📍Phase 1 - Chapitre 1 - Illusions
♾
Fin juin 2011
Un son des plus assourdissants résonne dans la pièce. Je remue dans mon lit en marmonnant une agréable insulte envers le petit appareil électronique qui fait des siennes. Ma main tâte la table de chevet à la recherche du bouton qui le mettra hors d'état de nuire. L'insupportable bruit s'arrête enfin, permettant à mes oreilles d'arrêter de saigner. Un vrai massacre.
Les bras protecteurs d'Aaron entourent ma taille à la fois avec force et délicatesse. Je ne peux m'empêcher de sourire niaisement face à tant d'innocence de la part de mon conjoint. Il s'agite légèrement avant d'ouvrir les yeux et de m'offrir un demi-sourire endormi, ainsi qu'un regard amoureux. Je viens déposer un baiser sur son front, puis tourne ma tête vers cette ordure de réveil. J'écarquille les yeux avant de me lever à la va-vite, un peu chancelante, pour précipiter vers la salle de bain.
-Chérie. Se moque Aaron en soupirant.
Je fixe mon reflet dans le miroir et je suis rassurée de ne pas avoir de cernes ou de traces de drap sur mon visage. Pourtant j'ai l'air si fatiguée, c'est assez frustrant. Je me passe rapidement de l'eau sur le visage et pars à grande vitesse dans le dressing. Je sors un chemisier crème et une jupe-crayon bleu marine qui m'arrive sous la poitrine et m'en habille énergiquement.
-Désolée, le réveil n'a pas sonné à la bonne heure et nous sommes en retard. Expliqué-je en retournant dans la salle de bain.
La vérité, c'est que j'avais réglé le réveil sur huit heures, mais comme c'est l'appareil le plus ingrat que je connaisse -pour le prix qu'il nous a coûté-, il a décidé de nous mettre en retard pour une journée dès plus importante. Je retourne face au miroir. Je coiffe mes cheveux et les lisse avec mes mains. Pendant que je fais en sorte d'être un minimum présentable pour ma remise de diplôme, Aaron se lève et se traîne lourdement jusqu'au lavabo. Il m'enlace tendrement et m'embrasse dans le cou. Je le repousse doucement en souriant, lui faisant bien comprendre que je suis trop en retard pour reprendre nos galipettes de la veille.
-Aaron ! Je suis en retard.
-Je sais, me dit-il tout endormi, les yeux presque clos. C'est moi qui ai changé l'heure de ton réveil.
Je me retourne vers lui, le regard accusateur et lui envoie une petite frappe à l'arrière de la tête pour lui faire comprendre que ce n'était pas le bon jour pour faire une chose pareille. Il grimace avant d'attraper un peigne et d'ajouter :
-Tu te laisses trop de marge pour te préparer. Tu n'as pas besoin d'autant de temps pour être belle. Tu n'as même pas besoin de temps pour être belle, c'est inné chez toi. M'affirme-t-il en s'occupant de ses cheveux.
Tout en continuant à me préparer, je souris discrètement, ravie qu'il m'ait complimenté de la sorte. Fin prête, Aaron étant en train d'arranger ses cheveux frisés, je dévale les escaliers, me dirige vers la cuisine et prépare du café. Aaron arrive à son tour, toujours torse nu et endormi. Je lui sers sa tasse quotidienne de caféine afin de le réveiller un peu puis je retourne à la plaque chauffante et casse quatre œufs dans une poêle. Lorsqu'ils sont brouillés, je mets la table pour le petit déjeuner. Je mange en quatrième vitesse tandis qu'Aaron prend son temps, comme à son habitude. Dès lors, je le presse car il n'est toujours pas habillé pour le rendez-vous.
Je lis le journal pendant qu'il s'habille. En première page, l'on nous confirme -officiellement- que Stark Industries a définitivement abandonné la production d'armes de guerre et provoque donc une forte hausse du chômage dans les différents pays où l'entreprise s'est implantée. Bien que beaucoup de travailleurs se voient sans emploi, c'est bien mieux ainsi. Stark Industries est, ou plutôt était, la plus grosse entreprise de missiles longue portée de la planète, et de beaucoup d'autres armes. Depuis que Tony Stark, gérant de la boîte et successeur du grand Howard Stark, a eu une sorte de "révélation" (après tout, il s'est quand même fait enlever par des complices d'Al-Qaïda puis faillit être trucidé par un fou avec des fouets électriques), il a eu une soudaine envie de tout arrêter pour des raisons totalement contraires au métier qu'il pratiquait. Maintenant, je ne sais pas vraiment ce qu'il va devenir. Milliardaire égocentrique dans l'âme, il risque sûrement de se consacrer à Iron Man : la machine qu'il utilise pour sauver le monde. J'espère simplement qu'il ne prendra pas la grosse tête, plus qu'il ne l'a déjà.
Me sortant de mes réflexions, mon amoureux se positionne devant moi, vêtu d'un beau smoking bleu, assorti à ma jupe. Il est très séduisant dans cette tenue, ce qui me donne envie de la lui arracher. Mais je laisse mes pensées perverses de côté pour sortir de la maison et me diriger vers la voiture, Aaron sur les talons.
***
Aaron tourne à l'angle de la rue tandis que j'engage la conversation sur un sujet qui me tracasse depuis que je l'ai lu dans le journal :
-J'ai lu les nouvelles. Alors Stark s'est irrémédiablement rétracté ? Lui demandé-je dans le but d'avoir plus de détails.
Aaron est l'ingénieur des derniers prototypes d'armes longue portée de l'ancienne entreprise. Il est donc au courant des ragots de celle-ci. De plus, il passe beaucoup de temps avec Stark dans son atelier, à jouer avec des morceaux de fer pour leur trouver une utilité.
-En effet, répond-il simplement.
-Tu n'es pas inquiet ? Tu risques de perdre ton travail ?
Etant le seul à travailler pour couvrir nos besoins pendant que j'étudie, je crois que mon inquiétude est légitime. Même si je vais être diplômée, je n'ai pas de boulot fixe et mon salaire est vraiment moindre.
-Tony m'a proposé une augmentation, m'annonce-t-il avec un grand sourire.
À la fois surprise et excitée, je le regarde un peu bizarrement tandis que lui fixe la route.
-Vraiment ? C'est génial ! Ajouté-je, soulagée qu'il ait fait le nécessaire.
-Je vais bosser avec lui sur Iron Man. Il m'a demandé de créer les gadgets de son armure.
Je souris en soupirant. Je me doutais que Stark ne lâcherait pas Iron Man aussi facilement. Ça ne fera qu'augmenter sa réputation déjà bien fondée. Et il va entraîner mon amoureux sur cette pente, ce qui ne me ravit pas. Je ne veux pas qu'il y prenne goût, ce n'est pas fait pour lui. Et il était du même avis quand il a commencé à travailler pour Stark.
-Et tu gagnes combien maintenant ? Lui demandé-je, espérant que cela vaille le coup.
-Le triple.
Je souris à nouveau en écarquillant les yeux. Il doit vraiment apprécier Aaron pour lui offrir une somme pareille. Quoique tant mieux pour nous, on pourra sûrement remplacer la télévision vintage de ses grands-parents.
-Non, on ne remplacera pas la télé de Mémé, complète-t-il, comme s'il avait lu dans mes pensées.
-Mais la qualité de l'image est vraiment naze ! Aaron tu sais que ce serait un beau cadeau de diplôme !
-Hors de question !
Je boude légèrement dans mon coin jusqu'à notre arrivée. Après s'être garés sur le parking de la fac, nous tournons chacun notre tête vers l'autre. Aaron est à deux doigts d'exploser de rire, et il ne peut pas le retenir plus longtemps, m'attirant dans son hilarité un peu démesurée. Nous nous échangeons un baiser chaste avant de quitter la voiture.
***
Le jardin est bondé. La pelouse verte est totalement piétinée par les pas des futurs diplômés et de leurs proches. Aaron et moi sommes au petit buffet. Nous prenons chacun un verre de champagne, trinquons et buvons une gorgée. La bonne humeur est au rendez-vous. Depuis que nous sommes ici, je n'ai pas arrêté de sourire, ce qui me donne l'impression que je vais rester coincée dans cette position. Une main vient se poser sur mon épaule. C'est Paul, un camarade qui avait cours avec moi. Nous discutons brièvement de nos discours respectifs, faisant partie tous les deux des meilleurs élèves de l'année. Un grésillement désagréable retentit dans les enceintes, placées aux quatre coins du jardin, et une voix grave mais amicale nous invite à nous approcher de l'estrade. Nous nous regroupons devant celle-ci : les futurs diplômés sur les chaises devant et les proches derrière ou sur les côtés. Typique des cérémonies américaines.
Le soleil s'élève dans le ciel de cette fin de printemps et frappe fortement sur nos visages blancs. C'est un vrai réconfort d'avoir de la lumière à Rochester, cette ville dans l'Etat de New York où les nuages dominent plus qu'il ne le faudrait. Assise à la première rangée, je me retourne vers Aaron qui a les yeux plissés à cause du soleil. Il m'adresse un sourire magnifique avant que le directeur Marcus ne s'avance jusqu'au pupitre sur l'estrade et commence son discours -j'imagine - annuel :
-Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bienvenue à la cent cinquante-septièmes remise de diplôme de l'Université de Rochester.
La foule applaudit tandis que le directeur Marcus se racle la gorge :
-Chers élèves, ce fut un plaisir pour moi, ainsi que pour chaque professeur, de vous accueillir et de vous enseigner des matières dont vous en ferez votre métier. Vous êtes sûrement les élèves les plus investis que nous ayons pu avoir depuis la fondation de l'école.
Une voix masculine s'exclame : Vous dites ça chaque année !, ce qui vaut quelques rires dont ceux des professeurs.
-Ce n'est pas faux. Mais c'est un secret, nous annonce-t-il avec un clin d'œil. Maintenant, si vous le voulez bien, nous allons remettre les diplômes.
Les noms défilent, plusieurs des meilleurs élèves font leurs discours avant moi, et quand c'est mon nom qui résonne dans les enceintes, je suis submergée par les émotions : stresse, soulagement, excitation. Le tout réuni, c'est comme si j'étais une bombe à retardement, prête à éclater en sanglots à la moindre remarque déplaisante, ou à tomber dans une euphorie surnaturelle. Je tremble de part et d'autre, alors que ce n'est que ma remise de diplôme, et m'avance vers l'estrade, poussée par les applaudissements. Le directeur me tend mon diplôme enroulé comme du parchemin, retenu par un fil rouge et tandis que je m'installe devant le pupitre. Après avoir jeté un coup d'œil à la mêlée qui se tient devant moi, je réalise que je tremble encore plus qu'avant. Pourtant, je connais mon discours par cœur.
Lorsque les acclamations cessent, je cherche Aaron du regard. Ses yeux sont fixés sur moi et même s'il est à plus de dix mètres de ma position, je peux voir qu'il y a de l'encouragement et de la tendresse dans ceux-ci. Grâce à ce soutien visuel, mes muscles se détendent et j'arrive à articuler ce que j'avais appris.
Au fur et à mesure que les mots sortent de ma bouche, je prends une certaine assurance, ce qui fait sourire mon homme. J'ai l'impression d'avoir fait ça toute ma vie : parler à un public. Quand je finis ma dernière phrase, les félicitations reprennent de plus belle et un grand sourire s'étend sur mon visage. Mais cette joie s'estompe rapidement quand quelque chose m'interpelle dans l'amas de personnes.
Une silhouette.
Une silhouette qui me rappelle quelqu'un. Les traits de son visage me sont familiers et lointains en même temps. On dirait mon frère et cela me déconcentre énormément, ce qui m'amène à perdre mon sourire. Je reste sur place plusieurs secondes, indécise, totalement absorbée par le visage de cette personne dont je n'ai aucune certitude qu'il soit bien celui de mon frère. Le directeur me sort de ma rêverie en me faisant descendre de l'estrade et m'installer avec les autres. Jusqu'à la fin, je ne cesse de me retourner afin de vérifier si c'est bien lui. La probabilité qu'il soit ici est... quasiment nulle.
Pourquoi reviendrait-il maintenant, après toutes ces années ?
Monsieur Marcus nous laisse finalement nous rendre à la salle de bal et lorsque la foule commence à bouger, je tente de me faufiler entre les personnes souriantes à cette belle journée.
À plusieurs reprises, il disparaît derrière des têtes jusqu'à ce qu'il réapparaisse, toujours plus loin. Je suis le fantôme de mon frère et débouche sur une petite fontaine qui est épargnée par la mêlée. Je suis seule et je le ressens bien. C'est comme s'il n'avait été qu'une illusion, et pourtant je suis persuadée qu'il était là. J'ai reconnu son visage. Du moins, il lui ressemblait vraiment beaucoup.
C'est peut-être une bonne chose en réalité. S'il avait été là, je ne sais pas exactement comment j'aurais réagi. Si je lui aurais sauté dans les bras ou si je me serais enfuie en courant.
Alors je m'assois un instant sur le bord de la fontaine, le regard perdu sur les dalles qui ornent le sol et me remémore le peu de temps que j'ai passé avec mon frère avant l'assassinat de mes parents, du moins de ce que j'arrive encore à me rappeler.
♾
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top