Chapitre 2 ~
Sept heures du matin. J'éteignis mon jeu qui consistait à massacrer une tonne de zombies à moitié décomposés arpentant les rues de New-York sans autre but que de dévorer la matière grise des pauvres passants. Je baillai longuement avant de me relever du canapé en cuir noir sur lequel je m'étais si confortablement avachi. Du bruit dans les escaliers, l'indication que mes parents descendaient prendre leur petit-déjeuner. J'allai en faire de même.
D'un pas tranquille j'entrai dans la cuisine. Je fus surpris de voir ma mère, la tête basse. Elle était assise sur une chaise l'air attristée. Mon père, debout derrière elle, posait les mains sur ses épaules sveltes, comme pour la consoler.
-Bonjour, lançai-je sur un ton détaché.
Je fixai le couple du coin de l'œil tandis que j'attrapai un bol et une boîte de céréale dans le placard. Ils restaient immobiles, c'en était inquiétant. Lorsque je m'installai à table avec une nonchalance exagéré, mon père se décida enfin à parler.
-Écoute Sam, ta mère, commença-t-il en marquant un bref arrêt avant de continuer, et moi nous faisons du souci à ton sujet. Nous t'avons entendu te lever en plein milieu à plusieurs reprises au cours de ces dernières semaines. Si quelque chose te tracasse, tu peux nous en parler, tu le sais, déclara-t-il d'une voix préoccupée.
Mon regard se releva immédiatement sur lui. Bien que je devine que mon père s'inquiétait pour moi, l'instigatrice de cette discussion n'était autre que ma mère. D'une nature bien plus soucieuse, elle avait toujours eu le don pour remarquer quand la situation n'allait pas pour moi. En revanche, elle s'arrangeait toujours pour que mon père soit celui qui engage la discussion plutôt qu'elle. Un stratagème que je trouvais parfois mesquin.
Mes sourcils se froncèrent légèrement. Moi qui pensais avoir été assez discret pour ne pas éveiller de crainte chez mes parents.
-Je vais très bien, j'ai simplement du mal à dormir en ce moment. Peut-être suis un peu stressé par le BAC blanc en approche. Ne vous inquiétez surtout pas, je vous assure que tout va bien, dis-je avec un sourire.
Ma mère ne se laissait jamais convaincre facilement. Elle tenait toujours à percer le moindre de mes secrets.
-Si c'est à cause de ce à quoi je pense, tu peux nous le dire ! Sam même si on ne comprend pas bien cet aspect là de toi, nous sommes tes parents, nous pouvons essayer de trouver une solution, dit-elle son timbre montant dans les aigus.
Il fallait toujours que mes parents se fassent trop de soucis à mon sujet. Je ne pouvais pas leur en vouloir, si jamais j'avais un enfant aussi étrange que moi, j'imagine que je me ferais toujours du souci pour lui.
-Cela n'a rien à voir avec ça ! Je fais juste des cauchemars, ce n'est vraiment rien d'inquiétant, marmonnai-je entre mes dents.
Il leur était impossible de me comprendre. Ils faisaient énormément d'efforts, et je leur en étais grandement reconnaissant, toutefois certains aspects de ma personne leur échapperaient toujours. Cela ne signifiait pas qu'ils ne pouvaient pas m'aider, me soutenir quand les choses allaient mal. Ils devaient juste accepter qu'il y aurait toujours une part d'incertitude dans leur compréhension.
Ils se concertèrent d'un regard restant silencieux. Ils faisaient souvent ça. Parfois j'en venais même à me demander s'ils n'avaient pas une sorte de dialogue télépathique que je ne pouvais pas entendre. Une proximité et une complicité que bien des couples pourraient jalouser.
Pendant ce temps, je me versai un bol de céréale ainsi qu'un verre de jus d'orange tout droit sorti du frigo. Je m'assis sur une chaise et commençai à manger avec nonchalance. Je veux gérer mon problème seul. Il ne concerne que moi, moi et moi seul !
****
-J'y vais ! lançai-je par dessus mon épaule tout en poussant la porte, mon sac jeté sur le dos.
Mon père enfila une écharpe dans le hall derrière moi. Il peina un instant pour ne pas coincer sa barbe sous la laine épaisse. Attrapant son manteau pendu au porte-manteau en bois clair, il me regarda prendre la direction du portillon.
-Tu ne veux pas que je t'emmène au lycée en allant au travail ? proposa-t-il gentiment alors que j'avançais sur les plaques d'ardoise incrustées dans la pelouse.
Je secouai négativement la tête en guise de réponse.
-J'ai au moins une demie heure avant le début des cours, j'ai largement le temps d'y aller à pied. Et puis ça me fera prendre l'air. Vingt minutes de marche par jour c'est bien ce que les experts conseillent. Tu devrais le savoir, non ? répondis-je en lui adressant un sourire malicieux.
Il leva les yeux au ciel avant de me retourner le même sourire. Mon impertinence lui avait toujours plu, du moins lorsqu'elle ne s'adressait pas directement à lui ou ma mère.
-Un chercheur de ma renommée est au courant de tout cela mon fils. Passe une bonne journée à ce soir.
Il se dirigea vers la voiture garée devant notre garage. Je restai un moment devant le portail, attendant que mon père démarre, dans le silence, la voiture électrique. Il fit marche arrière jusqu'à la route, puis quitta notre rue assez rapidement.
Après avoir lâché un soupir qui forma de la buée sous mes yeux, je me mis en route en direction du lycée. J'avais environ un quart d'heure à vingt minutes de marche pour me rendre à mon établissement.
En chemin je passai à côté des poubelles que le cabot avait fouillé dans la nuit. Il y avait mit un sacré désordre, des détritus en tout genre étaient éparpillés sur le sol.
-Sale cleb'..., soufflai-je au passage.
Mais j'aimais assez les animaux. Je regrettais de ne pouvoir avoir un compagnon. Dans la solitude de ma jeunesse, un ami, véritable confident, aurait été merveilleux. Impossible de convaincre mes parents. Ma mère notamment s'y était opposée vigoureusement, prônant qu'ils étaient d'une compagnie suffisante, et que de toute façon elle était allergique au poil.
Je ne pouvais pas me plaindre puisque je n'avais jamais manqué de rien. En effet mes parents s'étaient occupés de moi avec grande attention. Et j'avais rencontré des ami qui possédaient des animaux, ce qui m'avait permis d'en côtoyer assez souvent. C'était mieux pour toute la famille de ne pas avoir de compagnon animal. Cela rassurait ma mère sur plus d'un aspect.
J'avais déjà parcouru plus de la moitié du chemin lorsqu'un bruit de pas accélérés se fit entendre derrière moi. Je ne me retournai même plus, avec l'habitude je connaissais parfaitement l'individu dont il s'agissait.
-Salut Sam ! lança une personne enthousiaste.
-Salut Edward, je vois que tu as l'air motivé aujourd'hui encore.
Il rigola avant de me sourire, amusé.
- Qu'est-ce que tu crois, je suis toujours en pleine forme lorsqu'il s'agit d'aller au lycée.
Qu'il pouvait être juvénile dès le matin. J'avais rarement vu quelqu'un qui bondissait comme un kangourou dès le matin, 7h40. C'était ce qui m'impressionnait d'ailleurs chez mon ami, il avait l'air parfaitement apte à courir un marathon de 42 kilomètres alors que moi j'étais tellement fatigué et blasé que tout ce qui me tardait, était de pouvoir m'asseoir sur une chaise et me reposer bercé par la douce voix de mon professeur de physique-chimie.
Le jeune homme aux yeux verts me lança un coup d'œil rapide afin de me détailler. J'étais conscient qu'il s'intéressait davantage à ma mine.
-Tu ne dors pas ? Tu as franchement une tête à faire peur, questionna-t-il en rigolant.
Personne, à l'exception de mes parents, n'était au courant de mes nuits tourmentées par un cauchemar. J'évitais d'en parler, cela détruirait mon image. Et même si je me fichais pas mal des apparences, elles étaient néanmoins la meilleure couverture que j'avais trouvé, en plus de mes lentilles, pour dissimuler ma différence.
-Allez dis moi avec qui tu passes tes nuits ? Je suis curieux, tu ne me racontes jamais tes histoires !
Je repoussai d'un coup d'épaule la main qu'il posait sur mon bras. Bien sûr lui aussi croyait à ces histoires stupides. Je ne pouvais pas lui en vouloir, comme je ne parlais que très rarement de moi aux autres. Le doute était permis.
-Personne ! Tu as vu comme le monde m'intéresse ? Il n'y a pas une personne pour rattraper l'autre au lycée. Elles sont toutes aussi superficielles..., marmonnai-je de mauvaise humeur.
Je n'avais aucune envie de me rappeler les raisons qui me maintenaient éveillés nuit et jour.
-C'est Isabelle ? Vu les regards qu'elle te lance c'est sûrement elle ! Veinard avec son bonnet D je suis sûr que tu dois t'éclater. Ou bien c'est peut-être Lucie, parait-il que son déhanché est agile ...
Il continuait son monologue tout seul, ses remarques m'agaçaient alors autant ne plus l'écouter blablater. J'espérai vraiment arriver rapidement au lycée à présent.
****
Le portail du lycée était grand ouvert. Un surveillant blasé se tenait adossé au mur à envoyer des sms sur son portable. Il nous remarqua à peine lorsque nous pénétrèrent dans l'enceinte de l'établissement J.Owens. Plusieurs bâtiments s'élevaient autour de la cour principale, mais nous nous y attardions pas. Il faisait frais et le chauffage nous attendait dans le bâtiment de sciences. Nous marchions tranquillement dans les couloirs, à cette heure-ci très vide, les élèves n'arrivaient généralement qu'après la première sonnerie. Nous nous dirigions vers nos casiers qui se trouvaient côte à côte. En cours de route Edward avait renoncé à son enquête me voyant aussi silencieux qu'une tombe face à toutes ses questions.
J'arrivai face à mon espace de rangement, n°542, juste avant le mien, le n°541, casier d'Edward. C'était grâce à cela en partie que je l'avais rencontré deux ans auparavant, à mon entrée en Seconde. Souriant il m'avait abordé sans aucun aprioris, et dès lors nous avions commencé à discuter chaque matin, avant de nous retrouver plus tard dans le même club de sport. En 1ère nous avions fini dans la même classe, et cette année encore.
Je déposai un classeur et un cahier, lui sortait des livres dont celui de physique. Cela ne m'étonnait même plus de lui.
-Tu n'as pas fait les devoirs de physique ? demandai-je en lorgnant dans sa direction.
-Tut, tut, tut, dit-il en secouant son doigt devant moi, on n'est pas tous aussi nul que toi dans cette matière. Figure toi que moi j'avais déjà fini l'exercice en cours, répondit-il très fier.
-Tout le monde n'est pas non plus aussi brillant que toi lorsqu'il s'agit de physique quantique.
Il rigola une minute, faisant apparaître une fossette au coin de ses lèvres, espiègle.
-Je sais, je sais tu peux m'appeler professeur Planck, répondit-il en bombant le torse.
Je haussai un sourcil en souriant légèrement avant de me tourner vers le professeur de sport vêtu d'un survêtement qui arrivait vers nous d'un pas pressé.
-Salut les garçons, les plans ont changé un peu et nous avons entrainement ce soir. Je vous fais confiance pour faire passer le message au reste de l'équipe. L'équipe de handball a une autre salle pour pratiquer, nous aurons le terrain intérieur pour le basket, expliqua-t-il rapidement, un grand sourire au visage.
Edward opina d'un mouvement de tête, quand à moi je me contentai de hocher une fois la tête.
-Très bien, à ce soir Monsieur Fogères, répondis-je à notre entraîneur avant que celui-ci ne s'éloigne toujours aussi pressé, il était monté sur des ressorts le bonhomme.
Je me penchai ensuite vers mon sac pour le refermer et le passer par dessus l'une de mes épaules. Edward à côté de moi poussait d'une main la porte de son casier et tenait son sac dans l'autre. Il était ravi de la nouvelle, moi aussi j'étais plutôt content. Le basket serait un moyen de focaliser mon attention sur des activités autres que mes rêves.
Mon ami étira ses longs bras musclés avant de me regarder.
-J'ai hâte d'y être, ça commençait à faire un moment qu'on avait pas pu jouer. En plus les tournois arrivent bientôt, on a intérêt à s'y mettre à fond si on veut gagner cette année, lâcha-t-il avec joie.
-Faut pas trop compter là-dessus, les autres équipes sont vraiment douées.
-Et alors, nous aussi on a un bon niveau. Quel pessimisme Sam ! Dis surtout pas ça aux autres ou ils vont te tabasser, dit-il plaisantant seulement à moitié.
Les autres garçons de l'équipe le prendraient sûrement très mal, je m'en doutais bien. C'est pour cela que lorsque l'on me parlait des tournois je me contentais de sourire gentiment sans laisser paraître mon scepticisme. Pas que notre victoire soit illusoire, mais plutôt du fait que je connaissais nos rivaux. De vrais acharnés lorsqu'il s'agissait de gagner. Et notre équipe jouait plus pour le plaisir que les résultats, malgré les efforts acharnés de Monsieur Fogères pour tenter de nous qualifier nationalement.
La sonnerie retentit dans le couloir me sortant de mes pensées. Je regardais Edward qui prenait la direction de la salle de physique chimie. Sans plus attendre je le suivis. Á présent il y avait plus de monde dans le lycée, j'entendais les murmures des filles qui faisaient des commentaires à notre passage. Les gens adoraient les ragots et les on-dit. En ce moment nombreuses rumeurs courraient sur moi. Ce qui les fascinait le plus était le mystère qui entourait ma vie.
Si seulement elles savaient, pensai-je pour moi-même en franchissant la porte de la salle de cours.
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