4
- Oui, merci Oscar, posez ça sur mon bureau.
Célesta attrape le dossier que son collègue vient de lui apporter et ouvre le document. Elle parcourt lentement les pages des yeux, tentant encore de déchiffrer les mots en suédois, avant de soupirer. Elle se penche vers sa collègue, lui demandant de l'aider à traduire les mots qu'elle ne comprend pas encore.
Même si elle a bien progressé dans l'apprentissage de la langue depuis son arrivée, six mois auparavant, il y a encore certains mots avec lesquels elle a du mal, un type de vocabulaire qu'elle ne maîtrise pas encore vraiment. Mais bon, quand on lui fait la remarque que son accent est étrange, elle répond que c'est parce qu'elle vient d'arriver. Et puis surtout, elle a encore le temps de parfaire sa maîtrise !
Son premier emploi ne lui a pas convenu du tout. Elle travaillait dans un cabinet d'avocats, et elle s'est rapidement rendue compte que l'ambiance n'était pas du tout la même que là d'où elle venait et que - pire encore - on la rejetait car elle n'était pas suédoise. Elle avait démissionné au bout d'un mois à peine.
Grâce à sa formation, assez rare en Suède, elle avait rapidement retrouvé un travail dans une autre entreprise, plus petite cette fois, mais aussi plus chaleureuse. Ses tâches sont relativement simples, mais elle s'amuse, et est bien payée. C'est l'essentiel pour elle.
Au bout de quelques heures supplémentaires de travail, elle finit par s'étirer, faisant rouler les muscles contractés de ses épaules. Ce soir, elle compte sortir avec ses collègues pour fêter leur dernière grosse affaire, qui devrait rapporter beaucoup à l'entreprise et augmenter leurs salaires à tous. Ce genre de sorties est une nouvelle pour elle, puisqu'elle ne s'était jamais vraiment intégrée auprès de ses collègues auparavant, ne cherchant pas à se faire des amis dans un environnement qu'elle n'aimait pas. Et puis, il faut aussi dire que, encore maintenant, elle n'arrive plus à faire confiance aux autres.
Décidément, sa nouvelle vie lui convient bel et bien. Certes, il fait encore froid, et l'hiver a été vraiment très rude, mais elle a réussi à s'adapter aux conditions. Tout cela lui plaît. Partir a été le meilleur choix qu'elle ait fait de toute sa vie. Même s'il lui arrive parfois de regretter sa décision, il lui suffit de manipuler avec douceur le collier qu'elle porte toujours accroché autour du cou. C'était un cadeau de sa mère lorsqu'elle était encore enfant, un héritage familial. Maintenant, Célesta fait fi de toutes ces valeurs traditionnelles, et cherche plutôt à se rappeler le poids de son ancienne vie. Retourner en arrière n'est plus une option.
La jeune femme attrape son sac à main ainsi que son épais manteau, prête à affronter le froid qui l'attend dehors. Une bonne chose qu'elle ne soit pas frileuse... Elle rejoint ses collègues dans l'entrée, patientant jusqu'à ce que les retardataires arrivent à leur tour. Bizarrement, elle se sent impatiente à l'idée de cette soirée de détente. C'est l'occasion pour elle de se rapprocher des autres, de former des liens qu'elle n'a pu que détruire dans sa vie d'avant.
Finalement, tout le monde finit par arriver, et la petite équipe se met en route vers le bar. Ils ne sont que huit, ceux qui travaillent dans le même service.
- Il n'y a que l'élite ! s'exclame Oscar pour plaisanter.
Célesta rit doucement puis pousse la porte du bar. Une vague de chaleur l'assaillit alors, la faisant exaler. À côté d'elle, les lunettes de Sophie se couvrent de buée. Ils s'installent sur une table près du comptoir au milieu des rires et des éclats de voix.
Elle n'est jamais venue ici et n'a jamais vraiment parlé avec ces personnes, mais Célesta se sent presque immédiatement à son aise ici. Ils ont une manière d'être si chaleureuse et accueillante qu'elle ne peut que se sentir la bienvenue.
La conversation va bon train. Ils commandent tous quelque chose à boire - des bières, choix suivi par la jeune femme même si elle n'aime pas trop l'alcool - ainsi que de quoi grignoter. Lorsque la serveuse (qu'elle doit s'empêcher de dévisager trop ouvertement, après tout on ne sait jamais) s'approche pour les servir, elle en profite pour observer autour d'elle.
Il fait chaud dans le bar, une chaleur qui aurait pu être étouffante mais qui, à la place, rappelle un foyer, une maison, une étreinte enfouie sous les souvenirs. Les bruits résonnent sous le plafond haut, et les rires s'entendent de loin. Les murs sont faits de pierres épaisses. La lumière est légèrement tamisée, ce qui n'empêche personne de voir les visages de leurs voisins. Le comptoir est situé au fond à droite, et quelques tables comblent la salle principale. Toutes sont occupées par des habitués. Dans le mur du fond se découpe une porte, conduisant certainement vers les cuisines. C'est un endroit agréable, tenu par un patron au coeur d'or. Célesta a l'impression d'avoir vécu ici depuis toujours, de n'avoir connu qu'un seul lieu de vie. Elle n'est pas sûre de trouver cela bon signe, après réflexion.
La soirée passe très vite, personne ne voit le temps courir devant eux. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il est déjà minuit passé, et les camarades se séparent sur le trottoir devant le bar, se saluant. Ils ne se reverront que lundi : demain est vendredi, et de la neige est annoncée.
Célesta se laisse tomber sur la banquette arrière d'un taxi, les joues rouges et chaudes. Légèrement ivre, elle avait encore assez de présence d'esprit pour ne pas rentrer en conduisant chez elle. Après avoir manqué de s'endormir, le conducteur la dépose devant chez elle. Un peu chancelante, elle déverrouille la porte et abandonne son manteau dans l'entrée.
Un miaulement ténu l'accueille. Son visage s'adoucit presque aussitôt, et sa voix grimpe légèrement.
- Oh mon chaton, tu m'as attendue ?
Une petite boule de poils s'étire sur le dossier du canapé, avant d'en bondir pour venir à sa rencontre. La jeune femme se baisse pour le ramasser et apporter son visage en face du sien. Une petite créature se blottit entre ses doigts et ouvre grand sa bouche pour bailler, révélant une haleine de croquettes, ce qui la fait rire.
- Allez, viens Wilson, on va se coucher.
Elle le garde entre ses mains pour gagner la chambre, où il saute sur le lit. Il se cale presque aussitôt sur l'oreiller en ronronnant. Malheureusement pour lui, il devra se déplacer d'ici quelques minutes, pour qu'elle puisse se coucher à son tour.
Après être rapidement passée par la salle de bain, elle revient dans la chambre et se glisse avec délice entre les draps. Au-delà des rideaux encore entrouverts, elle aperçoit les premiers flocons de neige se mettre à tomber, probablement les derniers de la saison. Elle éteint la lumière puis s'endort avec un sourire, songeant au paysage plein de magie qui l'attendra à son réveil.
***
Célesta est tirée de son lit douillet par un chaton très en colère et très affamé. La petite créature plante ses griffes acérées dans la peau de la jeune femme, ce qui l'a tirée du sommeil. Grommelant, elle finit par le chasser d'un revers de la main, mais il ne se laisse pas décourager et repart à l'assaut de son oreiller.
Elle pousse un soupir à fendre l'âme avant de repousser les couvertures, frissonnant alors que l'air froid s'enveloppe autour d'elle. Elle a été poussée à faire installer un système de chauffage au cours de l'hiver afin de ne pas mourir congelée pendant la nuit, mais il arrive que cela ne soit pas suffisant. Il faut dire qu'elle vit seule, et que la chaleur produite par son corps n'est pas suffisante pour réchauffer la bâtisse.
Elle enfile une paire de chaussons doux ainsi qu'une robe de chambre, et attrape Wilson, avant de le mettre dans sa large poche. La bestiole, habituée à voyager ainsi, se contente de laisser son museau dépasser du rebord. Elle passe par la cuisine et dépose le chaton devant une gamelle, qu'elle s'empresse de remplir. Elle se laisse attendrir un instant par ses ronronnements, avant de se ressaisir et de se préparer une tasse de café.
Dehors, il a beaucoup neigé. Les arbres autour de la maison sont courbés par le poids du manteau blanc. Pas étonnant qu'il fasse aussi froid ! Elle attrape son mug et passe dans le salon, laissant la porte entrouverte afin que Wilson ne soit pas coincé.
L'horloge au mur lui indique qu'il est déjà huit heure. Elle a une légère migraine à cause de sa consommation d'alcool de la veille, mais elle ne compte pas laisser ça l'empêcher d'accomplir son travail. Elle s'installe dans le canapé et ouvre le dossier qu'elle a emporté hier en partant afin de pouvoir continuer à travailler dessus. Elle ne sort de sa concentration qu'à quatorze heures, réalisant que le temps a passé beaucoup plus vite que ce qu'elle ne pensait.
La réalisation de sa solitude s'abat sur elle soudainement, comme un aigle fondant sur sa proie. Elle a toujours été seule, mais jamais à ce point. Elle n'a personne à qui raconter ses journées, personne à qui raconter des anecdotes amusantes, personne pour prendre soin d'elle, personne avec qui partager sa vie. Elle est seule, d'une solitude qu'elle n'aurait jamais cru possible. Et il est temps que cela change.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top