Chapitre 14 Réécriture : Un Long Chemin Vers La Maison
Mon regard perdu sur le paysage qui défile ne me réjouit plus. La nouvelle de mon retour à la maison ne me procure aucune satisfaction. La joie de revoir mes amis ne m'habitue plus. La seule chose que je ressens c'est le vide, une indifférence à tout et à rien. Après une batterie d'examens, mon séjour à l'hôpital prend fin. Le va et vient des infirmières et des médecins m'occupe le jour, mais la nuit, seule dans ce silencieux établissement, il me tourmente, inlassablement il me prive de mes rêves.
Le bourreau de mon cauchemar, ce monstre qui étripait mon amie, cette chose qui torturait le médecin à chacune de ses visites, me hante. Ses traits semblables aux miens mutent au fur et à mesure qu'il dévore goulument chacune de mes émotions. Ses yeux entièrement noirs reflètent les ténèbres dans lesquels sa bouche carnassière aux crocs affûtés comme des rasoirs souhaite me plonger pour se repaître de mon âme. Je reste jour après jour en tête à tête avec cette abomination, je me recroqueville pour chasser sa présence, subissant ses railleries ponctuées par son rire atroce. Mon corps réagit instantanément comme pour me bercer, il actionne ce balancement frénétique d'avant en arrière. Même en dehors de cette prison, je reproduis instinctivement les réflexes et postures de ma détention.
Dans le véhicule, le silence règne en maître. Mon frère dort la bouche ouverte laissant échapper de temps en temps un petit râle. Mon père conduit en me jetant quelques coup d'œil dans le rétroviseur. Ma mère contemple le paysage, un voile de tristesse ternit son doux visage.
Je m'enferme dans un mutisme, pour assister impuissante aux facéties ignobles de mon indésirable compagnon d'infortune. Je frémis d'effroi en sentant sa main, aux griffes acérées, jouer avec mes cheveux, assis à mes côtés, je tente désespérément de détourner mon regard de lui. Son reflet dans la vitre du véhicule me nargue, il hume mon parfum se délectant de la peur qui émane de chaque pores de ma peau. Je retiens ma respiration quand sa monstrueuse langue me lèche délicatement la joue. Il observe avec un sourire narquois l'emprise qu'il a sur mon être, tel un félin jouant avec sa proie, il se languit de m’assener le coup de grâce qui sera le début de son festin.
Je prie, au plus profond de moi, baissant la tête pour éviter que quelqu'un soit témoin du mouvement de mes lèvres.
— Ça ne sert plus à rien, tu es à moi maintenant, me murmure-t-il au creux de l'oreille avec sa voix rauque.
Sa main me caresse la joue, son souffle s'immisce dans mon cou, sa tête collée à la mienne. Je ne peux pas répondre, je ne peux pas me débattre. Il continue de m’enlacer son odeur de chair moisie et de soufre me répugne, sa voix démoniaque me révulse. Ma seule réponse sont les psaumes de mes prières que je récite en boucle.
— Que tu le veuilles ou non, tu seras bientôt à moi, continue-t-il avec une pointe d'agacement dans la voix.
Ses traits rieurs se ferment, mon entêtement l'irrite, comme une punition pour ma désobéissance, il balade sur mon bras ses griffes laissant derrière leurs passages de grandes traînées de sang et de chair laminée. La douleur s'engouffre dans mes veines me rappelant les moments de souffrances de la cérémonie. Je serre les dents pour retenir ma lamentation, même si les sursauts de mon corps trahissent mon tremblement.
Je l'ignore, me noyant dans la contemplation bleuté de la voûte céleste, immergeant mon esprit de louange à Dieu et à ses Saints. Il bouillonne à mes côtés, me transperçant de toutes parts de ses griffes. Il tente une dernière provocation en pénétrant ses crocs souillés dans mon cou s’abreuvant de mon sang. Je ne succombe pas à cette torture, je l’endure, car s'est ma punition pour avoir conduit mon amie à sa perte, ce monstre n'est que la personnification de ma culpabilité et ses châtiments je les mérite pour avoir corrompu l'agneau de pureté, pour avoir condamner au martyre une âme innocente.
Il perd patience bavant ce liquide noirâtre qui se repend sur mon épaule. Il me griffe le visage en me forçant à le regarder, mais je lutte. La rage déborde de cet être maudit qui ne peut plus la contenir, alors il hurle son cri perçant dans mon oreille. Le vacarme vagabonde jusqu'au plus profond de mon appareil auditif qui explose à l'écoute de ce chant horrible. Le supplice est tel qu’une larme échappe à mon contrôle. Je sens sa course le long de ma joue, elle roule me procurant une sensation de caresse quand elle s'aventure dans mon cou. Un frisson m’électrise me donnant l'impression qu'une main salvatrice me guide en me réconfortant pour me sortir de ce cauchemar. Je m'éveille alors à la réalité comme les autres fois je n'ai aucune plaies, aucune trace de sang.
La voiture ralentit, nous nous dirigeons vers une aire d'autoroute. Mon père après plusieurs kilomètres de concentration sur sa conduite à besoin d'une pause. Le changement de rythme réveille mon petit frère, le bercement de la vitesse n'a plus d'effet sur lui. Il s'étire bruyamment en me jetant timidement un rapide coup d'œil en coin.
— Bien dormi, la marmotte ? le questionne ma mère.
Ils entament une discussion en espérant me voir interagir avec eux, mais je m’emmitoufle dans mon mutisme sans leur porter une quelconque attention. Cependant, je discerne en eux une pointe de déception. Leurs regards tristes glissent sur moi comme une goutte d'eau sur une vitre, ne laissant rien derrière elle. Leur mots et leurs rires sont pour moi une lointaine mélodie que je perçois à peine. Mes pupilles perdues dans l'immensité azuréenne cherchent un signe d’une rédemption salvatrice qui me permettrait de réduire à néant cette abomination.
Dès que le véhicule s’immobilise, j'ouvre la porte pour m'extraire de cette atmosphère qui m'oppresse. Le vent m'accueille, me caressant la peau avec une douceur maternelle, séchant la larme qui ne peut terminer sa course, effaçant ainsi le vestige de mon combat. La luminosité de cette fin d’après-midi estivale apporte une touche de dorure à la végétation présente. Cette teinte apaise les plaies béantes de mon âme. Comme une seconde famille avec laquelle je ne peux pas dissimuler la vérité, les éléments prennent soin de mon être.
— Viens ma puce, on va se dégourdir les jambes, me sollicite mon père en me prenant par la main.
Je le suis sans un mot, sans aucun geste de rébellion, tel une poupée de chiffon. Cette brève communion avec ce tout me redonne l'envie d'être avec lui et ma famille. Son sourire inonde mon cœur de bienveillance. Je me noie volontiers dans son regard rempli d'amour. La chaleur qui émane de sa main enveloppant la mienne, la douceur de l'étreinte de ma mère qui me serre contre elle en me tenant par l'épaule finissent de me laver de la souillure qui m'étouffait plus tôt.
— On est là ma chérie avec toi, on ne te quitte plus, me murmure-t-elle.
Je lui témoigne ma gratitude en me blottissant contre elle.
Ils sont là, je ne suis plus seule, ils sont mon pilier, pensé-je en me serrant contre elle un sourire timide se frayant un chemin sur mes lèvres.
N’en faisant qu'à sa tête, mon frère nous démontre qu'il a bien compris ce que signifie “se dégourdir les jambes”. Au sommet de sa forme après sa sieste, nous n’entendons que lui dans la boutique de l'aire de repos où mon père tente de siroter calmement son café.
Deçi-delà, entre les allées d'étagère garnies de livres, de jouets et de divers objets à l'effigie de la ville que nous traversons, la bouille joueuse du garçonnet apparaît mettant en scène des objets plus insolites les uns que les autres. Son petit manège agir sur mon être blessé. Je ne peux plus retenir les commissures de mes lèvres de se lever, d'étirer ma bouche en sourire qui se transforme bien rapidement en un éclat de rire.
Comme ils m'ont manqué, constaté-je en riant à gorge déployée.
Le son mélodieux de ma joie redonne à ma mère sa gaieté. Un sourire timide s'incruste sur son visage qui lutte pour bloquer des larmes de soulagement. Mon père prend part à mon euphorie en m’accompagnant de son réconfortant gloussement grave.
Cette pause salvatrice terminée nous nous dirigeons de nouveau vers la voiture. Nos visages illuminés par nos retrouvailles tant espérées.
— Les enfants, nous allons faire plein de jeux. Je m'installe à l'arrière avec vous, vous êtes partants ! propose ma mère.
Je comprends rapidement que cette proposition est une de ses stratégies pour ne pas perdre le bénéfice des efforts de mon frère. Elle ne veut pas que je retourne dans mon mutisme. Elle va m’occuper l'esprit avec toutes sortes de distractions dont elle a le secret.
— Génial ! s'exclame mon frère pour exulter son approbation.
— Tu as remis une pièce dans la machine, constate mon père en rigolant de la danse de la joie que mon frère improvise sur le seuil de la boutique empêchant des touristes de profiter d'une pause bien méritée.
Une pointe d'inquiétude naît au plus profond de mon cœur en franchissant enfin les portes de la boutique de l'air d'autoroute.
Cette chose est-elle encore là cachée prête à me bondir dessus ? m'inquiété-je en serrant mes poings.
Percevant mon trouble, ma protectrice, celle sans qui je ne serais pas, me caresse délicatement la main en entrelaçant ses doigts aux miens. Ce geste anodin pour certain est pour moi chargé d'une énergie positive puissante et d'un amour inconditionnel.
Je ne suis pas seule, me revigoré-je la tête en la secouant de droite à gauche.
Je n'ai pas à subir tout cela, même Marie ne l'aurait pas permis je dois me battre et vivre pour elle, car je la porterai toujours dans mon cœur, elle sera là présente égoïstement jusqu'à ma mort.
C'est ainsi que déterminée à museler cette créature parasitaire je remonte à bord du véhicule qui me reconduit vers chez moi accompagné des gens que j'aime et qui me soutiennent.
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