Chapitre 15 Réécriture : Une Énergie Mystérieuse

Après une longue agitation salvatrice entremêlée de cris de victoire et de rires, le calme est de nouveau revenu dans le véhicule. Mon père se repose, laissant ma mère conduire sur les derniers kilomètres de notre parcours. Mon frère blottit confortablement contre moi, s'est laissé emporter par Morphée au son mélodieux des chants religieux de notre radio. C'est ainsi que je me laisse conduire en contemplant le visage bienveillant de la lune qui me sourit. 

Sous la douce lueur bienfaitrice de l'astre nocturne qui nous accompagne comme une fidèle amie, nous arrivons chez nous. Nous passons devant la pancarte qui aborde fièrement le nom de la ville qui m'a toujours accueilli en son sein. Ces devantures de maisons fleuries dont les parfums ravissent toujours mes narines lors de mes balades dans ces rues pour rejoindre mes amis, me rassurent. Je reconnais dans la pénombre des lampadaires, le collège ainsi que les autres bâtiments publics que je côtoie jour après jour, me confirmant que je suis bien chez moi, que rien n'a changé. 

Le moteur se coupe, la voiture stoppe sa course devant notre domicile après un adroit créneau dont ma mère a acquis, après de multiples essais, une grande dextérité pour l'exercice. Les plantations en fleurs habillent élégamment la clôture, j’hume le parfum délicat de ces petites clochettes blanches comme pour prendre un dernier élan de courage avant de pousser le portillon et de gravir les quelques marches qui mènent à la porte. Cette maison de village à la devanture blanche, même si elle est la jumelle exacte de ses deux sœurs, qui l'encadre, symbolise mon refuge, celui qui stoppe les moqueries infantiles du collège, celui qui me préserve de la cruauté de ce monde, celui qui me protège des ténèbres. À cette pensée, je ne peux pas réfréner un frisson d'angoisse. 

Osera-t-elle me persécuter chez moi ? m'interroge-je

Me sentant de nouveau vulnérable après avoir quitté le cocon rassurant et protecteur qui m’emmitouflait plus tôt. Je m'efforce de sourire pour que rien ne transparaisse de mon inquiétude et de cette tension funeste qui m’affaisse les épaules.

Je soupire fortement en passant le seuil d’entrée de la bâtisse que je franchis à pas rapide comme pour fuir l’oppression de cette chose malfaisante. La chaleur de mon foyer, l’odeur de mon chez moi, m’enlacent pour m’apporter le réconfort dont j’ai besoin. Je me sens revigorée, comme lavée de l’impureté qui m’engluait dans les ténèbres. Mon regard triomphant, plein de confiance et de détermination, se pose sur la porte. La créature m’observe arborant un sourire sournois et cynique sur les lèvres. Mon esprit combatif se renforce de plus belle à cette provocation.

Non, je ne suis pas à toi. Je vais me battre pour mon amie, pour cet enfant et cette créature aux cheveux blancs qui m’attendent et croient en moi plus que tout. J’irai les sauver ! pensé-je.

Une énergie nouvelle m'envahit, je la sens monter en moi comme une vague de résistance, je fixe intensément ce monstre qui a lu mes pensées, son sourire s’estompe laissant place à une grimace d’agacement et de rage. Je me sens forte capable de le maîtriser. 

— Disparaît ! murmuré-je 

La porte se ferme violemment, interdisant à cette chose de rentrer, la clouant à sa place comme une bête dans sa cage à la vue de tous, réduite à sa plus basse condition. Ainsi muselée, elle me laisse en paix. Cette victoire me galvanise, je retire comme à mon habitude mes chaussures en fredonnant le dernier air du chant que nous avions écouté en voiture. 

— Qui a fermé la porte ? intervient mon père pétrifié dans les escaliers en se massant les épaules après avoir porté et couché mon frère. 

Ses prunelles grises se voilent de peur. Je sens son angoisse monter à mesure que la réponse tarde. Son inquiétude me parvient comme une fragrance alléchante. Je l'observe avec insistance, je veux jouer avec lui. Cette force nouvelle me rend plus provocatrice, plus prédatrice que victime. 

— Le vent, lui réponds-je sur un ton hautain en posant sur lui un regard suffisant et moqueur.

Il s'élance alors vers moi pour me  corriger, pour comprendre ce sourire qu'il n'a jamais vu sur mon visage, pour comprendre pourquoi je me moque ouvertement de lui. Il me saisit par les bras en mettant son visage à mon niveau. Je ricane face à son comportement, ce qui l'énerve un peu plus, alors il renforce sa poigne sur mes bras. Je le fixe avec aplomb, un regard de prédateur se plante dans ses yeux furibonds. 

— Qu'est-ce que… Qu'as-tu fait à tes yeux ? bégaye-t-il en me lâchant et en reculant de quelques pas. 

Je me tourne machinalement vers le miroir pour percevoir ce qui déstabilise autant mon père. Mes pupilles sont tellement dilatées que je ne perçois plus mon iris brun autour. Il n’y a que ces deux billes sombres et terrifiantes. 

— Je ne sais pas, lui murmuré-je inquiète en me touchant le visage et en cliquant plusieurs fois des yeux.

Le stress m’envahit, cette puissance naissante en moi disparaît à mesure que cette boule grossit dans mon sein. Se sentant impuissant, mon père vient à mes côtés pour me prendre dans ses bras.

— Ça va aller, ma chérie, me réconforte-t-il en me caressant les cheveux.

Les battements de son cœur tambourinent contre ma joue, me laissant entrevoir son trouble. Cependant, je décide de n’écouter que ce doux son qui témoigne de la vie. Cette berceuse vitale ne tarde pas à agir. Elle m’apaise et me rassure, alors que mon père renforce encore plus son étreinte en murmurant des mots bienveillants.

— Qu’est-ce qui se passe ? intervient ma mère qui était à la cuisine en train de ranger les dernières vives qui ont subsisté en cette fin de vacances.

Elle soupire en nous trouvant enlacés l’un à l'autre dans le hall, suspectant un abus de calinerie de mon père. Elle nous rejoint les mains sur les hanches avec un air blasé sur le visage, prête à houspiller mon père. Elle comprit rapidement que son premier jugement était erroné en voyant une larme couler le long de la joue de l’homme qui me couve contre lui. Son pas s’accélère, elle pose sa main sur son épaule pour lui signifier sa présence. Il lui répond par une œillade triste, son stress augmente. Les bras de mon père se délient, me laissant voir le visage inquiet de ma mère qui analyse mon visage.

— Ça va, ma puce, me demande-t-elle avec ce timbre maternel doux et rassurant à la fois.

— Mes yeux, maman, lui réponds-je à la limite du sanglot.

Elle plonge alors ses prunelles noisettes dans les miennes. Son examen s’achève rapidement par une incompréhension de sa part. Elle nous observe avec curiosité. Mon père s’aventure de nouveau dans une observation plus poussée de mon iris.

— Il n’y a plus rien, chuchote-t-il à son tour.

Je me tourne vivement vers le miroir pour constater comme eux que tout est revenu à la normale. Une larme rougeoyante coule le long de ma joue sans que mes parents ne s'affolent derrière moi alors qu’ils m’observent dans le miroir. Je comprends que je suis encore la seule à voir ce spectacle lugubre. Mon père explique à ma mère le motif de son angoisse en me demandant de temps en temps de confirmer ces dires.

Qu’est-ce qui cloche chez moi ? Qu’est-ce qu’ils m’ont fait ? pensé-je en contemplant cette larme d'hémoglobine couler le long de ma peau, me laissant sentir toutes les sensations de son passage avant de mourir sur le bord de mon visage.

— Je pense que nous avons besoin d’une bonne nuit de sommeil, conclut ma mère quelque peu troublée par notre récit.

Après un chaleureux câlin de mes parents pour me souhaiter une bonne nuit, je regagne ma chambre avec pour compagne ma valise que je délaisse dans un coin de ma chambre avant de me jeter sur mon lit avec la mélancolie de mes souvenirs. Je relis mon journal intime qui gît sur mon lit en réalisant que plus rien ne sera comme avant, que quelque chose en moi a changé, que la Stéphanie innocente et naïve est morte avec Marie dans ce souterrain. 

Que suis-je devenue ? songé-je en repensant à l’incident de tout à l’heure avec mon père.

Un monstre, que se serait-il passé si je n'avais pas eu peur, si j’avais laissé cette énergie m’envahir en entier, aurais-je pu m’en prendre à une personne que j’aime ? continué-je à me torturer mentalement.

Une montée d’adrénaline me contraint de me relever d’un bond de mon lit. Les mains sur la tête, je tente de chasser ses idées noires en faisant les cent pas. Je tente vainement de retrouver une sérénité qui me semble si lointaine, inaccessible pour le monstre que je suis devenue. Je m’assois sur le rebord de ma fenêtre comme pour chercher ce réconfort auprès de la reine de la nuit drapée dans ce voile obscur scintillant de milliers de corps célestes. Mon jardin baignant dans sa douce clarté, je perçois une ombre qui se rapproche de moi en bougeant étrangement. Ce n’est pas un être humain, ni un animal. Non, c’est encore cette chose qui, avec une extrême agilité, escalade la façade de ma maison pour me faire face.

— Tu es le pire des monstres, me crache-t-il au visage avant de me broyer les tympans avec son rire immonde. 

Cet être surnaturel m'agrippe malgré que la fenêtre soit close. Son étreinte me fait mal. Profitant de mes mouvements confus pour me débattre, elle pénètre dans mon refuge, dans ce lieu de paix. Mes espoirs de pouvoir trouver le repos, ma victoire de tout à l'heure brisés en mille morceaux au son des railleries rauques de cette créature qui, comme les nuits précédentes, me tourmente sans cesse, me réduisant à cet état de poupée de chiffon vide et sans vie. 

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