Chapitre 26 :

Warning : Level 3

**********


            Je constatais à l'expression de Sam qu'il était captivé par mon histoire. Raconter mon passé n'était jamais une chose aisée car je ne voulais pas inspirer la pitié. Ce qui s'était passé il y avait maintenant douze ans m'affectait toujours, mais plus comme avant. J'avais changé. Une personne émotionnellement « normale » aurait pu avoir du mal à s'en remettre, moi je vivais avec cette évidence même. Ma famille était morte tuée par des hommes bêtes. C'était comme ça. Je survivais seule, j'y arrivais.

 Le garçon pendu à mes lèvres attendait que je lui parle à présent de l'Organisation dont il ne savait rien. C'était peut-être encore plus difficile pour moi à raconter parce que je savais qu'au moindre faux pas l'Organisation n'hésiterait pas à me couper la tête même si j'étais un pion bien utile. J'inspirai doucement, puisant la force au fond de moi pour poursuivre. Ma main avait retrouvé la chaleur de Rico, drôle de nom choisi par Sam pour le chien de mon tortionnaire.

« Des gens s'aventuraient dans le campement, soulevant certains cadavres pour les observer avant de secouer la tête.

-Nous arrivons trop tard ... quel gâchis ! marmonna l'un deux qui venait de reposer un enfant au sol.

Je les observais furtivement, évitant qu'ils ne puissent m'apercevoir. Je savais de quoi ces personnes étaient capable, comme les autres ils me tueraient à la moindre occasion. Ma rage et ma rancœur parlaient à la place de ma raison, et je caressai ma flèche du bout des doigts. Avec souplesse je l'enclenchais prête à tirer sur les gens qui se promenaient là comme dans un centre touristique macabre. Cependant quand la colère parle pour soi, on fait des erreurs, et je cognais maladroitement un récipient derrière moi. 

Le bruit métallique attira le regard des hommes habillés en noir. Je me recroquevillai sur moi-même pour leur échapper et disparaître, abandonnant jusqu'à mon arc, le seul souvenir de l'ancienne moi. Deux d'entre eux se rapprochaient de plus en plus près, je ne pourrais pas les fuir, je devais les affronter. Alors prenant mon courage à deux mains je sortis ma lame de chasseuse de son fourreau et préparais mon offensive. Lorsque l'ombre d'un des types apparut, je me projetai dans sa direction frappant sa poitrine. 

L'acte était vain, il dévia mon coup me faisant lâcher mon arme aussi sec, il tomba tout de même, mon élan l'emportant dans la chute. Je ne m'avouais pas vaincu pour autant, mes mains tambourinaient contre son torse, frappant encore et encore. Un seul instinct : survivre ! Son coéquipier ne tarda pas à saisir mes bras et empêcher ma colère de s'exprimer. L'autre homme était toujours accoudé sur le sol, les yeux ronds de surprise de se faire attaquer par une petite fille aux allures d'anges.

-Une...une gamine...mais...je croyais qu'ils étaient tous morts...

-Et bien ça t'apprendra à assumer des choses ! crachai-je férocement.

-Eh ! Du calme petite, me réprimanda le grand brun qui me tenait fermement.

Il me souleva telle une plume et me déposa à côté de son camarade.

-Allez-y tuez moi comme vous avez fait pour le reste de ma famille ! déclarai-je venimeuse.

Il ne me restait plus qu'à mourir maintenant, tout était fini. Je ne vengerais jamais ma famille. L'homme au sol se releva et épousseta son débardeur noir qui moulait son corps musclé, un corps de militaire. Il échangea un regard avec son collègue avant de reposer son attention sur moi.

-Écoute petite, nous ne sommes pas là pour tuer des elfes, nous avions été envoyé pour empêcher ce massacre, mais visiblement les informations que nous avons eues ont été récoltées trop tard. Je suis désolé.

Je restais impassible face à ces gens, dont à présent d'autres personnes rejoignaient les rangs. Un groupe de six hommes habillés à l'identique se formait autour de moi. Tous étaient curieux de découvrir la petite sauvageonne, seule survivante du génocide. Je plissai les yeux froidement avant de me laisser tomber sur le sol, resserrant mes genoux entre mes bras.

-Laissez moi tranquille maintenant ! Les humains ont fait suffisamment de mal comme ça !

J'avais simplement envie qu'on m'abandonne de nouveau à la solitude, la seule chose qui me restait depuis le décès de mon peuple. Ce n'était visiblement pas dans leurs projets. J'entendais des murmures qu'ils s'échangeaient tandis que je gardais mon front appuyé contre mes jambes, fuyant dans mon monde intérieur que personne n'avait encore saccagé.

-Nous ne pouvons pas te laisser là. Tu as un sacré tempérament, mais que vas-tu faire toute seule ici ? Qui va s'occuper de toi ? demanda l'homme que j'avais renversé.

-Je peux me débrouiller, je n'ai besoin de personne !

Il passa sa main derrière sa nuque et me regarda d'un air gêné.

-Écoute, tu es une vraie guerrière, je pense que l'on peut te proposer quelque chose d'intéressant. Que penserais-tu de rejoindre une organisation de l'État qui a pour but de protéger les créatures contre les humains stupides ? Tu voudrais en faire parti ?

En quelques secondes il avait à présent toute mon attention. Cette idée m'enchantait déjà. Une organisation de l'État qui me permettrait d'accomplir ma vengeance sans risquer de poursuites judiciaires. Elles couvriraient mes actes sanguinaires ? Bien qu'à sept ans, un enfant est loin de comprendre les implications, je savais qu'entre les options qui s'offraient à moi, cette dernière était de loin la meilleure. Bien devant : croupir parmi les cadavres ici !

-Je veux venir avec vous ! déclarai-je sans hésitation.

Les hommes se concertèrent avant que mon interlocuteur ne hoche la tête.

-Très bien, bienvenue dans l'Organisation petite ! Je suis Érik, enchanté !

Il me serra la main d'une poigne ferme que je lui retournai. C'était mon engagement auprès de l'État dans la lutte contre la haine inter-espèce. »

Sam était perturbé par ce que je venais de lui annoncer. Il était bien loin de se douter des secrets d'État qui prenaient place au sein du gouvernement.

-Oui cela peut paraître déroutant que le gouvernement soit aussi impliqué dans le monde surnaturel. Une partie des acteurs principaux est au courant et c'est notamment grâce à eux que les créatures vivent en paix la plupart du temps. Nous nous occupons de faire disparaître les preuves de leur existence et les rares déviants qui nuiraient à la prospérité. L'État a compris le potentiel des surnaturels et il préfère la collaboration à la guerre. Enfin bon, revenons à nos moutons ...

« L'Organisation est une section du département de la Défense, une branche secrète qui gère le monde surnaturel. On y subit un entrainement spartiate afin de devenir un agent efficace et invisible. Le plus tôt on intègre, le plus facilement ils sculptent les futurs membres qui garniront leurs rangs. Pour ma part, j'attaquai l'entraînement physique dès mon arrivée. Combat, arme, musculation. J'étais connue comme le fantôme tant ma souplesse était légendaire afin de disparaître aux yeux des mentors.

Érik était devenu mon tuteur, il supervisait la majorité de ce que j'accomplissais au sein de l'Organisation. Á neuf ans commença la résistance à la douleur, on me rouait de coups pour que je sois habituée à encaisser en cas d'interrogatoire à la dure. Brûlure, ongles arrachés, coupures, poisons, acides et j'en passe. Je ne te dis pas comme j'ai morflé à cette époque, heureusement que nous avions des soins issus des sorcières et des fées pour réparer les dégâts. Et ce n'était que la mise en bouche avant le plat de résistance.

 Á dix ans : torture psychologique. On m'enfermait en isolement pendant des semaines avec pour seule compagnie un animal. Après que je me sois suffisamment attachée, on nous séparait. Je retrouvais ces bêtes sur la table de dissection avec ordre de rester sur ma chaise sans bouger, un canon sur la tempe, tandis qu'on les réduisait en charpie. Au début c'était horrible, insoutenable, au bout du dixième tu ne clignes même plus des yeux lorsqu'on leur crève les yeux, arrache la langue ou qu'on les démembre vivant. 

Je suis devenue une coquille vide qui ne ressent plus rien. J'avais laissé mes émotions de côté, refusant de m'attacher à qui que se soit. Et la dernière étape était de passer du côté des bourreaux. Est-ce que je pouvais blesser de sang froid, tuer des innocents ? Je battais violemment mes camarades et les réduisaient aux larmes en torturant leurs compagnons d'isolement. Á quinze ans j'étais fin prête, la parfaite machine à tuer ! »

Devant l'air horrifié de Sam, je me forçais à sourire. Pour n'importe qui ce récit sonnait comme l'enfer, pour moi il relevait d'une nécessité.

-Il faut faire des sacrifices pour le bien du plus grand nombre. C'est come ça. Toi qui ne connais pas le monde de l'ombre tu ne peux pas comprendre.

-Mais ... mais qu'est-ce que tu racontes ?! Ce sont des fous ! Tu ne peux pas ne pas t'en rendre compte ?!

Bien sûr, ceux qui n'appartenaient pas à l'Organisation ne pouvaient pas concevoir une telle douleur. Je regrettais évidemment la mort de tous les animaux qui avaient eu le malheur de croiser ma route, mais ils m'avaient sauvé la vie, car en situation de crise j'avais toujours su garder mon calme et prendre les bonnes décisions. Même lorsqu'il s'agissait d'achever un collègue de travail pour la réussite de la mission. La majorité passait avant l'individu. 

L'Organisation m'avait peut-être lavé le cerveau, formaté à être un gentil toutou obéissant. C'était ma réalité. Je n'y pouvais rien maintenant, j'étais à leur botte depuis tant d'années. J'enchainais avec la suite, ne laissant pas au garçon le temps de s'indigner.

« Je suis devenue connue comme le fantôme au sein de l'Organisation. Et mon nom s'est fait connaître ailleurs aussi. Á quinze ans, j'étais devenue l'arme ultime. Une machine à tuer. Un stratège à devenir. Une menace. Bien sûr, à ce moment là, l'Organisation m'avait mis de leur côté, et c'était tant mieux pour eux. 

Ma haine contre les humains s'était transformée, elle s'était tue tandis que je perdais mes émotions. Il ne restait en moi que l'envie d'éliminer n'importe quel être qui serait une menace pour le monde surnaturel. Que l'individu soit humain ou créature. J'avais encore en travers de la gorge la trahison de Froerï envers les miens. Cette haine ne disparaitrait probablement jamais.


Je dois avouer que lorsqu'on me confia la mission de supprimer le chef de la compagnie forestière à l'origine du massacre de ma famille, j'ai accepté avec plaisir. Et il a déchanté très vite, regretté son geste parce que le fantôme n'avait pas de pitié, il était un peu sadique même. Oh, lorsque ses yeux ont brillé pour la dernière fois, quel soulagement pour lui. Je pense qu'il a compris à quel point j'avais apprécié son attention envers mon peuple. 

Quant à Froerï, il avait été malmené par le temps. Les humains l'avaient piégé et sa tribu en avait payé le prix fort. Il était bien puni, mais je lui ai tout de même laissé un petit souvenir afin qu'il comprenne que rien n'excusait ses agissements. Ensemble les elfes sont forts, ce n'est pas en se trahissant que l'on survit face aux maalsilga.


J'ai enchaîné les missions : filature, espionnage, assassinat ... Et il y a deux ans, la Secte a commencé à bouger. Au début ce n'était rien qui attira notre attention. Quelques crimes par-ci, par-là, rien d'anormal. Il y avait toujours eu une guerre secrète inter-espèce. Toutefois, très vite les crimes s'organisèrent suivant une procédure très similaire. Isolation. Chasse. Mort par arme à feu. Et ce répété trois à quatre fois dans une même ville avant de passer à la suivante. 

L'Organisation a fait tout son possible pour ne pas ébruiter l'histoire. C'était facile lorsque les crimes étaient éloignés dans le temps, les gens oubliaient, mais depuis six mois, les meurtres sont de plus en plus rapides, plus cruels, et les journalistes ont fini par mettre la main sur les informations avant de les rendre publique. Ce qui n'arrange pas nos affaires niveau discrétion. J'ai été envoyé sur les traces d'un leader de la Secte, et j'avais pour but de l'empêcher de nuire à d'autres surnaturels, malheureusement, il y a bien plus de maillon dans la chaine. J'ai éliminé un sous-fifre ce qui visiblement n'a pas été suffisant ... 

Voilà comment j'en suis arrivée là. Les autres m'ont kidnappé pour me faire avouer le nom des membres de l'Organisation, des lieux, n'importe quoi pour pouvoir leur faire du chantage. Ils veulent pouvoir se mettre le Gouvernement dans la poche et le lancer dans une chasse aux sorcières. Maintenant tu sais tout Sam ... j'espère que tu t'en remettras. »


Je regardais l'adolescent face à moi. Cette fois-ci il demeurait silencieux. Son expression loin du dégoût et de la pitié n'exprimait que le choc, la compassion et une touche de peur. Lorsqu'il m'avait proposé son aide pour luter contre la Secte, il était loin de se douter que cela était aussi complexe. 

Les créatures soupçonnaient rarement que le gouvernement prenait leur existence en cause, il n'y avait guère qu'une poignée d'individus au courant. Nous nous fixions, muets. Je me sentais nue, à découvert pour la première fois depuis longtemps. J'avais perdu l'habitude de parler sérieusement, tout comme Sam, j'avais érigé une muraille entre moi et les autres. Mon état de santé me rendait fébrile, même sentimentale. La fillette que j'avais cru achever pendant mes années d'entrainement avait survécu. Malgré tout, me restait-il un peu « d'humanité » ?


Ce ne fut pas une réflexion sur laquelle je pus m'attarder car on toqua à la porte, Rico sursauta et décampa telle une fusée pour aller sautiller joyeusement prêt à l'accueil des invités.



**********

Coucou à vous !

Je n'avais pas posté depuis quelques temps ... désolée. Le rythme va sûrement être plutôt irrégulier. Avec l'université j'ai pas mal de choses à faire en ce moment ce qui ne me permet plus d'écrire comme je le voudrais :/


Je vous souhaite une bonne lecture ! 

@ la prochaine :)

**********

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top