Chapitre 6 ~
Je m'étais caché sous les bennes à ordures qui se trouvaient en face de chez moi. Pour une fois j'étais soulagé que les réverbères ne fonctionnent pas, sinon mes poursuivants n'auraient eu aucun mal à me découvrir. Mais dans l'obscurité la plus totale, impossible de discerner ma silhouette tremblante. Je n'entendais pratiquement plus les bruits de pas des gens qui m'avaient suivi. Seul de temps en temps un martèlement sur le bitume. Il n'y avait plus qu'à attendre qu'ils abandonnent et je serai sauvé.
La situation était très étrange. J'avais couru plus vite, mais leurs halètements et leurs râles gutturaux ne m'avaient pas quitté. Après cela la situation avait radicalement changé. Je me demandais vraiment qui pouvaient être ces gens ou ces créatures étranges. Je n'étais pas certain de ce qui m'avait suivi cette nuit. Les créatures de la Communauté étaient inoffensives. Très rarement quelques unes d'entre elles devenaient affreusement cruelles et sanguinaires, prête à commettre les pires atrocités. Mais c'étaient des cas exceptionnels. Et ces crimes étaient punis par le Draíoch, le gouvernement surnaturel.
Je me retrouvais le cœur battant, à l'abri des poubelles, dont le contenu vidé par le chien errant avait été en parti ramassé pendant la journée.
En parlant de lui, il était là lui aussi ... Enfin ce sale clebs puant c'était moi !
Mince ! Ce n'était pas possible. Qu'est-ce que j'avais bien pu faire pour me retrouver dans un état pareil. J'étais vraiment pitoyable.
Mon corps était recouvert d'une fourrure sable voire caramel entremêlée et très sale. Mes yeux sombres scrutaient le moindre recoin autour de moi. Je frissonnais la queue entre les jambes, incapable de reprendre le contrôle sur mes émotions. J'étais bien trop terrorisé. Ce qui expliquait sûrement le comment du pourquoi de cette transformation soudaine. La fatigue ajoutée au cocktail d'émotions intenses étaient responsable de cette perte de contrôle. Quelle veine !
Mes excuses. Ce n'est sûrement pas très clair pour vous autres ordinaires. Je suis un Morpheur, une créature qui peut prendre l'apparence de n'importe quel être vivant à sa guise. En théorie, car je suis loin de maitriser parfaitement cette capacité.
Moi qui souhaitais me transformer en Berger Allemand ou en beau Labrador, c'était un échec patent. J'avais seulement pu imiter l'apparence grossière d'un cabot miteux. Je m'en contentais puisque j'étais hors de danger grâce à cela. Ce qu'il fallait retenir était que j'étais très différent des autres êtres humains. En effet, notre monde peuplé d'hommes très simples dans ce qu'ils étaient, était également habité par des créatures magiques ou des monstres. Cela dépendait essentiellement du point de vue, l'un plus flatteur que l'autre.
Caché parmi les hommes résidaient des fées, des elfes, des morpheurs, des sorcières, des mages et la liste était encore longue. Toutes les créatures qui avaient su s'adapter aux exigences humaines avaient survécu. On m'avait bien raconté des légendes sur les centaures mi-hommes mi-chevaux, ou les sirènes, mais ces créatures trop singulières avaient été exterminées tout comme les dodos parce que les hommes ne les respectaient pas assez. Les créatures avaient compris la leçon et s'étaient très vite adaptées au mode de vie humain. Maintenant nous nous fondions tous très bien dans la population. Tout ce beau monde était très particulier mais pas forcément une menace pour les hommes puisque le gouvernement secret de la Communauté veillait à ce que chacun respecte la loi de non violence envers les ordinaires. Ceux-ci ne l'entendaient pas de la même oreille. La différence gêne. Et c'était bien le cas de figure ici.
Mes parents avaient du mal à expliquer ma naissance, tout deux étaient « normaux », mais moi non. Bien sûr le médecin leur avait fait remarquer la particularité de mon regard argenté à ma naissance, tous avaient cru à une mutation génétique bien particulière. Mais il y avait eu un incident qui avait tout remis en cause. Á peine quatre mois après ma naissance, j'avais morphé. Butler, le chaton noir et blanc que mes parents avaient adopté juste après mon arrivé, s'était retrouvé avec un frère jumeau. Peter et Sylvie avaient retrouvé deux chats en train de jouer, et les vêtements de leur nourrisson vide et en bazar sur le sol. Pris de panique, ils étaient sur le point d'appeler la police pour signaler ma disparition, lorsqu'un bébé éclatant de rire repris forme sous leurs yeux. Un choc extrême pour mes parents. On pouvait comprendre, ce n'était pas tous les enfants qui se transformaient en animaux lorsqu'ils en voyaient un. Ils n'y avaient pas cru, mais ils avaient été témoin de la reprise de ma forme humaine. Il n'y avait plus de doute: Sylvie avait accouché d'un monstre ! Je voyais les choses comme ça. Un couple parfaitement heureux, normal, attendait un enfant lui aussi humain comme eux. Seulement la jeune femme avait donné vie à un garçon qui pouvait changer d'apparence en un clin d'œil. Un monstre.
La nouvelle était arrivée comme une grande surprise, mais très rapidement ils avaient accepté ce que j'étais, et s'étaient jurés que quoiqu'il arrive, ils voulaient que je vive comme tous les autres. Ils ne souhaitaient surtout pas que je sois traité différemment à cause de ce que j'étais. Mes parents m'avaient accepté pour ce que j'étais, et ils me démontraient tous les jours qu'ils n'avaient aucun regrets, vraiment aucun à ne pas m'avoir abandonné au fond d'un bois à la naissance pour être mangé par les loups. Je leur avais souvent dit qu'ils auraient été bien plus heureux s'ils avaient fait ce choix là. Butler n'avait pas eu la même chance que moi. Pour éviter que je me retransforme en sa compagnie, il avait été donné à mes cousins qui vivaient à la campagne.
Voilà le monstre que j'étais. Un être vivant qui changeait d'apparence aussi facilement qu'il changeait de vêtements.
C'était théorique, les morpheurs y arrivaient très bien, mais n'étant pas né dans une famille de créatures personne n'avait pu m'apprendre jusqu'à tard.
Au début, j'étais seul face à mes pouvoirs. Je ne les comprenais pas. Lors d'émotions très fortes je ne pouvais pas m'empêcher de me transformer, ce qui m'avait causé des soucis durant l'enfance. Ma mère avait passé plusieurs années à la maison pour me faire l'école et éviter les problèmes.
Lorsque le Draíoch, une organisation gouvernant le monde Surnaturel, avait eu vent de mon existence atypique, ils avaient aussitôt pris des mesures pour réduire le risque que je ne dévoile le monde surnaturel aux autres humains. De mes huit ans à mes douze un, un professeur spécialisé était venu m'enseigner le BABA de la métamorphose. Je maitrisais les bases, mais il m'arrivait de perdre le contrôle lorsque j'étais sous pression. J'avais du mal à prendre la forme que je désirais, souvent cela se résultait en quelque chose d'imparfait, que je n'avais pas voulu.
Les créatures se passaient des caractéristiques de génération en génération. Ils vivaient entourés d'une famille aux mêmes pouvoirs. Je n'y connaissais pas grand chose car je me coupais radicalement de la Communauté de surnaturelle, bien différente de la vie d'adolescente tranquille que je coulais ici. Être différent, ce n'était pas facile à vivre. Surtout pendant les années adolescentes ! Il suffisait de voir comment les groupes d'ados "cool" traitaient ceux qu'ils jugeaient moins "cool" parce qu'ils n'écoutaient pas la même musique, ne s'habillaient pas en suivant la mode, ou simplement étaient physiquement moins attrayant. C'était un enfer à vivre, alors autant se démarquer le moins possible.
Le Draíoch ne l'avait pas entendu de la même oreille, toutefois ils étaient obligés de respecter mon choix du moment que je me pliais au Code. Un document que j'avais signé à l'âge de huit ans, et dont le souvenir est très flou. Il donne entre autre, des règles de conduites assez simple sur le fait de garder son identité secrète aux yeux des ordinaires. Je n'entrais jamais en contact avec les membres du Draíoch, sauf pour les bilans annuels que je devais faire pour vérifier que je maitrisais toujours les bases de mon pouvoir.
Il y avait beaucoup d'interrogations autour de ma naissance encore aujourd'hui. Peter, mon père était chercheur. Il avait discrètement pu mener des recherches au sujet des créatures, en particulier des morpheurs. Il avait conclu que lui et sa femme devaient avoir des ancêtres surnaturels, mais qui au cours du temps, à force de se mêler aux humains et d'avoir des enfants avec eux, avaient perdu le pouvoir de leur patrimoine génétique. Il ne s'exprimait plus. Moi, parait-il, que j'avais eu la chance d'avoir les bons gènes de ma mère et les bons gènes de mon père. Une chance ? Tout était question du point de vue une fois de plus. Pour moi c'était plutôt une malédiction. J'avais hérité du don caché de mes ancêtres ce qui était fantastique d'après mes parents. La deuxième chose que mon père avait découverte était que les morpheurs étaient d'après lui, un dérivé du lycanthrope. Il pensait que ces créatures avaient évolué afin de mieux pouvoir s'adapter aux situations qu'ils auraient à affronter, et le résultat de leur évolution était qu'ils pouvaient à présent se transformer non seulement en loup, mais en tout plein d'autres êtres vivants. Une hypothèse intéressante, qui permettait peut-être d'expliquer pourquoi on ne trouvait pas de loup-garou parmi les créatures. Ils avaient peut-être eux aussi été exterminés par les hommes. Personne ne pouvait vraiment savoir.
****
Plusieurs heures s'écoulèrent avant que le cabot maigrelet que j'étais se décide à sortir de sa cachette. Craintivement je filai en direction du haut portail que je longeai, tout en continuant le long du muret qui gardait notre jardin. Je me faufilai entre un fin interstice entre le mur et la clôture en bois du jardin voisin. J'avais comme l'impression que le saut pour parvenir à rentrer chez moi serait impossible. Je devais faire tout juste quarante-cinq centimètres au garrot. Il fallait essayer, ici ce serait assez discret pour que personne ne me remarque.
En vitesse je ressortis de ce chemin étroit pour retourner sous les poubelles. J'y avais laissé mes affaires. De ma course effrénée, il ne restait que ma veste, mon T-shirt et mes chaussettes. Le reste avait été perdu dans la précipitation. J'avais espoir de retrouver mes affaires un peu plus tard, lorsque je prendrai le chemin du lycée. Je ferai le détour pour les chercher. En attendant, je cachai bien mes habits sous le container pour les récupérer dès que j'aurais repris forme humaine.
Après un coup d'œil attentif à la rue, je courus jusqu'au mur. J'avais réussi à prendre un peu d'élan. L'impulsion fut plus puissante que je le pensais. Ce chien était plutôt doué. Sa détente était parfaite. Je parvins sans problème à me hisser au sommet du mur. Impressionnant ! Malgré son apparence grossière ce sale chien était habile de ses pattes, la vie dure qu'il menait avait dû lui apprendre à se servir de ses capacités au mieux. Peut-être que si j'avais moi même était obligé de frôler la mort régulièrement je maitriserai mon pouvoir...
Une fois dans le jardin, je trottinais dans la pénombre jusqu'à la porte. Personne. La rue déserte. Le quartier silencieux. Impossible d'ouvrir la porte comme ça. Comment faire ? Peut-être que je passerais par la petite fenêtre du garage. C'était la seule solution qu'il me restait car aboyer en espérant que l'un de mes parents m'ouvre n'était pas jouable. Tout d'abord cela attirerait l'attention, ce serait étrange pour nos voisins de voir ma famille avec un chien un matin, puis l'après-midi plus rien. Ensuite, mes parents s'inquièteraient pour moi parce que je n'étais pas rentré de la nuit, or s'y j'arrivais à me glisser en douce dans la maison ce serait du ni vu ni connu.
Je fis le tour de la maison pour arriver près du garage. La fenêtre coulissante n'était pas large, seulement soixante centimètres de long pour trente centimètres de large. Elle se trouvait haut sur le mur.
Je levai ma tête de chien vers le passage avant de la baisser de nouveau vers le mur. Heureusement que mon père n'aimait pas ranger ses affaires. Des cartons remplis de ses magazines de chercheur et autres bricoles se trouvaient juste sous la fenêtre. Ma mère l'avait plusieurs fois sermonné pour qu'il s'en débarrasse mais il avait simplement tout sorti du garage et posé là, le temps de « trouver le créneau dans son emploi du temps pour aller à la déchèterie ». J'avais de la chance, quelques bonds me suffiraient à gravir le monticule, et puis je serai à la bonne hauteur pour tenter d'ouvrir la fenêtre avec mes pattes malhabile de chien. Ne pas avoir de pouces opposables, ça limitait tout de même le nombre de choses qu'on pouvaient faire avec ses mains ou pattes dans mon cas.
Je repris un peu d'élan avant de me hisser au sommet des cartons, c'était toujours aussi facile avec ce corps agile. J'étais arrivé face à la fenêtre que je fixai le carreau plein de poussière. Mon père ne semblait pas avoir verrouillé le loquet, il oubliait souvent mais personne n'aurait l'idée de tenter de rentrer par là. Je grattai le verre sale avec ma patte, cela crissa légèrement. Je recommençai jusqu'à ce qu'un petit coulissement se produise. Encore une ou deux fois et je pourrais m'y glisser.
Une ouverture de quelques centimètres me permit d'y glisser mon museau pour ouvrir complètement la fenêtre, j'avais réussi à me "creuser" un passage jusqu'à la maison.
Le sol se trouvait plutôt loin mais il était dégagé donc je pouvais me permettre un saut moyennement contrôlé. Dans une dernière impulsion je me jetai vers le par terre. J'étais enfin de retour dans la sécurité de mon foyer, et ce juste à temps car mes poils de chien disparaissaient pour que la peau habituelle retrouve sa place sur mon corps en pleine métamorphose. J'avais eu de la chance sur un grand nombre de chose cette nuit, j'espérais que cela n'annonçait pas une catastrophe bien plus grande à venir.
J
e me retrouvais de nouveau humain comme si rien de tout cela ne s'était produit, quoique j'étais dénudé donc ce que j'avais vécu ne pouvait pas être un rêve, je m'étais réellement transformé durant une poursuite effrayante à travers la ville lugubre nocturne. La tension retombée, je sombrai dans un profond sommeil. Mon corps entier était douloureux. Je pouvais bien me permettre une petite pause.
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