Chapitre 12 Réécriture : La Liberté ?

Dans ma course, je m’écorche les pieds sur les bouts de bois et les pierres qui jonchent le chemin que l'Homme a tracé à travers la végétation au fur et à mesure de ses incessants passages. Je me presse toujours pour échapper à mes ravisseurs. Je sais très bien que mon subterfuge ne fonctionnera pas indéfiniment, même avec la trappe fermée. Ils comprendront rapidement que je suis sortie de ces catacombes. La forêt m'accueille dans son écrin de verdure. Les rayons de soleil jouant à cache-cache à travers les feuillages fournis des vénérables végétaux dansent sur mon visage. La faune locale, malgré ma fuite bruyante et brusque, ne s'offusque pas. Les oiseaux continuent leur mélodieux chant qui me parvient sur un volume sonore plus intense, comme si la forêt elle-même veut m’aider à leur échapper. Ce sentiment me réconforte, mais ne me permet pas d’oublier qu’il y a quelques instants elle me retenait prisonnière dans son sous-sol. 
Comment un endroit si magnifique peut couver en son sein une telle abomination ? pensé-je en continuant ma course.

Je ralentis mon pas devant la cathédrale, la maison de Dieu, ma maison, je décide d'aller chercher de l’aide en ce lieu de culte. Cependant, au moment de passer le seuil du portail de l’enceinte de la divine bâtisse, mon corps se paralyse. Je ne peux pas regarder la sainte croix qui, grâce à l’astre Roi, pose son ombre sur mon être souillé. Je me cache le visage de mes bras pour ne pas la voir. Une chose en moi semble se débattre, refusant de recevoir l’aide du Seigneur. Une atroce douleur me foudroie le thorax, me contraignant à me mettre à genoux quand je tente de m'aventurer sur le gazon. Je me sens nauséeuse, mal à l’aise, indigne de cet endroit si pur. Je ne peux retenir une remontée de mon estomac qui se déverse sur la magnifique verdure du jardin, un liquide noir comme du charbon. À son contact, la flore fane et se meurt en disparaissant au premier coup de vent en poussière.
Que m'ont-ils fait ? songé-je en hurlant ma tristesse dans un cri perçant qui ressemble à celui d’une bête, non d’un monstre.

Je renonce à trouver asile dans la demeure du Seigneur, je pars en courant, continuant de fuir mes oppresseurs. La solitude m‘enveloppe de ses bras frêles et froids, il ne reste qu’un seul refuge : ma famille. Eux m’accepteront et m’aideront mieux que quiconque. Je m’élance avec un nouvel espoir dans le bois dense. Je m’égratigne les cuisses sur les buissons de ronce qui empiètent sur le passage, semblable à une sorcière qui cherche à retenir ses victimes avec ses ongles acérés en griffes meurtrières.

— Elle est là-bas ! entends-je au loin.

J’accélère le pas. Ils se rapprochent, comme je le prévoyais ; ils n’ont pas été dupés très longtemps. J’entends au loin leur voix, leur cri, toute l'adrénaline qui se répand en eux pour me capturer de nouveau. Leur pas résonne dans tout le bois, les oiseaux cessent leur chant, les cris des animaux se stoppent quand ils foulent à vive allure la terre de ce lieu. Ils se dispersent à travers les bois qu’ils connaissent mieux que moi. Je me presse, mon cœur commence un tambourinement que je ne connais que trop bien maintenant, j’ai peur, mais je dois continuer à fuir. Au loin, je perçois l’orée de la forêt. Je sais qu’elle débouche sur le camping, ils ne pourront pas continuer leur traque devant des personnes étrangères à leur machination.

Je ne peux pas empêcher la curiosité d'envahir mon esprit en regardant en arrière. Partout où mes yeux se posent, ils sont là, encapuchonnés dans leur longue cape noire avec leurs horribles masques. Sur ma droite, il y en a deux qui me coursent et sur ma gauche, il y en a un, je suis cernée, me contraignant encore à leur volonté en me laissant qu’une échappatoire : la fuite vers l’avant.

— Arrêtes-toi ! hurle la personne qui me suit.

Cette voix me donne la chair de poule, une rage monte en moi. Non, je ne lui obéirais pas, non, il ne me manipulera plus, je ne suis plus la docile jeune fille avec laquelle il a joué durant des semaines. Enzo, comment ose-t-il m’ordonner quoi que ce soit ? Son visage m'apparaît quand je jette une œillade au-dessus de mon épaule. Je lui réponds par un sourire narquois. Son visage surpris par ma réaction. Il comprend alors qu’il n’a plus d’emprise sur moi. Cette colère me rend plus rapide, je perçois que mes assaillants latéraux se rapprochent de plus en plus de leur cible alors que la sortie se profile devant moi. Ils sont si proches que l’un d’eux tend son bras pour me saisir, je l’esquive de peu. Un jeu commence, chacun sauf Enzo encore trop loin, tente de me saisir. Leurs estocades me parviennent en continu. Je suis à l'affût du moindre de leur geste, mais je dois aussi garder en vue mon objectif. Ma course se renforce, à quelques mètres, ma libération sera totale. Je mets toutes mes forces sur cette dernière ligne droite, la lumière se réverbant sur les allées de gravier blanc du camping. Les cris des enfants jouant au parc me parviennent. 
Nous y sommes ! exulté-je interieurement. 

Mon horizon s'assombrit, ma joie retombe comme un soufflé, l’homme qui m’a torturé durant leur minable cérémonie se tient entre la sortie et moi. Il fait obstacle à ma libération. J’entends alors les rires de ses compères qui me bloquent sur les côtés.

— Tu n’as plus le choix, tu dois te rendre, me prévient Enzo avec un ton triomphant.

Son avertissement éclairé m'agace, je n’ai plus aucune issue. Tel un faon encerclé par une meute de loups, je cherche une échappatoire à ma capture inévitable. Mon instinct de survie s’affole, je stoppe ma foulée, l’analyse de mon environnement ne laisse aucune possibilité. J’admire la cime des arbres, en enviant cet oiseau spectateur de ma traque prendre son envol. Mon immobilisme enveloppe de confiance mes agresseurs qui, précautionneusement, sur ordre de leur maître de cérémonie, s’avancent sur moi. Je profite d’un souffle de vent frais qui sèche ma peau en sueur, la sensation de fraîcheur me fait fermer les yeux. La situation est désespérée, une haine s’enracine dans mon cœur, l’injustice empoisonne mon cerveau qui refuse ce constat d'échec, la colère se dessine sur mon visage. 

J’observe avec détermination leur chef fier, je soutiens son regard que je devine à travers son masque. Cet homme fait un signe à ses acolytes de s'arrêter. Ces derniers obéissent, sauf Enzo qui me saisit par l’épaule pour me contraindre à me mettre à genou. Un ricanement sort de ma bouche, un rictus inhumain, un rire monstrueux. Mon visage se mue en un masque affreux de haine et de colère.
Comment ose-t-il me toucher ? pensé-je.

Sans laisser le temps au meneur de prévenir son disciple, je me retourne à mon tour. Ce rire comme seule réponse à son affront. Je m’empare de son poignet que je broie à une main. Je me délecte en voyant sa souffrance, je me nourris de ses cris de douleur, savourant ainsi sa peur qui voile ses pupilles avant de perdre connaissance. Son corps inerte ne mettant plus d’aucune distraction, je le lache négligemment. Les autres reculent, les rôles s’inversent, je deviens le prédateur et eux de vulgaires corbeaux faibles et fragiles. Je m’avance vers eux, ignorant leur maître que je veux contraindre à venir en aide à ses hommes de main. Ce dernier va à la rencontre d’Enzo pour constater son état.

— Attraper la vite, elle ne doit pas fuir, ordonne-t-il en prenant en charge l’adolescent inconscient avant de s'éloigner, puis de disparaître dans la végétation luxuriante de la forêt. 

D’autres arrivent en masse. Ils sont plus d’une dizaine à m'encercler de nouveau. Je m’impatiente, je m’énerve, je fulmine sur place, à quatre pattes, les muscles de mes jambes sous pression comme un prédateur affamé, je les jauge. Je cherche la peur en eux, je cherche celui qui sera le premier à succomber comme l’autre à mes coups. Je cherche celui qui, à cet instant précis, ce transit de peur. Je ressens un besoin de vengeance, pour Marie, pour les souffrances qu’ils m’ont infligées, pour les humiliations qu’ils m’ont faites. Je ris en comprenant que chacun d’eux est mort de trouille face à moi. Mon rire entre en écho avec les éléments qui m'entourent, donnant à ce moment une ambiance mystique et occulte, puis je me fige en fixant mon regard sur le plus faible et le moins corrompu d’entre eux. Un adolescent, je m’approche doucement pour le humer. Il ne bouge pas, sa respiration rapide traduit sa peur. Mon excitation est à son comble, mes yeux exorbités par les pulsions meurtrières qui couvent en moi.

— Tu as peur, lui murmuré-je avec une voix rauque qui n’est pas la mienne.

Le garçon ne me répond pas, il ignore mon rire en regardant ses pieds. Les sursauts de sa cage thoracique me laissent deviner qu'il pleure sous son masque. Une odeur âpre d’urine me monte au nez. Le gamin s’est fait dessus d’angoisse. Je ris alors de plus belle, mais ce n’est pas lui que je veux. Ce n’est d’ailleurs aucun d’eux, celui qui doit payer est parti inconscient, trop faible pour s’opposer à moi. Je me lasse de leur présence, ce jeu ne me divertit plus. Mon intérêt pour eux retombant, ils s’approchent au signal d'un de leurs camarades en formant un cercle concentrique. Je m’assois en les observant, ils mettent en place leur stratégie pathétique. Je me concentre en fermant les yeux, puisant au plus profond de mon être une puissance que j’ignorais jusque-là. Un cri puissant, un râle bestial, rempli d’une force dévastatrice sort de ma bouche. Ce son assourdissant les assomme tous instantanément.

Je reprends calmement mon chemin avec une démarche plus détendue, mais à bout de force. Je franchis l’orée du bois, le soleil m'éblouit sur quelques pas. 
Enfin mon objectif, enfin la liberté ! pensé-je glorieusement avant de m'écrouler sur les graviers blancs que j’avais tant espéré fouler. 

Mon regard perdu dans l'immensité azur des cieux, je souris.

— Merci, articulé-je dans un soupir. 

Un brouhaha lointain me tranquillise et m'apaise. La clarté de ce ciel immaculé plonge dans l'anonymat les personnes qui se penchent sur mon être pitoyablement affalé au sol dégageant une fragrance pestilentielle d'excrément et de crasse. Dans un dernier soupir de soulagement, je sombre dans mon inconscient, persuadée que ce cauchemar arrive à son terme.

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