Chapitre 13 Réécriture : Les Retrouvailles
En ouvrant mes paupières, je découvre que l'immensité azuréenne ne m'inonde plus de sa douce quiétude. Un plafond recouvert de dalles blanchâtres vieillissantes me sépare de la voûte céleste. Le silence plane autour de moi, seuls les bips des appareils médicaux auxquels je suis branchée résonnent dans la pièce.
Mon regard encore embrumé par le sommeil analyse les lieux. À travers la fenêtre, le soleil rayonne, réchauffant mon corps.
Cela m'avait tellement manqué de voir le jour, pensé-je
Les immeubles aux façades grisonnantes souillées par les traces noirâtres de la pollution tentant de se hisser vers les cieux pour profiter d'une bouffée d'air frais m'indiquent que je ne suis plus au camping, loin de la forêt, loin de la cathédrale, loin de ma prison. Seule dans cette chambre aux murs blancs dont un léger voile d'usure vient ternir la pureté de cette couleur. Mon regard ne s'attarde pas sur le mobilier succinct qui se résume à un fauteuil assorti à la pièce avec son assise trouée laissant à la vue de tous ses entrailles mousseuses. L'écran plat servant de télé, couvert d'une épaisse couche de poussière, témoigne de son inutilité, sans doute due à la disparition de sa télécommande.
L'ouverture de la porte me permet d'entrevoir un policier posté devant l'entrée de ma chambre.
Je suis en sécurité, pensé-je en reposant ma tête sur l'oreiller. Un sentiment de sérénité me submerge.
Cet enfer est définitivement derrière moi, songé-je en fermant les yeux.
Sans me poser la moindre question, un médecin m'ausculte. Comme un éclair qui me foudroie, les images de ma captivité remontent à la surface. Je retiens un gémissement qui, malgré mes efforts pour l'étouffer, est accueilli par l'oreille de mon visiteur.
- Comment vous sentez-vous ? m'interroge-t-il avec un ton bienveillant.
Cette bienveillance me surprend, cet homme qui m'adresse la parole me traite avec respect, me considérant comme un être humain et non comme un vulgaire animal. Le mal-être accumulé durant des jours ou des semaines s'écoule lentement sur ma joue, laissant une traînée humide derrière elle.
- Bien, réussis-je à articuler avec difficulté en retenant un sanglot.
Toute ma souffrance et ma détresse s'agglutinent dans ma gorge pour former une boule. Mon cœur se resserre, je fonds en larme, ne pouvant plus supporter le poids de mes souvenirs.
- C'est terminé, vous êtes en sécurité maintenant. Votre famille ne va pas tarder à arriver, me réconforte-t-il en posant sa main sur la mienne.
L'homme derrière ses lunettes m'adresse un regard doux encadré par des ridules d'expression. Un sourire se dessine sur ses lèvres, amplifiant son empathie. Je me détends enfin.
Cet homme est inoffensif, me rassuré-je.
Minutieusement, je l'analyse avec ses cheveux grisonnants voire blancs, lui continue de me sourire en contrôlant mon état de santé. Il installe avec précision son stéthoscope dans ses oreilles. Je le scrute, cherchant toujours à le juger, rapidement mon cerveau s'embrume, faisant apparaître le bourreau de mon cauchemar à côté de ce médecin.
Ce monstre, qui arbore fièrement mes traits, lui caresse la joue avec sa langue anormalement longue et difforme alors qu'il l'égorge lentement. Du sang giclant partout sur les murs de la chambre et sur les draps de mon lit. Je me tétanise en essayant de ne pas faire remarquer mon trouble. La créature m'observe droit dans les yeux avant de lâcher son rire démoniaque en léchant le sang de sa victime qui s'écoule le long de son bras.
Ce n'est pas la réalité, c'est une vision, une stupide vision. cherché-je à me convaincre en fermant les yeux et en me bouchant les oreilles avec les mains pour ne plus entendre ce son venu des Enfers.
Mon corps commençant inconsciemment un balancement frénétique d'avant en arrière. Le froid de l'outil du docteur me sort brutalement de cet horrible cauchemar. Un frisson me parcourt le dos quand il vérifie ma respiration avec son stéthoscope. Aux aguets, je sonde la pièce pour m'assurer de la disparition de la chose.
- Respirez fort, me demande-t-il.
Je m'exécute sur le champ, espérant au plus profond de mon conscient qu'il n'a pas remarqué que je viens d'avoir une hallucination. Je ne veux pas prolonger mon séjour ici, je veux rentrer chez moi, voir mes amis et ma famille.
- Très bien, je vais revenir quand tes parents seront là et nous discuterons de ton état de santé, me dit-il sur un ton calme.
J'acquiesce avec un hochement de tête pour lui signifier mon accord. L'homme à la chevelure argentée s'engouffre dans le couloir, puis disparaît, me laissant seule avec mes pensées. Le policier toujours stationné à la porte aventure un regard méfiant à mon égard avant que le panneau mobile ne termine sa course en se fermant.
Que m'ont-ils fait ? me répèté-je sans cesse dans ma tête en me recouchant.
Les yeux clos, je revois les scènes de la cérémonie morbide se jouer devant moi, comme un vieux disque rayé. Elles se répètent encore et encore pour me hanter, me rappelant à chaque instant ma culpabilité et mon angoisse. Les mots cruels et durs d'Enzo résonnent en écho dans ma tête, me transperçant le cœur comme un poignard finement aiguisé. Je l'imagine, lui et Tina ensemble, se moquant de Marie et moi, s'embrassant langoureusement à côté du cadavre encore chaud de mon amie. Ils me répugnent tellement qu'une grimace de dégoût se fige sur mon visage. La vitre de la fenêtre reflète ce sentiment qui me défigure, cette face qui me fixe me fait frémir en me rappelant ce monstre horrible de ma récente vision.
Le sommeil refusant de m'envelopper dans son étreinte soporifique, je me résigne à trouver une autre occupation pour éviter de plonger dans mon tumultueux inconscient. Je tente de me lever pour me rendre à la fenêtre, la contemplation de cette ville inconnue suffira à me distraire. Mes jambes engourdies se dérobent sous mon poids, me laissant juste le temps d'un réflexe pour me rattraper in extremis à la barrière de mon lit médicalisé. Une douleur de piqûre dans le creux de mon coude me fait tressaillir, liée à cette machine qui indique à chaque seconde mon pouls. Ainsi qu'à une perfusion qui m'injecte un liquide transparent, dont j'ignore l'utilité. Je me laisse bercer par les gouttes qui une à une tombent dans le tube en caoutchouc translucide pour venir diffuser ses bienfaits dans mon corps affaibli. La fenêtre m'étant inaccessible, je reste là assise sur le bord de mon lit.
Le spectacle du goutte à goutte m'apaise, me tranquillise, mes paupières deviennent lourdes et ma vue se floute. Je m'étends sur le matelas confortable quand je commence à m'assoupir enfin, n'ayant finalement qu'une idée de qui je souhaite voir dans mon rêve, mon jeune sauveur que je n'ai pas pu remercier la dernière fois, mais l'obscurité est la seule hôte qui m'accueille dans ce monde des songes.
Une agréable sensation sur ma joue et mon front me distrait de mon repos. Une main me caresse les cheveux, une berceuse comme un murmure me parvient au creux de l'oreille, un parfum familier et réconfortant m'enivre. La chaleur qui s'enroule autour de mon être et de mon âme me réchauffe. Comme un enfant dans le ventre de sa mère, je me recroqueville en position fœtale. Je soupire de soulagement, sombrant davantage dans le sommeil sous le regard bienveillant et protecteur de ma mère.
Je regrette, en rouvrant les yeux, de ne pas avoir vu le garçonnet. Je n'ai vu qu'une étendue sans fin d'obscurité. Mes pupilles émergeant de mon rêve, je les balade dans la pièce. Sans un mot, je découvre mon frère assis au bord de mon lit jouant à sa console. Mon père adossé au mur proche de la fenêtre, s'adonnant à l'unique activité possible dans cette pièce. Son regard rongé par l'inquiétude vagabonde au gré des rues de la cité qui s'étendent au pied du bâtiment. Le soleil de la fin d'après-midi illuminant quelques-unes de ses mèches de cheveux, en silence, je l'admire.
La vue de ses visages familiers m'emplit de joie. Il y a peu, dans la noirceur de ma prison, j'avais renoncé à les revoir, j'avais renoncé à partager avec eux ces moments tendres qui nous unissent les uns aux autres, j'avais renoncé à vivre à leur côté, j'avais renoncé à vivre tout simplement. Une larme témoigne du bonheur qui m'envahit, n'ayant plus qu'une envie que mon père me prenne dans ses bras pour me faire oublier tous mes horribles souvenirs, combler d'amour la solitude qui a creusé ses galeries dans tout mon être.
- Elle est réveillée, chuchote la dernière personne qui manque à mon cadre familial.
Je me redresse en affichant un sourire timide, surprenant mon frère qui lève la tête de son jeu. Mon père se précipite sur moi, donnant le signal pour un câlin collectif. Cette étreinte me nourrit, comblant le vide qui me ronge. Leurs échanges de regards transpirant de soulagement montrent le niveau d'inquiétude et de peur qu'ils ont ressenti. Des rires de joie émanent de notre accolade quand le médecin et le père de mon amie disparue entrent dans la pièce.
- Bonsoir, je suis le médecin qui suit votre fille depuis son admission, déclare le médecin en entrant.
- Bonsoir, bredouillent mes parents en se relevant rapidement.
Ma mère épongeant d'un revers de main les torrents qui ruissellent sur ses joues. Je ne l'avais encore jamais vu dans un tel état. Elle se laisse rarement submerger par ses émotions. Elle suit le docteur qui souhaite lui parler seul à seul, laissant sa place au père de Marie qui m'adresse un regard doux accompagné d'un sourire.
- Comment vas-tu, Stéphanie ? me questionne-t-il à son tour.
Je m'assois sur le bord de mon lit pour lui faire face, pour assumer les responsabilités de mes actes. Je veux lui dire la vérité, lui dire ce qu'ils nous ont fait subir. Lui seul en tant qu'inspecteur de police pourra les arrêter. J'ouvre la bouche pour m'empresser de lui avouer la sauvagerie dont nous avons été victimes, mais rien, aucun son ne sort de ma bouche. L'agacement se lit sur mon visage, des larmes de frustration coulent sur mes joues rougies. J'essaie encore et encore.
- Marie, elle est en vie, me demande-t-il
Je perçois dans sa voix un étranglement, signe d'une tension, une appréhension de ma réponse. Je baisse ma tête, mon corps se raidit. Je n'arrive qu'à faire un léger signe de tête avant de fondre en larme.
- Ça suffit, C'est trop tôt, elle est trop fatiguée, intervient mon père en me prenant dans ses bras pour me consoler.
Le père de ma défunte amie titube en reculant, les nouvelles de son enfant l'anéantissent. Il regagne la porte en pleurs.
Comment pouvait-il supporter la perte de sa fille ? pensé-je
Même si c'est un homme robuste au caractère fort qui ne perd jamais ses moyens. Il me regarde une dernière fois, je sais qu'il ne lâchera pas, qu'il reviendra me questionner, puis il disparaît dans le couloir, nous laissant entendre un cri de tristesse qui me déchire le cœur.
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