Chapitre 17 Réécriture : Une Rentrée Pas Comme Les Autres

Un vent frais domine l'atmosphère de ce début de journée. Le soleil trônant dans son royaume céleste est devenu timide, se cachant derrière les nuages, ne laissant comme dernière preuve de son passage que nos peaux dorées par sa chaleureuse caresse estivale. Cet air frais emporte avec lui toutes les promesses de l'été. Les soirées entre amis, les grasses matinées interminables, les amours de jeunesse naissant au hasard des rencontres. Tous ces doux présages balayés par la brise annonciatrice du retour de la morne monotonie automnale. Le chant routinier du métro, boulot, dodo résonne comme un écho dans son sillage. 

Cette fraîcheur matinale dépose sur ma peau sa froide bise. Elle m'accompagne, me rappelant mes obligations, les cours, les devoirs et autres activités, me remémorant que je suis vivante dans cette réalité chamboulée par ce parasite. Cette chose qui revêt maintenant une apparence entièrement noire à la chair fripée et aux crocs acérés me traque en permanence. Elle draine mon énergie en m’épuisant,  m’ôtant ainsi toute volonté de me rebeller. Les cauchemars deviennent le seul moment de répit de mes nuits, souvent ils cèdent leur place à des insomnies durant lesquelles cette bête me mutile, m'humilie, m'accable. 

Je suis silencieusement mes amis, la tête baissée, le regard dans le vague. J'avance avec cette dérangeante sensation de porter un point oppressant sur mon dos. Tim et Anna me devancent de quelques pas. Ils discutent entre eux. Les bruits de la ville, le vrombissement des véhicules, l'odeur des pots d'échappement ainsi que les bribes de discussions qui échouent aux creux de mon oreille m'agacent, je suis si fatiguée. 

— Pas trop stressée, me demande Anna en souriant, ralentissant son pas pour être à mes côtés et me pointer notre destination du doigt. 

Sa douce et chaleureuse voix, m’extirpe de mon incarcération mentale, encaissant encore le choc des sévices nocturnes de cette créature. Mon regard s’arrête sur l’immense bâtiment qui me fait face, sa devanture jaunâtre claire s'élevant sur plusieurs étages garnis d'une multitude de fenêtres. Le nom de l'établissement dont les lettres grises s'affichent fièrement au-dessus des colonnes et des arcades qui abritent les élèves agglutinés aux portes imposantes de la bâtisse me laisse muette. Tous animés par cette même excitation de voir apparaître leur nom sur une des listes. Nous nous frayons à notre tour un passage entre les cris de joie des uns  et les moues déconfites des autres. Je les observe, ils sont là à côté de moi et me paraissent si lointains. Les émotions qu’ils dégagent, la tension qu’ils ressentent, me semblent étrangères, dénuées de toutes raisons. Pourtant je devrais être comme eux, mais rien. 

Pourquoi suis-je si vide, pensé-je

— Tu es en seconde B, tu dois te rendre en salle 1618, m’indique Tim en ébouriffant ma crinière châtain.

Je lui lance un regard vide avant que mon attention ne soit attirée sur Anna qui nous rejoint en se faufilant entre deux lycéens qui consolent une de leur amie. 

— Nous sommes dans la même classe en première SC, salle 1408, nous annonce-t-elle avec un léger sourire sur les lèvres.

Mes pupilles s’attardent sur les commissures de sa bouche qui ne cessent de s'étirer, déformant ses joues qui se craquellent, déversant un liquide noirâtre à l'odeur putride qui s'écoule le long de son cou. Ses pommettes rosées deviennent livides et son regard glacial me terrifie. Mes poumons se gonflent d’air, je ferme les yeux en expirant lentement. 

Ce n’est pas la réalité. Tout va revenir à la normale quand je rouvrirai les yeux, me répété-je dans ma tête comme un vieux disque rayé.

Après m'être auto-convaincu, je respire lentement en rouvrant les paupières. Mon iris finit de me rassurer en voyant que ma douce Anna est redevenue normale. 

— Alors ça, c'est cool, on va s'éclater, s'exclame Tim en prenant les mains d'Anna dans les siennes. 

Elle ne peut retenir un long soupir. Les deux opposés, le pitre de service et l'élève modèle, dans la même classe. La situation me semble, sur le moment, presque ironique. 

— On va bosser, rationalise cette dernière en lui lançant un regard désapprobateur. 

Je les observe sans réelle conviction, je ne peux pas m'empêcher de penser à Marie. Elle aussi aurait fait sa rentrée aujourd'hui. Elle m'aurait raconté sa journée en me faisant ses grands gestes que j'adore. Ses yeux bleus innocents, illuminés par cette fougue et cette frustration de ne pas pouvoir profiter de la vie comme elle le souhaitait. Un coup de coude me sort de mes sombres pensées. 

— J’en connais une qui va adorer aller en cours cette année, ajoute Tim en me faisant un clin d'œil complice. 

A sa vue, je sursaute, sa mâchoire est totalement arrachée, sa langue pend dans le vide avec des lambeaux de chair qui se dandinent à chacun de ses mouvements. Ses vêtements gorgés de sang dégagent cette odeur ferreuse, m'arrachant une grimace de dégoût. Mon cœur s'emballe si fort que je me tiens la poitrine. 

— Ça va, s'inquiète Anna face à ma mine apeurée, posant sa main sur mon épaule. 

Ceux sont les prochains, résonne une voix dans ma tête provoquant un tremblement de tout mon être.

Un son strident, retentit provoquant une seconde vague d'excitation chez les adolescents qui s'entassent devant la porte principale du lycée.

— Ça va aller, me murmure Tim dont le visage est de nouveau intact. 

Je fulmine intérieurement, comment pourrais-je leur dire que rien ne va, que tout empire jour après jour. Je retiens mes larmes, j'en ai assez d'être faible, je dois me battre, je dois redevenir la Stéphanie que j'ai toujours été pour eux, pour Paul, pour ma famille, pour moi. 

Non, ils seront tous les prochains à mourir comme des chiens, reprend cette voix sinistre dans mon esprit en riant aux éclats, comme Marie dans mon cauchemar.

En entrant dans l'établissement, une vive lueur m'aveugle. Cette lumière émane du hall du bâtiment qui est entièrement vitré, laissant les rayons du soleil me réchauffer. Mon être tout entier se blottit dans ce réconfort que m'offre encore Dame Nature. Je traduis cet accueil comme un message de paix et de sécurité, je me détends sous la couvade ravie de mes amis. 

— On a dix minutes avant la prochaine sonnerie pour te faire visiter le lycée, s'enthousiasme Tim en m’empoignant par le bras. 

Anna ricane face à l'optimisme débordant de notre acolyte. Elle s'empresse à son tour en mimant ses mouvements. Ce chahutement me ravive, me laissant esquisser à mon tour un sourire timide. 

— J'ai déjà fait la visite avec le collège, leur annoncé-je faiblement, sans vouloir atténuer leur joie qui me réconforte. 

Tim m'observe alors avec insistance. Un énorme sourire s'affiche sur son visage, signe qu'il ne peut plus se retenir, son humour et son esprit taquin sont au paroxysme de leur forme. 

— Alléluia ! Tu as parlé, tu sais parler, communiquer ! s'étonne-t-il en me dévisageant les mains tendues vers le ciel. 

Un rire libérateur s'échappe de mes lèvres face à la bouille faussement étonnée de mon interlocuteur. Tout comme pour mon frère, ses facéties ont fait mouche sur le peu de raisons qu'il me reste. Ils m’embarquent dans la découverte de ce lieu. Nous déambulons dans les étages où je comprends le système de numérotation dont le premier chiffre fait référence à l'étage. 

— Tout le monde se pousse ! Priorité à nous ! hurle Tim à qui ose se mettre sur notre passage. 

Il est si drôle avec ses multiples commentaires que je peine à écouter les explications d'Anna. Nous filons ainsi d'étage en étage, troublant les discussions des uns et les pensées des autres par nos éclats de rire. 

— Arf ! Ça, c'est l'endroit le plus sinistre du bahut, la salle de devoirs surveillés, me confie solennellement Tim en mimant un frissonnement d'angoisse. 

Je fais un pas pour jeter un œil curieux à cette salle blanche décorée de tables et de chaises toutes parfaitement alignées. Au fond, une petite estrade avec un bureau permet au professeur de surprendre en flagrant délit toutes tentatives de tricheries. La lumière naturelle émanant des fenêtres donne une vue tentatrice sur la cour. 

— Je l'aime bien, moi, cette salle, intervient Anna en surjouant la naïveté. 

Tim croise ses bras sur son torse, affichant une moue boudeuse sur son visage. 

— C'est normal, toi, t'es une intello, ronchonne-t-il dans sa barbe en se dirigeant vers une seconde porte non loin de la salle qu'il redoute tant. 

Il prend une longue inspiration avant d'ouvrir lentement la porte, comme pour prolonger un suspense. Ces yeux écarquillés se fixent sur moi alors qu'il se presse à se mettre entre moi et l'entrebaillement de l'ouverture de cette mystérieuse pièce. Un air entraînant et une douce odeur de viennoiserie sortie du four nous accueillent, ajoutant encore plus d'intérêt et de curiosité pour ce lieu. 

— C'est mon paradis dans cet enfer entre les cours et les devoirs surveillés, s'emballe Tim. 

Nous franchissons le seuil de la pièce escortés par mon ami qui semble sur un petit nuage. La musique, les baby-foot et le billard nous donnent l'impression de ne plus être dans le lycée, mais dans un bar au coin de la rue.

— Elysion, lis-je à voix basse l'inscription au-dessus du comptoir. 

Ce mot résonne étrangement en moi, ébranlant quelque chose de sinistre et de sombre tapis dans mes entrailles. Quelque chose qui ne devrait pas être là. 

— Tu parles, le paradis des cancres, oui, s'insurge Anna derrière moi, me faisant sursauter de surprise. 

Tim lui tire la langue comme unique réponse avant de s'éloigner pour saluer la personne qui semble avoir la lourde tâche de faire régner l'ordre et la discipline dans ce lieu. Leur conversation mêlée de gestes amicaux et de rires laisse percevoir qu'ils s'entendent bien. Le jeune homme, qui doit avoir quelques années de plus que nous, pose ses yeux d'un bleu intense sur Anna avant de s'attarder plus longuement sur ma petite personne en fronçant les sourcils. 

Son œillade me paralyse, je n'arrive pas à décrocher mes yeux de ses deux saphirs resplendissants, me donnant l'impression d'être totalement à nue. L'insistance de ce coup d'œil fait naître en moi un malaise. La nausée m’assaille, me rappelant ce que j'avais ressenti devant la cathédrale durant ma fuite. Mon cœur se serre dans ma poitrine, j'ai peur. Je n'arrive plus à rester debout, ce qui n'échappe pas au jeune homme. Je m'écroule sur la première chaise que je vois, mon cœur s'affole. 

Qu’est-ce qu'il se passe ?
m'interrogé-je 

Son regard inquisiteur s'estompe pour faire place à un sourire gêné avant de se détacher de mes pupilles noisettes. Il passe sa main dans ses cheveux pour remettre une de ses mèches blondes dont la lumière  naturelle lui donne une brillance presque mystique. Anna me parle, mais je ne l'entends pas, ma tête coincée dans mes bras. Je me concentre sur ma respiration pour refouler la remontée gastrique qui menace de franchir mes lèvres. 

— Qu'est-ce qui t'arrive, ma belle ? articule Anna en posant sa tête sur la mienne, dont la voix tremblante trahit sa panique. 

Elle me frotte le dos en appelant Tim à l'aide. Ce dernier vient vers nous accompagné de son  encombrant interlocuteur. L'atmosphère m'oppresse à chaque pas qu'ils font vers nous. La nausée devenant de plus en plus violente. Mon cœur bat si fort que ces battements résonnent dans mon pouls. Un bourdonnement sourd s'installe dans mes oreilles, brouillant la détresse de mon amie face à la situation. 

Je dois fuir, pensé-je. 

Dans un élan de désespoir, je me lève en poussant Anna pour m’élancer vers la sortie. Je percute plusieurs personnes sur mon passage, cherchant un endroit calme où je pourrais me recentrer sur moi-même à l'abri des regards indiscrets. Anna me rattrape, elle m’agrippe le poignet pour me guider vers les toilettes. Elle s’arrête au niveau des lavabos en pensant naïvement qu’un peu d’eau sur mon visage me soulagerait, mais non. Je me rue vers les toilettes, me jetant à genoux devant la céramique blanche dans laquelle je déverse sans me soucier de rien mon reflux gastrique contre lequel je mène un combat interne. Le flux est si intense qu’il m’irrite la gorge. Anna, qui m’a rejoint, me soutient en me frottant le dos et en me tenant mes cheveux, m’observant avec dégoût.

— Pouah ! tu as mangé quoi ? Cette odeur, ce n'est pas normal, me questionne Anna en se bouchant le nez.

Sa réflexion me crispe, je n’ai quasiment rien mangé depuis des jours. J’observe avec elle le fond de la cuvette. Un liquide noirâtre pestilentiel recouvre l’eau et les parois blanchâtres. Cette odeur, je la reconnais maintenant, celle du soufre, celle que j’ai maintes fois humée dans cet enfer durant ma détention.

— Je ne sais pas, lui réponds-je en me relevant.

Je tire rapidement la chasse d’eau pour faire disparaître ce spectacle de désolation. Face au miroir au-dessus du lavabo, je toise mon reflet. A chaque fois que je me passe de l’eau sur le visage, je me revois assise au fond de cette cave enchaînée et rampant dans mes excréments. Je secoue alors ma tête pour éloigner ses tristes souvenirs. Je ne veux plus être comme ça, je ne laisserai pas cette chose me malmener encore, ne serait-ce qu'une nuit de plus. Je fixe mon image dans le miroir qui se fissuré, me jurant qu’une seule chose : je ne serai plus faible.

— Tu te sens mieux ? s'inquiète mon amie. 

Je lui adresse alors un sourire en me séchant les mains. Je me sens légère. Ce poids qui m'écrasait depuis ce matin a disparu, me donnant l'impression d'une liberté retrouvée. Un sentiment nouveau s'ancre dans mon être, je me sens renaître. La confiance m'inonde, me rendant ma détermination et ma combativité. 

— Je vais super bien, la rassuré-je en l’entraînant à mon tour vers la sortie. 

La force mystérieuse de l'autre soir envahit chaque cellule de mon corps, provoquant un léger picotement au bout de mes doigts. Les couloirs s'animent d'agitation, Tim accourt auprès de nous. 

— On n'a plus le temps. Tu te sens mieux ? me questionne-t-il en mettant sa main sur mon front. 

Son geste presque paternel me fait glousser de rire avant que nous reprenons cette course folle qui nous avait menés à ce lieu mystérieux. La sonnerie retentit, m’obligeant à faire un rapide adieu à mes amis qui se ruent vers leur salle, avec la promesse de se retrouver pour la pause de dix heures. En rejoignant le rang désordonné d'élèves stationnant devant la salle, je me sens renaître prête à découvrir les dernières surprises de cette journée. Certains visages familiers m'accueillent avec enthousiasme. Je me range aux côtés de mes connaissances de l'an dernier avec lesquelles j'entame une discussion ponctuée de blagues des uns et des inquiétudes des autres. 

Mes brefs coups d'œil sur les élèves inconnus me laissent voir un visage que je ne pensais pas voir ici. Vers la fin de la rangée de jeunes gens, un regard s'accroche au mien, deux pupilles vertes me fixent intensément. Cette couleur d'yeux émeraude ne correspond qu'à une seule personne dans cette ville, Alexandre.

Quelle ironie du sort, pensé-je en le voyant se rapprocher de moi. 

Finalement, notre grand seigneur a répondu à toutes mes prières, mais bien trop tard, intériorisé-je quand il m'adresse la parole. 

Tout ce que j'aurais eu à te raconter, ma douce Marie, ce soir si tu étais encore là, songé-je en me tenant la poitrine. 

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