Chapitre 18 Réécriture : Une Rencontre Malaisante

"Allez, viens, ne te fatigue pas avec elles, ça n'en vaut pas la peine."
Les paroles qui étaient sorties de sa bouche ce jour-là. Ces mots qui m'avaient tellement blessé et déçu. Je ne l'entends pas, la scène se rejoue en boucle dans ma tête avec cette même rengaine. Ses lèvres remuent, son regard fuyant, cherche ma compassion et mon pardon, mais je n'y arrive pas.

- Je suis désolé, conclut-il son monologue en baissant la tête comme un enfant.

Ces quelques secondes qui s'écoulent comme des heures font monter en moi une colère que je ne peux pas dissimuler plus longtemps.
Comment peut-il venir me voir, me parler après ce qu'il a fait ? songé-je alors qu'il attend ma réponse.
Mes doigts de nouveau me picotent, il faut que je me calme, je dois m'apaiser avant qu'il ne subisse le même sort que cette porte l'autre soir.

J'inspire longuement, une petite voix au creux de l'oreille me chuchote des mots de bienveillance comme un ange gardien salvateur de cette pauvre âme qui n'a pas imaginé tout ce que ces paroles ont engendré. Puis-je seulement l'accabler de mes maux, de la cruauté que j'ai vécue. Non, je n'en ai pas le droit, mais je ne peux pas lui pardonner aussi facilement son manque de respect.

- Tu n'en vaux pas la peine, articulé-je la mâchoire serrée et les points fermés avant de me détourner de lui.

Le laissant ainsi face au mur blanc, j'accepte l'invitation du professeur qui nous fait rentrer dans la salle de cours. Je me dirige inconsciemment vers ce bureau baigné de la clarté céleste. Cette lueur bienfaitrice m'enveloppe de nouveau de sa chaleur. Comme une maman chat, je sens sa caresse me laver de ma colère et de mes pensées négatives. Une voix familière me sort de cette esquisse communion.

- Je peux me mettre à côté de toi, me demande Mathilda, mon acolyte de l'an dernier avec qui je discutais dans le couloir avant l'intervention du meneur de l'équipe de basket.

Je l'accueille avec un immense sourire, qui fait résonner des mécontentements dans la salle. Visiblement, je ne m'étais jamais rendu compte que j'étais autant apprécié de mes anciens camarades de classe. Cela me réchauffe le cœur. Cependant, une sensation pesante me saisit, je sens son regard sur moi. Alexandre s'installe sur la table qui est juste derrière la mienne sans me quitter des yeux.

- Très bien ! intervient le professeur avec un léger accent anglais. Maintenant que vous êtes installés, je vais vous demander de ne pas sortir d'affaire, car je vais vous replacer, s'amuse-t-il devant nos mines médusées.

Certains anciens camarades se retournent sur Mathilda avec un grand sourire vengeur sur les lèvres. Au travers de sa chevelure brune ondulée, je devine dans ses prunelles grises qui fixent le professeur son inquiétude. Je lui serre la main pour la rassurer et lui donner du courage.

- On est dans la même classe. Ne t'inquiète pas, je ne suis pas loin, la réconforté-je en lui murmurant ses quelques mots à l'oreille.

Dans ce mouvement de tête, je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil à mon voisin de derrière qui semble aussi ravi que certains de la nouvelle. L'homme, à la silhouette svelte, vêtu comme un dandy anglais, avance dans l'allée centrale. Son regard rieur, dissimulé derrière sa paire de lunettes, nous scrute. Les nombreux ridules aux coins de ses yeux marquent sa longue expérience. Il ne peut retenir un sourire presque moqueur face à notre surprise et au désarroi de quelques-uns. Ne faisant aucun cas de nos affinités et attachements, il fait ses changements comme un compositeur dessinant les notes sur une partition cherchant la mélodie la plus harmonieuse.

Après quelques remaniements, je perçois sans peine sa logique : une fille et un garçon. Mathilda semble aussi avoir compris, elle resserre son étreinte autour de ma main. Cette jeune fille, au visage enfantin et rond, et ma petite personne sommes liés depuis l'an dernier quand je l'ai aidée à s'intégrer au reste de la classe. Elle restait en retrait de peur des moqueries des uns et de la méchanceté des autres. Cet être apeuré à qui j'ai tendu la main en lui proposant de venir s'installer à côté de moi ne m'a plus quitté.

- Mademoiselle, vous vous levez et vous échangez de place avec votre voisin de derrière, explique le professeur en désignant Mathilda et Alexandre.

J'essaie de garder le sourire et une mine enjouée quand le regard triste de mon amie se porte sur le mien. Une vague de déception m'envahit, me demandant s'il n'a pas soudoyé notre prof.

- Tu vois, je ne serais pas loin de toi, murmuré-je à ma timide Mathilda qui se lève péniblement de sa chaise en faisant la moue.

Sa tristesse me touche, je la couve d'un regard bienveillant en lui faisant une dernière caresse sur sa main alors qu'elle pousse la chaise. Je la suis du regard quand elle se jette lourdement sur le siège, ce qui provoque un rictus chez son voisin de table.

- Salut, je m'appelle Cédric, je viens d'arriver en ville, dit-il en lui tendant la main.

Son visage ronchon s'illumine, elle m'observe rapidement avec étonnement. C'était son cas, à elle aussi, l'an dernier. Je lui adresse alors un sourire comme un passage de relais qu'elle reçoit à merveille.

- Moi, c'est Mathilda, tu es arrivé quand en ville, le questionne-t-elle en murmurant avec beaucoup plus d'entrain.

Je les laisse faire connaissance, face à moi un autre problème se présente, je l'accueille avec plus de froideur que les deux pôles réunis. Sans un mot, il pose ses affaires et s'installe. Je me crispe jusqu'à ce que le professeur reprenne la parole. Je tente un furtif coup d'œil dans sa direction pour apercevoir un soupir de déception résultant de mon ignorance à son égard.

- Je suis Monsieur HARKER, je serai votre professeur principal et je tenterai de vous enseigner les rudiments de la langue anglaise tout au long de cette année. Dans mon cours, vous serez toujours en binôme. Pourquoi vous demandez-vous ? Eh bien, tout simplement, car vous allez travailler sur plusieurs devoirs et exposés en commun, donc l'entente sera primordiale.

Une onde de mécontentement se fait entendre dans la salle. Des œillades furtives gorgées d'incompréhension sont échangées. J'encaisse à mon rythme la nouvelle alors qu'Alexandre reste impassible.

- Chut ! So French, s'exaspère l'enseignant.

Il continue son tour dans les allées pour s'assurer de sa bonne répartition. Il tourne en attendant avec ce flegme caractéristique d'une certaine éducation noble que le calme revienne. Ne laissant résonner que ses talonnettes au sol à chacun de ses pas. Je comprends que je serai contrainte de devoir échanger avec mon camarade de classe plus que je ne voudrais. Je m'enferme dans ma bulle pour dédramatiser la nouvelle de cet énième affront du destin, bercé par ce bruit métallique. Mon regard fixé sur le tableau vert trônant au milieu du mur, je me perds dans mes pensées, me demandant comment je dois agir avec mon voisin de tablée. Je ne porte pas attention au bruit se faisant de plus en plus fort et proche de moi. Je sursaute quand le rythme de la balade de l'enseignant s'arrête devant notre table et que son visage entre dans mon champ de vision.

- Oh, J'allais oublié ! s'exclame-t-il. S'il y a des choses dont vous estimez que je dois être informé, merci de venir me voir à la fin du cours, continue-t-il en me fixant avec un regard sérieux et un fin sourire qui me provoque un frisson.

Mon corps par réflexe se raidit, trahissant mon fardeau. Son regard insidieux me terrorise, m'aurait-il percé à jour. Une sueur froide coule le long de mon dos. Je déglutis avec difficulté en ne comprenant pas ce rictus presque terrifiant sur ses lèvres. Ses pupilles marron presque noires m'hypnotisent. Ma vision se floute pour me laisser voir du sang, un fleuve rougeâtre dans lequel cet homme s'enfonce en hurlant de tristesse. J'ai froid, la douleur, le chagrin m'emporte à mon tour dans ce naufrage sanguinaire.

- La bête, prenez garde à la bête, me murmure-t-il en posant une main sur ma joue.

Ce contact glacial me fait sursauter, m'apercevant qu'une larme coule le long de ma joue. Je réalise en revenant parmi les vivants que cet énigmatique Monsieur HARKER est en train d'écrire au tableau. Il ne me fait plus face. Discrètement, je m'essuie l'ovale du visage d'un revers de main. Il navigue à son aise dans cette salle aux murs blancs salis de quelques tags d'anciens élèves. Les plaques de ce haut faux plafond sont presque toutes transpercées de petites cartouches d'encre vides. Avec professionnalisme et douceur, pour les plus timides, il nous dispense une leçon d'anglais des plus banales.

Qu'est-ce que cet homme à la chevelure grisonnante a pu traverser dans sa vie ? m'interroge-je.

A la sortie de ces deux heures, je suis pensive en rangeant mes affaires.

Qui est-il ? Puis-je lui faire confiance ? songé-je en l'observant pendant que je me lève.

Et s'il était comme les autres, je dois me renseigner sur lui avant ? me raisonné-je en passant devant son bureau avec un pas hésitant.

- Au revoir, professeur, articulé-je faiblement.

Dans mon esprit, je suis perdue, essayant de me convaincre que tout cela n'est qu'une coïncidence hasardeuse, que le manque de sommeil me joue des tours ou encore que cette chose s'amuse à me tourmenter.

- Je vous souhaite une bonne journée, Stéphanie, et surtout, n'hésitez pas si vous voulez vous confier à moi, me répond-il avec un clin d'œil.

Sa phrase, ce ton enjoué m'apportent ce petit quelque chose de certitude qu'il me manquait pour croire en ma vision.
Je dois découvrir qui il est, ce qu'il se cache derrière ce déguisement de monsieur parfait bien trop lisse, me persuadé-je en sortant de la salle.

Ce dernier échange me met mal à l'aise, ma respiration est courte, mon estomac se broie, je dois me calmer. Je m'élance dans les couloirs de l'établissement scolaire pour aller chercher ce précieux réconfort auprès de mes amis d'enfance. Noyé dans mon trouble, je ne porte aucune attention au personne qui m'entoure, je trace ma route sur ce linoléum grisâtre. Au loin, j'aperçois la silhouette d'Anna qui me fait de grands gestes, mon cœur ralentit instantanément son tambourinement.

- Vous connaissez le Professeur HARKER ? les questionné-je sans plus d'explications.

Ils échangent un regard hasardeux, sans vraiment comprendre ma mine livide et mon stress qui se déverse de moi à chaque goutte de sueur qui passe ma barrière cutanée.

- C'est un nouveau prof, il n'était pas là l'an dernier, m'indique une voix masculine derrière moi.

Le visage de Tim s'illumine, celui d'Anna reste impassible à la vue de la personne qui est derrière moi. Je me retourne à mon tour pour voir un Tim et un Alexandre plus complices que jamais à partager leur temps fort de la matinée et à rire.
Depuis quand sont-ils aussi proches ces deux-là ? m'interrogé-je

- Ils étaient dans la même classe l'an dernier, me précise Anna. Ce qui explique le redoublement d'Alexandre cette année, me confie-t-elle tout bas.

Elle le salue rapidement avant de m'éloigner des deux garçons dont les éclats de rire trop bruyants la dérangent.

- Il s'est passé quelque chose, tu as l'air vraiment sous le choc, me demande-t-elle en me tenant les mains.

Mon esprit vagabonde dans les tréfonds de la négativité, m'imaginant les pires scénarios possibles sur cet inconnu.
Est-ce qu'il fait partie de cette secte ? Il est venu me chercher ? s'il est là, alors les autres ne sont pas très loin ? m'angoissé-je.

- Il me faut des informations sur lui, il est bizarre, lui annoncé-je à mi-sanglot.

Ses pupilles bleues se posent sur moi, elle me prend dans ses bras pour éviter que les garçons ne perçoivent mes larmes et ma détresse. Sa chaleur et son odeur m'apportent un peu de sérénité, celle que j'avais tant espérée depuis que j'avais littéralement fui la salle de cours.

- Je vais faire des recherches, ne t'inquiète pas, me rassure-t-elle en me caressant les cheveux.

Ses paroles et la douceur de son timbre de voix me rassurent, tout doucement mon corps se décontracte. Je sais que je peux compter sur elle. Elle est une pro en informatique, aucune information ne lui sera impossible à trouver.

Malgré cette assurance d'avoir rapidement des renseignements sur ce mystérieux personnage, un désagréable sentiment d'insécurité me ronge. Sur mes gardes en permanence, je passe le reste de la journée sans plus de bizarreries.

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