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Le regard errant sur le mobilier décorant sa chambre, Célesta hésite. La jeune femme a la main droite sur la poignée de la porte, le poing gauche fermement resserré sur une valise. Les yeux dans le vague, elle contemple le monde qu'elle s'apprête à laisser derrière elle.
Dans cette chambre se trouvent les souvenirs des vingt-neuf années passées sur cette planète. Elle qui n'a jamais quitté sa ville natale s'apprête à faire un grand bond. Elle sent l'impatience de laisser cette vie derrière elle qui parcourt ses veines, elle sent son cœur battre plus vite en entendant l'appel de l'aventure et de la liberté. Pourtant, pour une raison qu'elle ignore, elle doute encore de sa décision.
Une fois la porte du petit appartement refermée, elle ne pourra plus revenir en arrière, elle le sait. Ce qu'elle va faire va changer sa vie entière. Célesta compte laisser derrière elle tout ce qu'elle a un jour connu, oublier un passé qui lui pèse chaque jour un peu plus, rejeter cette vie dont elle n'a jamais voulu. Alors pourquoi hésiter ? Elle a toujours rêvé de reprendre le contrôle et de vivre enfin comme elle l'entendait et, lorsqu'elle se décide enfin à passer à l'action, elle se met à se poser de nouvelles questions.
Se forçant à se calmer, elle prend une grande inspiration, puis une deuxième. Elle ouvre une dernière fois ses paupières, révélant de larges iris marrons, et esquisse un sourire en coin. Pourtant, un observateur extérieur qui se serait trouvé là par hasard aurait vite réalisé que ce n'était pas de la joie qui émanait d'elle. Non, c'était du regret d'avoir dû en arriver là, de la culpabilité face à ce qu'elle s'apprête à faire, de la déception devant ce qu'elle abandonne entre les meubles. Pourtant, si elle voulait être libre et heureuse, elle n'avait pas d'autre choix. Après un dernier soupir, Célesta referme la porte.
Le claquement sec résonne dans le couloir vide. De peur de changer d'avis, la petite femme se met soudainement en mouvement avec la légèreté d'un chat. Traînant sa valise derrière elle, ses pieds frappant sans un bruit la moquette collée au sol, elle s'arrête devant un ascenseur dont la peinture couleur rouille s'écaille. Une odeur nauséabonde s'élevait de la cage d'ascenseur devant elle et elle plissa le nez, se demandant si quelque locataire ivre mort n'avait pas encore uriné dedans.
Après un nouvel instant d'hésitation, elle opte pour prendre les escaliers. Après tout, elle n'est qu'au deuxième étage, et sa valise n'est pas très lourde. Elle attrape donc l'objet à bras-le-corps et s'engage dans les marches, titubant légèrement sur les semelles épaisses de ses chaussures. Une fois en bas, elle chasse une mèche humide de transpiration de son front, avant d'exhaler d'un air décidé.
Traînant toujours sa valise derrière elle, dont une roue qui commence à se désaxer produit un claquement irritant, elle prend la direction du lobby de l'immeuble. Debout sur la pointe des pieds, elle jette un regard inquisiteur à l'intérieur de la petite pièce, sans trouver trace du concierge. Elle hausse les épaules : elle n'avait qu'à laisser la clé sur son bureau avec une petite note, tous les autres détails avaient déjà été réglés.
Une fois sa besogne effectuée, elle farfouille dans son sac et en tire triomphalement un porte-clé surchargé de petites breloques en plastique insignifiantes, au milieu desquelles se perd une clé de voiture. Cette dernière ouvre une vieille carcasse de ferraille, dont la couleur n'est définitivement plus son vert originel. C'est à se demander comment une telle machine peut encore rouler, tant elle est encrassée et cabossée de tous côtés. L'intérieur n'est pas vraiment mieux : les banquettes sont tachées, et couvertes d'objets en tout genre, certains non-identifiables.
Célesta referme le coffre sur sa petite valise, avant de monter à l'avant. Elle jette un coup d'œil à sa montre, et une expression de panique crispe brièvement ses traits fins. Elle s'empresse de mettre le contact, et un bruit de mauvais augure s'échappe de l'arrière de la machine. Cela ne semble pas l'alerter, puisqu'elle s'échappe du parking surchargé sur les chapeaux de roue.
La jeune femme roulait depuis déjà près d'une demi-heure lorsqu'elle semble enfin décider que son trajet avait été assez long. Il fait nuit maintenant, même s'il n'est pas très tard. Le vent souffle dehors, chassant quelques feuilles mortes ici et là. Elle se gare sur un parking étonnamment vide, mais ne sors pas tout de suite de l'habitacle. A la place, elle laisse sa tête retomber sur le volant, appréciant son contact froid sur son front aussi chaud que le moteur de sa voiture. Elle y est. Un frisson d'excitation la parcourt en anticipation. Elle se relève, carre les épaules et sors de la voiture. Sa nouvelle vie est sur le point de commencer.
Après avoir extirpé sa valise du coffre, elle tire un morceau de papier de sa poche. Dessus est inscrite une phrase, « pour qui voudra », d'une écriture brouillonne comme celle d'un enfant. Elle le pose délicatement sous un essuie-glace, avant d'accrocher les clés de la voitures (dénuées de leurs porte-clés de pacotille) à côté. Sans un regard en arrière, elle quitte le parking en direction de la grande structure de verre et de béton à l'autre bout.
Alors qu'elle se rapproche de l'édifice, les voitures se font de plus en plus nombreuses. Célesta croise même quelques personnes, qui la dévisagent en entendant le bruit émis par la roue de sa valise. Frissonnant, elle resserre les pans de son écharpe autour de son cou, tentant de se protéger du vent d'automne, qui avait toujours aimé jouer dans les interstices de ses vêtements.
Son bras commence à s'ankyloser alors que la valise au tissu délavé semble lui peser de plus en plus lourd. Elle commence à regretter de s'être garée aussi loin de l'entrée... Malgré le fait qu'elle avance d'un bon pas, elle n'a pas plus l'impression de se rapprocher, ce qui la frustre légèrement. Grommelant dans sa barbe inexistante, elle finit par atteindre son but. Un seul coup d'œil au panneau suffit à l'orienter dans la bonne direction.
Sa marche rapide reprend, vers une direction connue d'elle seule. Elle ne s'arrête que pour apercevoir, de temps en temps, l'heure affichée sur le cadran de sa montre, avant de reprendre sa course d'un rythme encore plus effréné. Elle ne peut pas se permettre d'arriver en retard. Elle ne le peut pas. Pas après tout ce temps, tous ces efforts, tout ce qu'elle a fait pour en arriver là. Si elle n'y arrivait pas à temps... elle ne s'en relèvera probablement pas.
***
Après presque une heure d'attente, assise sur un siège incroyablement inconfortable au milieu d'un courant d'air, Célesta se lève enfin. C'est son tour. Il ne lui reste plus qu'un petit sac à main, qui semble plein à craquer de bricoles, la moitié achetées quelques minutes auparavant pour espérer s'occuper lors du trajet.
Dans la file d'attente -- seulement quelques minutes qui la séparaient de la liberté ! -- elle farfouille au fond de son sac, fronçant les sourcils. Enfin, elle trouve ce qu'elle cherchait : une liste, perdue au milieu d'une large quantité d'autres notes au contenu aléatoire. Presque toutes les cases sont cochées : il semblerait que les lettres soient envoyées, que la voiture ait été laissée, que l'appartement ait été vidé, que les cadeaux ait été offerts, que les meubles soient vendus, et ainsi de suite.
Pourtant, une seule case reste vide. Le pouce de Célesta erre au-dessus du papier, hésitant à la cocher. Pardonner. Peut-elle considérer cette tâche comme accomplie ? Alors qu'elle repense aux vingt-neuf années de sa vie, qui ne lui ont même pas semblé lui appartenir, elle réalise que non. Elle ne peut pas pardonner. Pas encore, pas maintenant, pas tout de suite, c'est trop tôt, c'est trop frais. La tristesse est encore trop présente, les souvenirs trop récents. Célesta range la liste dans sa poche, et avance dans la file.
C'est finalement son tour. Nerveuse, elle tend son sésame vers son futur. Enfin, les choses vont changer. Elle va pouvoir tout recommencer, vivre à sa guise, pour la première fois. Elle reprendra le contrôle de sa vie, elle pourra enfin être heureuse comme elle l'entend. Des larmes d'émotions viennent chatouiller ses paupières, menaçant dangereusement de rouler sur ses joues à force d'émotions trop longtemps retenues. Elle cligne rapidement des paupières afin de les en déloger, et esquisse un pas. Sa nouvelle vie l'attend.
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