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La fin de semaine s'est passé avec une lenteur sans nom. C'est le résultat quand on a passé un peu plus de trois mois, presque non-stop, à bosser sur un projet qui avait, en tout et pour tout, votre entière attention. Quatre jours sans observer une vingtaine de jeunes scientifiques construire le dispositif qui sera à l'origine de sa paix finale. Quatre jours à traîner avec Steve à l'appartement, à commander de la malbouffe et à glander sur un canapé qui commence déjà à s'affaisser à force de supporter le tas de muscles qu'est Captain America. Oui, Hailee s'est donné la peine d'aller donner quelques coups sur un sac, à la salle de sport au bout de la rue avec son colocataire. Elle a aussi pris le temps de se chouchouter un peu : se mettre du vernis, passer chez le coiffeur que Pepper lui a recommandé. Mais ce n'est clairement pas aussi... intense que de construire un localisateur génétique nécessitant de faire griller ses méninges à longueur de journée.

Fury l'avait congédié après avoir obtenu la localisation de Stefanski, car tel était leur accord : elle se charge de le retrouver et elle n'intervient en rien dans sa capture. Mais cela fait déjà quatre jours que l'équipe est partie, et Hailee n'a aucune nouvelle. Ils pourraient quand même la garder informée, après tout c'est grâce à elle s'ils en sont là maintenant. Peut-être l'ont-ils déjà attrapé et emprisonné mais qu'ils ont un interrogatoire à lui faire suivre avant de l'annoncer officiellement ? Mais depuis quand Hailee mérite-t-elle d'être mise au courant en même temps que tout le monde ? !

-Bon, ça suffit, s'exclame Steve quand il arrive dans le salon et qu'il découvre Hailee, dès neuf heures du matin, affalée dans le canapé en train de se refaire Dr House.

-Ça suffit ? marmonne Hailee qui n'a pas détourné le regard de l'écran de télévision.

-Debout Hailee.

Cette fois, elle hausse les sourcils et daigne poser ses yeux sur lui qui est habillé d'une chemise grise au-dessus de laquelle se trouve une doudoune épaisse. Son cou est entouré d'une écharpe tout aussi lourde et il n'est pas habillé de son habituel jogging. Il lui somme d'aller se doucher et de s'habiller.

-Je t'emmène avec moi, annonce-t-il en attrapant les clés de la voiture. Tu as quinze minutes pour me rejoindre dans la voiture.

-Même si je prends plus de quinze minutes, tu vas encore m'attendre puisque tu ne sais pas conduire.

-Quinze minutes, Hailee, lui rappelle-t-il en passant la porte.

Elle soupire un instant avant de s'exécuter. Après tout, qu'a-t-elle de prévu ? S'établir sur le canapé jusqu'à qu'elle s'y fossilise tout en se refaisant la saison cinq de Dr House ? Peu importe ce qu'a prévu Steve, ça ne pourra qu'être pire que de s'empiffrer de chips jusqu'à ce que sa propre graisse ne finisse par l'étouffer. Alors elle se lève, va prendre sa douche et rejoint aussitôt Steve dans la voiture. Elle s'assoit à la place libre : celle conducteur.

-T'as été plus rapide que je ne l'aurais cru, lui fait remarquer le Captain en mettant alors le chauffage un peu moins fort.

-Ne doute pas de ma capacité à me doucher rapidement, le menace-t-elle d'un regard en mettant les essuie-glaces en marche. Alors, où est-ce qu'on va ?

-À Washington.

Hailee roule des yeux instantanément.

-Si tu m'emmènes voir Fury pour le supplier de me donner un autre projet, je te rassure, je n'ai pas besoin de toi pour le faire.

-On ne va pas au Triskelion, ricane-t-il en me donnant un morceau de papier. Tu peux rentrer l'adresse dans le GPS, s'il te plaît ?

-Oh, et pourquoi devrais-je rentrer l'adresse dans le GPS, je te prie ? lui demande-t-elle en sachant pertinemment la réponse.

Steve lui offre un regard réprobateur signifiant "arrête de te foutre de moi, tu veux".

-... Parce que je... ne sais pas le faire.

Les lèvres d'Hailee s'étendent d'une oreille à une autre en un sourire moqueur et satisfait.

-Eh bien oui, c'est normal papinou. Ne t'inquiète pas grand-père, je vais te montrer comment on fait.

-Oh ça va  hein !

***

Après presque quatre heures de route, le GPS lui indique un long bâtiment haut de trois étages. Elle se gare juste devant l'établissement et tente de regarder à travers la vitre sur laquelle dégouline la pluie.

-Je pensais que tu m'emmènerais dans un musée, Steve.

-Ce sera tout aussi instructif qu'un musée, je te le garantis.

Il sort en premier de la voiture, ce qui encourage Hailee à en faire de même. Elle ne sait pas ce qu'il a prévu, mais elle regrette presque d'avoir quitté son canapé pour courir sous la pluie jusqu'à ce long bâtiment dont il garde encore l'identité secrète. Quand ils entrent dans le hall, un certain nombre de personnes âgées sont assises dans des fauteuils – parfois roulants – à lire des livres, jouer aux cartes ou encore en train de regarder les chaines d'infos. Steve se dirige vers l'accueil et une jeune femme les salue poliment avec un sourire.

-Bienvenue à la maison de retraite ICMA, comment puis-je vous aider ?

Steve retire son bonnet, ce qui doit avoir l'effet escompté puisque la jeune femme affiche de la surprise pendant une demi-seconde.

-Elle n'a pas changé de place depuis votre dernière visite, lui fait-elle savoir en regardant sur son écran. Toujours la chambre 107.

Hailee remarque aussitôt le changement dans l'air, comme s'il était un habitué des lieux. D'autant plus que la personne qu'ils vont voir est une femme. Alors elle réfléchit un instant, le temps de monter les escaliers jusqu'au premier étage, puis elle fait le lien.

-Steve...

Il s'arrête dans ses pas, mais ne semble pas autant perturbé qu'Hailee l'est.

-Oui ?

-Elle... elle est... ? Je veux dire...

Quand il la voie bafouiller comme une enfant, il se rapproche d'elle et pose ses mains sur ses épaules.

-Détends-toi. Et oui, elle est vivante. Comme tu as désormais du temps à perdre, je me suis dit que c'était le bon moment pour vous présenter l'une à l'autre.

-Mais... Enfin... Steve, tu te rends compte de ce que tu es en train de faire ?

-Oui Hailee. J'y ai beaucoup réfléchi.

-Mais... Je ne suis que de niveau quatre, Steve.

-Hailee, rit-il face à sa modestie. Elle veut te rencontrer, tu ne vas quand même pas refuser de rencontrer l'unique femme qui a fondé le SHIELD ?

Hailee déglutit bruyamment, comme si on lui mettait un couteau sous la gorge. Elle a bien compris qu'elle allait rentrer La dame qui incarne le féminisme dans un monde d'hommes. Et c'est justement parce que c'est elle qu'Hailee a l'impression de repasser ses examens de médecine. C'est une femme d'inspiration, une femme forte qui a tant bien que mal su se faire une place dans les services secrets, et avant ça durant la guerre. Sans oublier que c'est le premier amour de son meilleur ami, comment pourrait-elle ne pas stresser ?

Steve finit par toquer à la porte. Hailee le voit l'ouvrir alors qu'elle n'a pas entendu de voix les permettant d'entrer, ou peut-être que si mais qu'avec l'appréhension elle ne l'a pas entendu ? Steve tient son poignet durement pour l'empêcher de faire demi-tour et quand elle passe la porte, la lumière semble l'éblouir. Ou probablement est-ce son subconscient qui en fait des tonnes.

Une vieille femme est allongée dans son lit et son regard est posé tout droit sur les deux nouveaux arrivés.

-Steve ? C'est toi, Steve ? demande-t-elle alors que ses yeux se baignent de larmes.

Son colocataire vient alors s'accroupir à côté de son lit pour prendre sa main, fripée et tremblante, dans la sienne.

-Oui Peggy. Je suis revenu de mission.

Les perles salées glissent difficilement sur ses joues ridées et asséchées par la vieillesse et elle lui sourit. Soulagée de le revoir, purement et simplement heureuse. Tant d'émotions sur un seul visage que ça en tord les tripes d'Hailee.

-Et je t'avais dit que je te présenterais mon amie, tu te souviens ?

-Elle hoche doucement la tête, tellement doucement qu'on dirait que du ciment ralenti son mouvement. Alors Steve se tourne vers Hailee, incitant le regard de sa belle à en faire de même.

-Alors la voici. Je te présente Hailee, elle m'a sortie de la glace. Hailee, voici Margarett Carter.

La gorge de la jeune femme se sert jusqu'à faire apparaître ses larmes au bord de ses paupières. La vieille dame lui tend alors une main qu'Hailee serre un peu maladroitement.

-Je suis ravie d'enfin vous rencontrer, Hailee.

-Moi de même, madame. Moi de même.

***

-Je vous aie vu à la télévision, lui explique alors Margarett en changeant finalement de sujet après avoir parlé du SHIELD. Vous êtes comme Steve.

-Comme Steve ? s'étonne-t-elle alors que le concerné aussi ne semble pas comprendre où elle veut en venir.

Pas loin d'une heure s'est écoulée depuis qu'ils sont arrivés, et les sujets de conversation se sont enchaînés à la vitesse de l'éclair. Même cette vieille femme qu'est devenue la fondatrice du SHIELD ne semble avoir aucun problème à suivre le rythme des questions et explications de sa cadette qui a la langue bien pendue.

-Vous êtes des courageux, des tenaces. Même contre des menaces comme l'étaient les Chitauris, vous vous jetez dans le combat afin de protéger les citoyens, parce que vous savez que personne ne le fera à leur place.

Hailee sourit doucement, réellement touchée que la grande Margarett Carter la considère comme telle, comme assimilable au courage de Steve. Elle n'est cependant pas convaincue d'être de la même graine que Captain America, mais elle décide de ne pas la contredire. Parfois, ça fait du bien d'entendre ce genre de chose, même quand on ne s'y identifie pas forcément.

Peggy sourit à son tour avant de tousser grassement. Hailee s'empresse d'aller attraper un verre et de le remplir d'eau dans la salle de bain avant de le ramener à la vieille dame. Après deux gorgées laborieuses, elle relève son visage vers Hailee et lui offre un autre sourire.

-Merci mademoiselle, est-ce l'heure de mes médicaments ?

Hailee fronce les sourcils et se risque à regarder Steve qui semble aussi indécis.

-Ou bien vous venez prendre mes constantes ? ajoute Peggy, toujours avec un regard bienveillant. Le docteur va bientôt passer faire un bilan du mois, n'est-ce pas ?

-Peggy, intervient Steve.

-Oh Steve, se remet-elle à larmoyer, c'est bien toi ?

-Oui Peggy, je suis rentré de mission.

Il réitère ses actes et vient s'agenouiller à côté de son lit puis prend sa main dans la sienne.

-Vous ne m'avez pas répondu, mademoiselle, se rappelle Peggy.

-Peggy, c'est mon ami Hailee. Tu te souviens, je t'avais dit que je te la présenterai.

-Oh oui, Hailee, je suis ravie de finalement vous rencontrer, sourit-elle une énième fois en lui tendant une main qu'Hailee lui sert adroitement cette fois, quoiqu'un peu tremblante face à la situation.

Hailee offre un regard à Steve qui semble dépité. Il continue de caresser sa main vieillie par le temps avant de lui expliquer qu'ils vont devoir partir.

-Mais vous venez d'arriver.

-Tu sais ce que c'est, le SHIELD et son don pour t'arracher à tes occupations quand il ne faut pas, ricane nerveusement Steve. Je reviendrais te voir après ma prochaine mission.

Il vient déposer un baiser sur son front avant de quitter la pièce. Hailee est sur le point d'en faire de même quand Peggy prononce son nom.

-Oui, madame ?

-Merci de l'avoir sortie de la glace. Le monde est bien plus beau quand Steve en fait parti.

L'avenger hoche la tête, encore empreinte de toute la nostalgie dévastatrice, puis lui souhaite une bonne journée et quitte la pièce. Elle retrouve Steve un peu plus loin dans le couloir et vient entourer son buste de ses bras. Il passe les siens dans son dos et cale son visage au creux du cou de son amie.

-Tu aurais pu me prévenir qu'elle avait l'Alzheimer pré-démentiel.

-Ça s'est aggravé. Il y a quelques mois, je pouvais rester toute la journée avec elle sans qu'elle n'ait de phase de perte de mémoire. Cela arrivait, bien sûr, mais ce n'était pas aussi... fréquent.

-Je suis sincèrement désolée, Steve. C'est dommage qu'une femme aussi extraordinaire soit atteinte d'une maladie aussi vicieuse.

Et ils restent quelques instants ainsi, dans les bras l'un de l'autre. Pour consoler celui dont le cœur se brise à chaque fois que la mémoire de sa belle se brise à son tour, pour apaiser le sentiment de mal-être qui grandit en elle quand elle fut le témoin d'un des pires symptômes au monde.

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