Chapitre 21 Réécriture : Une Triste Rencontre
Mon visage voilé d’une expression inquiète, je déambule seule vers le lycée. Le soleil baigne la rue de ses doux rayons comme pour soulager mon anxiété. Les artères de la ville, un peu plus calmes qu’aux premières heures d’affluence, s’animent au rythme matinal des vrombissements des véhicules et des klaxons de certains retardataires. La révélation de mes visions et de mes cauchemars à mes parents me laisse perplexe. Le silence de mon père avec cette expression proscrite sur son visage et la réaction presque prévisible de ma mère de s’orienter vers la médecine attisent mon inquiétude. Même si je n'ai pas mentionné clairement ma possession, je l'ai largement sous-entendue.
Je suis sûre qu'ils me prennent pour une folle maintenant. pensé-je.
À cela s'ajoute le résultat des recherches d'Anna qui n'ont rien donné sur mon énigmatique professeur d'anglais. Selon le net, il est la personne lisse qu’il donne l'impression d'être.
Alors pourquoi, à son contact, je ressens la même sensation que j’ai ressenti avec Enzo ? me questionné-je en soufflant mon désespoir.
La tête baissée, je ne me préoccupe que de mes pensées, plongées dans mes interrogations, le ventre noué par le stress de devoir faire face à cet homme qui ne m’inspire rien de bon. Sans me soucier des passants qui m’esquivent, j'avance vers l'établissement scolaire scrutant l'asphalte grisâtre du trottoir.
— Stéphanie, entends-je comme un murmure lointain.
Instantanément, je me retourne, le regard hagard, mon teint déjà blafard pâlit davantage. Un frisson me parcourt l'échine en découvrant l'origine de ce son.
— Marie, articulé-je avec difficulté la gorge nouée, déchirée entre la joie et la peur.
Un souffle chaud me lèche le visage, faisant danser mes cheveux sur mes frêles épaules. Je fais un pas vers elle, les yeux embués de larmes.
Elle semble si réelle, mais elle ne peut pas être là ? tenté-je de me raisonner en tendant la main vers elle pour la toucher, pour me confirmer l’improbable.
— Non ! hurle cette voix horrible.
Une silhouette sombre l'enlace; cette peau à l'aspect calciné, ses longs doigts aux griffes acérées, ce sourire aux dents carnassières, ne pouvait être que ce démon qui me tourmente sans cesse.
— Je me suis fait une nouvelle amie, continue-t-il en léchant la joue de celle qui est comme une sœur pour moi.
La rue tranquille animée par la normalité matinale n'est plus. Elle cède sa place à des cadavres qui s'entassent sur le sol. Des créatures répugnantes à moitié putréfiées déchiquètent les restes de ces pauvres âmes gisant à même le bitume brûlant. Les voitures sont réduites à l'état de carcasses calcinées qui jonchent la route et les trottoirs. Une fumée noirâtre se noue à celle de la végétation qui s’embrase à son tour, noyant le ciel de leurs émanations opaques comme pour masquer à l'astre céleste la lente agonie que ses sujets, ici bas, endurent. La température brûlante des brasiers s'insinue dans mes poumons à chaque inspiration, me faisant suffoquer. Machinalement, je masque mon nez avec la main pour éviter de humer cette odeur de chair en décomposition qui envahit peu à peu l’atmosphère.
— C’est vrai ce qu’il m’a dit, tu m’as vraiment abandonné ? me questionne-t-elle de sa douce voix lointaine.
Les perles d’eau agglutinées à mes paupières se déversent sur mon visage rougi par la honte. La culpabilité se ravive en moi, m’interdisant de lever la tête pour la regarder dans les yeux. Ma cage thoracique sursaute à chaque sanglot. Je me sens minable et lâche.
— Tu les as laissés me faire du mal. Sais-tu à quel point la douleur a été atroce ? continue-t-elle en pleurant.
Acculée par ces mots, je ne pipe aucun son, la laissant déverser sa colère sur mon être. Ces paroles me blessent, mais elles sont vraies, je n’ai rien fait pour la protéger, au contraire, je l’ai conduite dans cette fosse, je l’ai conduite à sa mort. Dans mon plus grand déshonneur face à ma tendre amie, je m’effondre, mes genoux heurtent le macadam sous le poids de mon corps provoquant une vive douleur insignifiante par rapport à mon sentiment de culpabilité.
— Elle n’est pas digne d’être ton amie, surtout qu'elle t’a fait bien pire encore, ajoute le monstre qui relâche son étreinte. Suis-moi, je vais te guider vers un lieu sûr, tu peux compter sur moi je ne t’abandonnerai jamais, susurre la chose à l’oreille de ma sœur de cœur comme pour l’envoûter.
Le démon me fixe en murmurant ses mots perfides, en bavant ce liquide noirâtre qui coule lentement sur la robe blanche de Marie. Son regard espiègle et son sourire sournois me confortent sur l’inexistence de ce lieu de providence. Pareil à un remède miracle, ma rigidité corporelle s'évanouit à l’évocation de leur fuite. J’ose alors relever la tête. Face à moi, le visage de ma comparse de toujours se plonge dans le doute. Ses joues inondées de sa tristesse qui se déverse sans fin.
— Je te suis, souffle-t-elle à ce monstre après une longue hésitation.
Il lui saisit la main avant de l'entraîner à travers ce champ de désolation. Ils marchent tranquillement, commençant à s’éloigner progressivement. Mon corps s’éveille, cette énergie me submerge entièrement, ma seule arme face à cette abomination. Ce dernier se retourne avec une mine contrariée, il sait que je m’apprête à l’utiliser contre lui pour libérer ma sœur de son emprise malsaine.
— Non ! hurlé-je de toutes mes forces. Ce n’est pas de ma faute, j’ai été piégée comme toi, la supplie-t-elle en courant à leur poursuite.
La menace que je représente et mon empressement à les rejoindre transforment leur petite ballade en une course effrénée, me contraignant à slalomer entre les débris des bâtiments en ruine. Rien ne m’arrête, j’escalade plusieurs restes de véhicule encore fumants, cette énergie mystérieuse m’aidant dans mon ascension. Se nourrissant par l’unique volonté de la sortir des griffes de ce monstre à tout prix. Je heurte plusieurs créatures qui dévorent goulûment la chair décomposée des cadavres au sol, se démentibulant presque le cou quand ils croisent un bout de viande qui ne cède pas à leurs crocs moisis.
— Tu es ma petite sœur ! On est inséparables toutes les deux, j’ai besoin de toi ! crié-je à mon amie qui ne ralentit en rien son pas.
Mon écueil à l’absence de réaction de cette dernière me perce le coeur comme une lame chauffée à blanc. Le rire de ce démon qui la guide vers un horizon apocalyptique est la seule réponse que j’obtiens. Je suis à quelques mètres d'eux, je tends ma main dans un espoir vain de lui saisir l’épaule.
— Tu veux savoir ce qu’elle t’a fait de plus horrible, ta meilleure amie ? demande cet être inhumain à ma chère Marie en insistant exagérément sur les deux derniers mots de sa phrase.
— Oui, articule-t-elle immédiatement, la voix tremblante noyée par les sanglots.
Un frisson me parcourt le corps, rendant ma main hésitante. Le doute s'installe de nouveau dans mon cœur déjà mis à rude épreuve. Mon souffle devient court, mon corps se fatigue, cette force progressivement disparaît, rendant mon pas plus lent. Je suffoque, le stress de l'évocation d'une nouvelle trahison à son encontre me submerge.
Je n'ai rien fait, cherché-je à me convaincre.
Une satisfaction se lit sur son horrible visage alors qu’il s'apprête à cracher de nouveau son venin.
— Elle t’a bouffée, elle a bouffé tes organes et ta chair comme un chien à même le sol rampant dans ses excréments ! hurle cette engeance de malheur.
Chaque mot résonne dans ce lieu vide de son, les dévoreurs de cadavres se redressent avec une gestuelle désarticulée. Leur attention se focalise sur ma personne, me poussant rapidement à stopper ma course. Ils m’encerclent, se rapprochant de moi, leur bave mêlée au sang qu’ils ont plus tôt ingurgité se répand sur leur main et leur buste en filet disgracieux.
— Ils ont reconnu une des leurs, lâche ce monstre dans un sourire victorieux.
Marie m'assène un dernier regard gorgé de colère et de dégoût, entérinant avec lui notre amitié et notre complicité. Malgré le choc de cette révélation, je pousse les créatures qui me barrent le chemin pour tenter vainement de sauver nos liens si purs et innocents. Je sens sur mes vêtements glisser les mains de ces choses. Certains me gratifient de leur fluide gluant.
— C'est faux, jamais je te ferai ça, il est dangereux. Viens avec moi, la supplié-je en me rapprochant d'elle alors qu'ils se sont arrêtés à leur tour.
Je ne suis plus qu'à quelques pas de ma chère amie. Je continue de m'avancer pour la prendre dans mes bras, mais ces mains si faibles jusqu'à présent me saisissent fermement, me ramenant vers l'arrière, agrippant de leurs doigts décharnés mes vêtements. Je me débats en repoussant énergiquement leurs membres squelettiques.
— Marie, ne l’écoute pas, ne va pas avec ce monstre ! Marie ! l’imploré-je en me débattant de l’assaut de plus en plus sauvage et puissant des charognards.
Le démon se délecte du succès de sa manœuvre. Son rire se répand comme une symphonie macabre trouvant en ce lieu une résonance plus troublante. Marie m’observe avec dureté avant de se tourner vers ce diable qui se dresse à ses côtés comme un loyal majordome.
— Viens avec moi, Marie ! continué-je en sanglotant.
Leurs regards hautains sur mon être me cloue au sol quand il s’élève dans les airs. Je ne me débats plus en comprenant que mon amie a pris sa décision, laissant ces choses me saisir brutalement par les cheveux, me tirant les bras et les épaules pour me ramener encore plus à ma minable condition de vermine que je partage avec eux.
— Marie, murmuré-je en la voyant s’éloigner.
Mon corps abandonne tout effort, je me laisse porter en fermant les paupières, signe de ma résignation, de l’acceptation de ma sentence.
Où m'emmènent-ils ? me demandé-je.
L’étreinte qui me comprime se fait plus douce et tendre. Une chaleur humaine m’enveloppe en me caressant délicatement le dos.
Je ne le mérite pas, m’étonné-je en me retenant de me blottir davantage dans cette douceur.
— Elle va bien ? Pourquoi elle ne se réveille pas ? questionne une voix que je connais.
Cette voix si lointaine, je m’y accroche à chacune de ces intonations inquiètes face à mon manque de vitalité. Son étreinte se renforce quand une seconde voix mentionne une explication que je ne parviens pas à déchiffrer. Lentement, mes paupières si lourdes se relèvent, me révélant la présence de mon sauveur de la veille au soir.
— Tu te sens comment ? m’interroge Michael avec un ton doux et bienveillant en posant sa main sur mon épaule.
Ce geste anodin crispe l’inconnu qui me tient encore contre lui. Il me serre si fort que je peux sentir les battements de son cœur encore rapide contre ma joue. Michael retire sa main sous le regard assassin de cette tierce personne dans les bras de laquelle je me sens apaisée. Le parfum aux senteurs boisées souligne la virilité de son porteur à mesure qu’il me serre de plus en plus contre lui. Timidement, je relève la tête pour me perdre de nouveau dans un océan émeraude. Un brin fardé, le cœur palpitant, je découvre le visage intimidé d’Alexandre. Comme ce jour-là, à la fontaine où il m’avait sorti de l’eau, je me retrouve blotti contre lui, mais cette fois-ci je ne veux pas que son étreinte se termine, je ne veux pas qu’il me lâche même si je ne suis pas digne de recevoir cette attention, même si je ne suis qu’un monstre. Reprenant conscience que nous ne sommes pas seuls, il relâche son réconfortant enlacement. Machinalement, sans pouvoir contrôler mes gestes, je l’enlace à mon tour.
— Merci, lui chuchoté-je à l’oreille.
Son regard devient fuyant, son teint rougeâtre élève la température de son corps. Il me repose rapidement au sol comme pour échapper à l’incontrôlable ascenseur émotionnel que son esprit actionne, il part me laissant avec l’énigmatique gérant d’Elysion. Je soupire en le voyant partir sans se retourner.
— Suis-moi, m’ordonne Michael qui ricane devant ma mine fardée et déçue.
Il me guide à travers les rues vers le lycée. Durant notre courte balade, je ne peux empêcher mon esprit de vagabonder, me remémorant cette tendre étreinte qui ravive les sentiments que j'avais enfouis au plus profond de mon cœur avant de sentir mon être se fissurer en revoyant le visage de Marie.
À notre arrivée à l’établissement scolaire, nous pénétrons par une porte dérobée qui nous donne accès directement à la cafétéria. Il m’installe à une table avant de me servir un chocolat chaud.
— Alors Stéphanie, depuis hier soir, que s'est-il passé ? me questionne-t-il en s'asseyant, brisant un silence dérangeant.
Son iris scintillant de malice, je comprends qu’il est bien intervenu. Le repas d'hier soir a bien viré au cauchemar, ce n’était pas une vision ou un rêve. Il se délecte d'une gorgée de son breuvage, l’ajustant à son goût en ajoutant un carré de sucre. Il pose délicatement sa tasse encore fumante sur la table. Mon attention est alors attirée par le mouvement circulaire de la cuillère dans la tasse sans que ce dernier l’actionne.
— Qu’est-ce que vous êtes ? Un… un ange, m’aventuré-je hasardeusement.
Un rire espiègle se fraie un chemin entre ses lèvres. Son regard se pose sur moi, mon cœur tambourine dans ma poitrine. Les anges, les démons n'étaient pour moi qu'une chimère ; même si je suis croyante, je ne pensais pas voir un jour dans ma vie une de ces créatures mystiques.
— Un cran au-dessus, ma chère, le Seigneur ne s'est pas moqué de vous, je suis un archange, s’empresse-t-il de me répondre avec un air fier sur le visage.
Son attitude, sa réponse me surprennent. Je l'observe avec un air méfiant.
Il se moque de moi, pensé-je en l'examinant.
— Non, je ne me moque pas de toi. Je suis bien l'archange Michael, celui qui a vaincu et emprisonné Lucifer en enfer, et tu es possédée par un démon des plus coriaces, enchaîne-t-il en déployant ses ailes.
Je bondis de surprise de ma chaise. Ces plumes immaculées luisent à la lumière du soleil. Une aura blanchâtre réconfortante émane de lui alors qu'il déguste son chocolat chaud en me gratifiant d'une œillade rieuse.
— Ne t'en fais pas, j'ai l'habitude. Bon revenons à notre affaire: comment sais-tu que tu es possédée ? me demande-t-il en posant sa tasse et en adoptant une attitude plus sérieuse de commissaire de police.
Je relève ma chaise, en résistant à une énorme envie de toucher ses ailes, m'imaginant à quel point elles doivent être douces et soyeuses. Je prends une gorgée de ce nectar chocolaté pour me dénouer la gorge.
— C'est la créature de mes visions qui me l'a dit, celle avec l'enfant, murmuré-je faiblement un peu à contre cœur.
Ses pupilles bleutées s'illuminent en s'écarquillant. Un sourire immense se dessine sur ses lèvres. Une joie indescriptible se lit sur son visage alors que son corps tout entier semble se détendre.
— Depuis quand, depuis quand l'as vois tu, continue-t-il de me questionner avec un ton de soulagement.
Son intérêt pour la créature qui m'a tant aidé me rend méfiante à son égard. Un sentiment de peur me crispe soudainement.
En aurais-je trop dit ? me sermonné-je
Sous la table, une vive douleur me saisit le mollet, comme une brûlure. Par réflexe, j’ausculte ma jambe. C'est la blessure que l'enfant m'a laissée dans les profondeurs abyssales de mes visions. Il se manifeste ainsi durant un bref instant, un clignement d'yeux : je l'aperçois au côté de mon hôte.
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