Chapitre 10 Réécriture : La Noirceur S'immisce Pour Dévorer Sa Proie

Dans ma somnolence, le visage de Marie mutilée me hante. Elle me fait face, sans une parole, sans un regard, son visage aux paupières closes et aux lèvres muselées s'impose à moi comme seul rappel de ma culpabilité. Elle est l'œil accusateur qui, comparable à celui de Caïn, m'accable sans cesse. Mon corps lourd et ankylosé, je reste affalée sur le sol, tel un animal faisant le mort en espérant que son assaillant cesse ses tortures. La douleur, ma seule compagne en ce lieu, se propage dans tout mon être. Tel un torrent de lave, elle envahit mes veines à chaque battement de mon cœur. Me faisant oublier, l'odeur âpre de chair en décomposition mêlée à celle de mes déjections qui règne dans la pièce.

Dans la pénombre menottée par des chaînes, je ne souhaite qu'une chose : que cela prenne fin, que la mort, moi aussi, vienne me chercher pour me conduire vers ce royaume doux et apaisant auprès de ma chère amie. Cette triste pensée m'arrache une larme qui perle le long de ma joue égratignée par le sol qui me sert de lit depuis la fin de cette cérémonie.

Dans cette mélancolie, je pense à mes parents.
Que font-ils ? Ils doivent-être inquiets ? Les reverrai-je ?
Je ne pense pas revoir un jour leurs visages aimants. Je n'espère plus pouvoir me blottir dans leurs bras pour me réconforter. Tous les souvenirs de ma vie paisible me reviennent douloureusement en mémoire.

Par mégarde, je perds le cheminement de mes pensées, emportée par le sommeil. Je ne lutte pas, me laissant lentement sombrer dans le monde des rêves, espérant faire de doux songes. Ces rares moments de repos me permettent de m'échapper, parfois un bref instant, de cet enfer. Derrière mes yeux fermés se joue un spectacle glaçant et épouvantable.

Marie m'apparaît inerte sur une table en inox. Deux maudits corbeaux perchés sur le rebord de ce meuble l'observent. Un bruit de lame sciant un objet ébranle mes tympans, me donnant la chair de poule. La table s'inonde de ce liquide rougeâtre visqueux dont l'odeur ferreuse me monte au nez. Je me précipite aussitôt aux côtés de mon amie pour la réveiller. Mes supplications et le fait que je la secoue encore et encore restent sans effet.

- Malheureusement, pour elle, c'est déjà fini, résonnent les paroles de la créature comme un écho dans ma tête.

Dans un élan de désarroi, je la prends dans mes bras, soulevant ainsi sa tête et ses épaules, la serrant de toutes mes forces, je me blottis contre elle. Je pleure à grands sanglots en sentant le corps froid de ma sœur de cœur contre moi. En voyant la rigidité cadavérique de son corps, la tristesse envahit mon être, j'hurle mon désespoir.
Je veux la voir sourire, je veux qu'elle me raconte ses petites péripéties du collège, je veux encore vivre de nouvelles expériences avec elle, je veux continuer à découvrir la vie avec ses précieux conseils, pensé-je.

Le son de l'outil tranchant persiste dans sa macabre symphonie, attirant mon attention. Tout en tenant Marie, je relève la tête vers son bourreau masqué. L'objet ressort de la chair de mon amie en répandant des petits copeaux de peau et d'os de ça de là sur le reste de son corps. L'hémoglobine qui subsiste dans sa carcasse gicle sur l'immonde inconnu qui l'éviscère sans ménagement. De surprise, je la lâche en faisant un pas de recul. Au milieu de mes larmes, une grimace de dégoût se dessine sur mon visage. Le bourreau enfonce sa main dans les entrailles de sa victime qu'il semble remuer avec force, puis plus rien, un silence s'installe ; il ressort sa main aux doigts acérés de griffes et son avant-bras de la dépouille de la jeune fille. Il tient fermement le cœur battant de ma sœur.

Une sueur froide accompagnée d'un frisson me parcourt l'échine. Mes jambes tremblantes ne me soutiennent presque plus, j'agrippe la table en plongeant mes mains dans le sang de ma douce amie. Chaque battement de cet organe provoque en moi une vive douleur enveloppée d'un sentiment de culpabilité. Mon palpitant à son tour s'accélère et se comprime dans ma poitrine. L'inconnu relève un peu son masque en portant l'organe vital de Marie à ses lèvres pour croquer dedans à pleine dent, tel un prédateur se délectant de la meilleure partie de sa victime. Ma fidèle camarade jusque-là inerte réagit, son corps tremble puis convulse.

- Tout ça, c'est ta faute, hurle-t-elle en se relevant et en agrippant mon poignet.

- Non, riposté-je en pleurs, horrifiée de voir mon amie avec ce regard haineux.

- Regarde bien, crie-t-elle en pointant son bourreau du doigt.

J'ose une œillade vers la personne se tenant face à moi, complètement paralysée par la peur de découvrir qui se cache derrière ce maudit masque. Lentement, comme pour prolonger mon angoisse, l'objet qui dissimule l'identité de la bête se soulève. Mes yeux s'écarquillent à chaque centimètre, je tombe au sol quand, là devant moi, la personne dévorant les entrailles de ma douce Marie n'est autre que moi. Mon visage déformé par la colère déchiquète violemment le cœur de la personne que j'affectionne tant. Un rire effrayant sort de sa bouche.

Un seau d'eau glacée m'arrache à ce cauchemar. Malgré le froid qui me mord la chair, je ne maugre pas, je n'exprime aucun mécontentement, bien au contraire. Le silence habituel de cette cave laisse place à des pas qui viennent dans ma direction. Mon visiteur indélicat me contraint à relever ma tête en me saisissant par ma tignasse. Un gémissement franchit mes lèvres, en guise de témoignage de ma douleur.

- Tu vas fermer ta putain de gueule, me crache Enzo en me fixant droit dans les yeux.

Son agacement me laisse penser que mon sommeil a été agité. Son visage toujours déformé par la haine et le dégoût ne me surprend plus. Enfin le voilà, sa première visite depuis le début de ce tourment.

- Pourquoi vous nous avez fait ça ? osé-je le questionner.

Il me lâche sans précaution, mon corps trop faible pour réagir, je m'écrase au sol. Il s'accroupit pour m'observer plus attentivement.

- Tu es minable, dire que tu as gobé si facilement le sketch qu'on vous a servi, c'est pathétique, continue-t-il sur un ton amusé.

Il éclate de rire. Je l'observe en me relevant péniblement pour lui faire face. Je dois comprendre le motif de tout ça, il y a bien une raison.

- Pourquoi nous faire subir ça, il n'y avait pas besoin d'une telle mise en scène, enchaîné-je en essayant de garder mon calme.

Son regard si froid et méprisant change, une pointe d'excitation apparaît dans les pupilles brunes de mon interlocuteur. Je réalise que face à moi se tient fièrement le véritable cerveau de cette mascarade. Il affiche un sourire triomphant, fier de lui et de ses machinations.

- Pour m'amuser avec mes proies, rien de plus, avoue-t-il fièrement.

Je découvre tristement un côté manipulateur et dangereux de la personne qui se tient face à moi. Comment peut-on agir ainsi ? pensé-je.

- Je dois être franc avec toi, au début j'ai cru que tu ne tomberais pas dans le panneau, du coup il a fallu que je te fasse pitié, donc j'ai joué ma carte du fils battu, continue-t-il d'un air hautain.

Je ne le coupe pas, je le laisse se confesser. Je l'écoute attentivement en comprenant enfin pourquoi mon instinct m'alertait ainsi. Il m'a berné depuis le début. Il a joué avec mes sentiments comme les autres.

- Voyant que vous y croyiez, je me suis pris au jeu. Je me suis dis que si j'arrivais à te faire éprouver des sentiments pour moi, ce serait plus drôle encore, explique-t-il en finissant par un rire narquois.

- Que Dieu te pardonne ta folie, murmuré-je.

Mes mots le révulsent, il m'attrape par le col de ma tunique. Les traits de son visage se tendent, ses sourcils se froncent. Un sentiment de colère monte en lui. Je sens ses mains tremblantes contre ma poitrine.

- Ton Dieu n'existe pas, ouvre les yeux. Il n'aurait pas laissé deux de ses cul-bénis se faire massacrer, conclut-il avec hargne.

Sa mâchoire se sert, il est si près que son souffle haineux me frôle la peau.
Pourquoi ma croyance en Dieu le dérange-t-il autant ?
Je ne réponds pas à sa provocation, je ferme les yeux pour ne plus être témoin de cette haine.

- Ton Dieu vous a abandonnés, toi et ta copine, rajoute-t-il en me lâchant.

Il se relève rapidement, sans plus de considération, il part. Je l'observe s'éloigner puis disparaître, l'image de Marie assise dans un coin de la pièce, silencieuse spectatrice, me nargue encore.

- Toi aussi, tu penses qu'il nous a abandonnés, susurré-je en me rallongeant au sol.

Je soupire en constatant l'absence de réponse de la représentation mentale de ma chère amie. Je rampe jusqu'au mur le plus proche pour m'y adosser sans ménagement. Mon regard fixe dans le vide, ne pensant à plus rien, mon esprit se liquéfiant, abandonnant ici tout espoir.

Les bruits lointains de mes ravisseurs ne me parviennent plus. Je ne réagis pas quand ces lugubres personnages de noirs vêtus viennent pour s'assurer que mon état de santé ne se dégrade pas. Ils m'auscultent avec minutie, ne me laissant voir que leur horrible masque. Je me mure dans ma torpeur quand ils viennent me nourrir avec cette bouillie de viande crue que j'ingurgite, sans réfléchir, pour étancher une sensation de faim qui me broie l'estomac. Comme un puits sans fond, je me repais de cette nourriture qui m'aurait rebuté.

Mon être lentement se meurt, mes émotions s'étiolent, mes pensées s'assombrissent. Je m'enfonce insidieusement dans les ténèbres, oubliant mes joies et mes souvenirs. Je deviens une coquille vide, observant un point fixe, oubliant presque de respirer. L'image de Marie s'estompe avec le temps dont je n'ai plus aucune notion. Mon corps tout entier n'est plus qu'une enveloppe douloureuse, la sensation de brûlure qui émane de chaque pore de ma peau me laisse indifférente. Je gîs inerte au milieu de mes excréments, comme un animal à l'abattoir n'attend que la mort.

Les va-et-vient de mes tortionnaires s'accentuent comme les venues d'Enzo qui me contemple de loin, le regard toujours aussi froid. Je ne les entends pas, ils parlent entre eux, me questionnent, mais j'ignore leurs requêtes, ayant à peine la force de leur porter un regard absent. Derrière ses yeux vides, tout devient de plus en plus obscur. Je m'enfonce inexorablement, sans lutter, dans un océan d'obscurité où les bruits cèdent leur place à un silence morne et macabre. Je coule ainsi en position fœtale. J'ai froid, si froid.

- Ne le laisse pas te dévorer ! entends-je.

Cette voix qui semble sortie de nulle part résonne dans ma tête. Elle m'est familière et réconfortante. Dans cet enfer, il y a enfin quelqu'un qui me tend la main. Je réunis toute la force qu'il me reste pour entreouvrir un œil pour m'assurer que cette petite voix enfantine n'est pas le fruit de mon imagination.

- Réveille-toi vite ! Prends ma main, continue mon interlocuteur.

C'est lui, ce ne peut être que lui dans un endroit si vide et glacial. Je veux le voir, je veux plonger mes yeux tristes dans ses yeux verts remplis d'espoir et de confiance. Je veux moi aussi à nouveau croire en lui. Cette volonté me donne le second souffle qu'il me manquait jusque-là. Mes paupières si lourdes s'allègent et s'ouvrent pour me permettre de contempler le visage de l'enfant de mes visions.

- Tu es avec nous maintenant, me dit-il joyeusement en m'enlaçant tendrement.

Je soupire profondément, des larmes coulent le long de mes joues. Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe, mais je profite de sentir ce petit corps frêle se blottir contre le mien. Cette étreinte fait remonter en moi mes émotions perdues. Mon âme doucement se réchauffe, je le serre à mon tout contre moi. Je suis enivrée par un amour inconditionnel indescriptible, je veux être à ses côtés, je veux le guider et le conduire vers la lumière d'un monde qu'il espère tant.

- Lève-toi et suis-moi, on sort de cet endroit, me murmure-t-il.

- Pourquoi tu m'aides, je ne le mérite pas à cause de moi... Elle est morte, marmonné-je au milieu du torrent de larmes qui ruisselle sur mes joues.

Il me caresse la tête puis pose délicatement son front sur le mien. Ses caresses sur mes épaules me soulagent peu à peu de ma douleur.

- Parce que tu es la personne la plus chère à mon cœur, me confesse-t-il en rougissant.

Ses paroles me touchent involontairement, mon corps se raidit, lui aussi ressent cette étrange proximité qui nous lie depuis notre première rencontre. Je l'observe avec tendresse en passant à mon tour ma main le long de son visage. Je lui dépose affectueusement un baiser sur sa petite joue toute froide. Il rougit avant de s'éloigner et de me saisir par le bras.

- Dépêchez-vous, ordonne alors une voix familière qui me ravit beaucoup moins.

Cette chose est là aussi, pourquoi ? Les ténèbres dans lesquelles je flotte s'éclairent, je refais surface dans cette pièce lugubre. Mes fers à la mâchoire carnassière ouverte gisent au sol.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top