie et reprendre le dessus, mais le démon me détourne de ma mission en me faisant entendre de nouveau les mots assassins prononcés ce matin par Marie.

- Mina vous passe le bonjour. Bientôt, elle aura une nouvelle camarade de jeu. J'espère qu'elles vont s'apprécier, ajoute le démon avec un air faussement inquiet.

Les élèves présents sur un signe du professeur sortent de la salle. Tous me lancent une œillade terrifiée. À travers un reflet sur la vitre de la fenêtre, je perçois mon image hideuse identique à l'autre soir, mais mes yeux sont entièrement noirs.

- Qui es-tu, sale monstre ? hurle le professeur qui tente de se rapprocher de son bureau.

Un rire assourdissant retentit dans l'espace clos dédié à notre enseignement, faisant voler en éclats les fenêtres. Les débris de verre se dispersent sur les tables et les chaises des étudiants, se mêlant à leur affaire de cours.

- S'il te plaît, pas de monstre entre nous, Jonathan. Soyons francs, que reste-t-il d'humain chez toi ? attaque l'engeance en se rapprochant dangereusement de sa proie.

Dans un ultime effort de défense, l'homme à la chevelure grisonnante sort de sa sacoche suspendue au dossier de sa chaise un crucifix qu'il me colle sur le front. Une fumée s'échappe de ce contact qui me brûle intensément ma peau, m'arrachant un cri de douleur.

- Qu'est-ce que vous lui faites ? crie Alexandre en me voyant à genoux devant notre professeur qui appuie de toutes ses forces sur son arme sacrée.

Il se rue vers nous, poussant les personnes qui entravent son passage. Son intervention déstabilise l'enseignant qui, comme je le soupçonnais, n'en était pas un. Cela permet au démon de se libérer des effets restrictifs de la croix en bois sur mon être.

- Oui professeur, dites-nous ce que vous êtes en train de faire à votre élève ? repris la bête en riant.

Je me relève difficilement pour faire face à Alexandre qui m'épaule dans mon effort. Il se raidit en entendant ma voix rauque et inhumaine. Les globes lugubres et sinistres de l'engeance se plantent au plus profond de ses yeux. La bête semble sonder son âme à la recherche de quelque chose.

- Laisse-le partir, c'est moi ta proie, ordonne M. HARKER au démon en tirant le jeune homme désorienté derrière lui.

Dans un ultime rire diabolique, mes pieds se lèvent du sol, sous les yeux médusés des jeunes témoins qui s'agglutinent à la porte, acculant de nouveau notre professeur d'une tension supplémentaire. Dans un clignement d'yeux, l'enseignement se retrouve à terre.

- Que vois-je, un jeune homme bien bâti et fringant, cela me change de ta vieille carcasse souillée, susurre-t-il en tournant autour de l'adolescent.

- Cours, Alexandre, enfuis-toi vite, s'époumone le quarantenaire à terre.

Le jeune garçon obéissant tente une feinte stratégique pour échapper aux griffes de la créature qui lui fait face. Il s'en défait triomphalement, lui offrant un sourire en coin quand il lui lance une œillade au-dessus de son épaule. Il est presque à la porte, il peut presque toucher du bout des doigts ses camarades qui lui portent assistance pour sortir de cette tourmente quand la porte se ferme dans un immense fracas coupant net ses rêves d'évasion.

- Ton papounet que tu as retrouvé pendu haut et court dans votre salon, chantonne la monstruosité en empoignant le col de l'adolescent.

M. HARKER se relève pour empêcher le démon de réaliser sa sinistre besogne, il sait qu'il n'a plus le choix s'il veut éviter le pire à son élève. À l'abri des regards indiscrets, il laisse alors sa véritable nature prendre le contrôle de son corps. Des crocs prennent la place de ses canines, ses ongles deviennent griffes, son teint blémit. Ses yeux se drapent d'un rouge sang, en un bond il s'approche suffisamment près de sa cible pour lui asséner un coup de griffe que le démon bloque en saisissant son poignet. L'homme mystérieux au pouvoir surhumain est réduit à l'état d'une biche prise dans un piège à loup se débattant vainement sous le ricanement du monstre avant d'être projeté violemment contre le mur du fond de la classe. Dans un dernier regard, il pense à tous les sacrifices qu'il a faits en vain, car encore maintenant il est impuissant face à la bête qui tient dans ses griffes une âme innocente.

- Il l'a fait car il a appris fortuitement que tu n'étais pas son fils, que tu n'étais qu'un bâtard qui vivait à ses crochets, crache le démon au visage du garçon avant de le lâcher.

Les paroles de la créature se diffusent dans le cerveau d'Alexandre comme un poison, il se répand, le rendant confus et instable. La porte s'ouvre en grand quand ce dernier, en pleurs, se précipite vers l'extérieur bousculant, quiconque voulant l'aider.

- Maintenant, punissons comme il se doit cette insolente jeune fille, conclut-il en s'élevant dans les airs jusqu'au plafond.

De cette hauteur, il me rend le contrôle de mon corps, me faisant chuter de plusieurs mètres de hauteur sur mon bureau et ma chaise. Le front baigné de sang, je gis inerte sur les décombres, ignorant que ces mots savamment distillés dans des oreilles innocentes et sensibles vont m'enliser dans un piège annonciateur des prémices de ma déchéance.

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