Chapitre 40 - Pardon

Quand l'ascenseur s'ouvre sur l'immense salon qui émerveille toujours autant Hailee, Tony est déjà devant et lui offre un sourire ravi. Tellement ravi qu'il en montre même ses dents. Autant elle pensait que Tony ne s'attachait pas autant aux gens, autant quand il se précipite dans l'ascenseur pour venir la prendre dans ses bras cela contredit immédiatement ce qu'elle pensait du milliardaire. Certes surprise de ce geste si tactile et personnel venant de lui, elle ne se fait pas prier et l'enserre à son tour avec enthousiasme.

C'est vrai qu'il lui avait pas mal manqué ces derniers mois, tant durant ses vacances que pendant ces longues semaines de travail intensives. Ils s'étaient tellement peu vu ces derniers temps qu'elle avait un peu peur que les choses redeviennent comme après la mort d'Aaron : les formalités étant les seuls sujets de conversation envisageables. Mais à le voir si heureux qu'elle soit devant lui, Hailee se dit qu'ils ont passé une sorte de cap et qu'ils sont entrés dans une phase de l'amitié qu'elle ne connaissait pas encore.

-Je suis content que tu aies appelé, lui affirme-t-il avant de se détacher d'elle pour l'observer. Tu as mauvaise mine, il était temps que tu viennes prendre une bouffée de fraîcheur à la Tour.

Il se retourne vers le salon et l'incite à le suivre tant que Hailee sourit face aux pics déjà bien aiguisés de son ami. Tout chez Tony lui a définitivement manqué. Et même si elle sait que le sujet de son voyage au Wakanda, ainsi que de son discours, est inévitable, elle a déjà conscience que ce sera une bonne soirée.

-Moi aussi ça me fait plaisir de te voir. Toutefois, je m'attendais à une nouvelle attaque de tes expérimentations face à mon silence radio depuis le coup de fil que je t'ai passé la semaine dernière pour te demander de venir avec moi au Wakanda.

Autant crever l'abcès dès maintenant, la soirée n'en sera que meilleure si les sujets désagréables sont abordés en premier.

-Je dirais plutôt que tu m'as "supplié" de venir, tu n'es pas d'accord ? la taquine-t-il en sortant le cidre de son réfrigérateur aussi disproportionné que son salon. Je ne te savais pas si dépendante de mon aide et de mon soutien, Hailee.

Hailee pourrait se contenter de froncer le nez et de lui sortir un "nia nia nia" assez puéril qui l'aurait fait rire à tous les coups, mais il s'avère qu'il est loin d'avoir tort. Si elle le méprisait quand son fiancé à commencé à travailler pour lui, que c'est un sentiment qu'elle a gardé à son égard jusqu'à ce qu'il la sauve de son saut de l'ange du haut des falaises de Malibu. Pourtant, elle s'était senti si stupide d'avoir agi de la sorte, surtout quand beaucoup de personnes comptaient sur elle et sur ses particularités pour arrêter Stefanski, mais il l'avait rassuré d'une certaine manière. Il lui a fait comprendre qu'il tenait aussi à elle un tant soit peu malgré tout ce dont elle l'avait accusé et tout ce qu'elle lui avait balancé à la figure. Le simple fait qu'il lui pardonne tout ça en la rassurant de la sorte à suffit à ce qu'elle se dise "il n'a pas un mauvais fond". Il lui a fallu du temps pour le comprendre, et maintenant elle sait qu'elle a besoin de lui bien plus que lui n'a besoin d'elle. Parce que Aaron n'est plus là, Steve doit vivre sa vie et Clint doit gérer sa vie de famille secrète ainsi que son boulot. Il ne lui reste plus que Tony. Ce bon vieux et irremplaçable Tony.

-Bien plus que tu ne le crois.

Surpris par sa réponse à laquelle il ne s'attendait pas, il pose la bouteille sur son gigantesque plan de travail sur lequel trois équipes de traiteurs pourraient travailler sans même se prendre les pieds dans ceux des autres équipes, puis il prend un air qui se veut sérieux mais qui laisse plus transparaître l'inquiétude que ces quelques mots ont éveillé en lui.

-Qu'est-ce qui ne va pas ? la questionne-t-il de sa position alors qu'Hailee s'adonne encore à lorgner cet espace luxueux.

La jeune femme tourne immédiatement vers lui et voit immédiatement l'appréhension dans son regard. Mais l'appréhension de quoi ?

-Hein ? Non tout va bien.

Son regard se fait insistant, l'invitant à se confier. Mais ce qu'il n'a pas compris, c'est qu'il n'y a rien à confier, du moins pas quelque chose qui devrait l'affoler.

-La question que tu devrais me poser c'est plutôt "qu'est-ce qui va si bien ?", lui fait-elle savoir avec un sourire rayonnant. Parce que la seule chose qui me manquait pour me sentir vraiment bien, c'était de voir ta sale face de milliardaire et de boire un verre avec toi.

Il semble se détendre avec un hochement de tête avant de commencer à servir le cidre. Juste avant que Hailee ne jette un coup d'œil à travers la baie vitrée pour profiter de la vue sur Manhattan, elle le voit passer une main sur son front comme pour évacuer la sueur qui s'y était accumulée. Elle l'a senti tendu, c'est un fait, maintenant il ne manque plus qu'à trouver une manière subtile de lui faire cracher le morceau.

-Alors ? enchaîne-t-il en reprenant contenance et en retrouvant son sourire. "Qu'est-ce qui va si bien " ?

Elle lui raconte tout : le dispositif pour retrouver Stefanski est bientôt terminé, ses étudiants sont au taquet, Fitz et Simmons gèrent comme des pros, à quel point elle se sent enfin fière de ce qu'elle fait. Il l'écoute attentivement en ne perdant à aucun moment son sourire. Toutefois, Hailee sent bien que quelque chose ne va pas. C'est comme si elle lui jetait toute sa joie et sa paix intérieure à la figure et qu'il recevait sans rien dire. Alors quand il lui offre un deuxième verre de cidre, elle ouvre la bouche pour dévier la conversation sur lui et ce qui peut bien lui arriver, mais il doit sentir le coup venir et la devance de peu :

-Et le voyage au Wakanda ? Ça c'est passé comment ?

Les questions sont innocentes, mais elle sent bien qu'il est déçu qu'elle ne lui en ait toujours pas parler.

-La reine ne m'apprécie pas beaucoup, finit-elle par répondre en baissant le regard. Voire même pas du tout.

-Je ne parlais pas du voyage au Wakanda, mais "du voyage au Wakanda", insiste-t-il en avalant son verre d'une traite.

Elle lève les yeux vers lui et son visage n'est plus aussi jovial que lorsqu'il l'a accueilli devant l'ascenseur. C'est comme s'il combattait des émotions. Qu'il se refusait à abandonner l'idée qu'Aaron est partis pour de bon, mais qu'il ne se permettait pas non plus de se laisser à se lâcher et de se laisser aller pour que Hailee puisse le faire à sa place. Hailee a bien une théorie là-dessus, mais est-ce que ce ne serait pas du délire total ? Cette théorie justifierait un certain nombre de choses qui rendrait la colère qu'elle éprouvait pour Tony, après la mort d'Aaron, injuste.

Quelle est la probabilité que Tony ait décidé de se concentrer sur son chagrin, durant les deux mois qui ont suivi la mort d'Aaron, pour pouvoir ensuite porter à bout de bras, alors qu'il n'est pas encore tout à fait sortis de son deuil, tout le désespoir de son amie ? Non. C'est trop égocentrique comme hypothèse. Disons alors que ce n'était pas fait exprès, que ces deux mois de silence entre eux n'étaient rien d'autre qu'un gouffre noir dans lequel ils ont tous les deux décidé de rester seuls, mais que depuis la bataille de New York il essaie de maintenir la façade qu'il sert au reste du monde, même face à Hailee. Pourtant, elle l'a déjà vu aussi vide qu'une coquille, qu'est-ce qui l'empêche de se confier à elle ? Peut-être qu'en parler à Pepper lui suffit, ou peut-être ne sait-elle rien. Tellement de possibilités qu'elle ne sait pas laquelle est la plus probable. Parce qu'en soi, elle ne connaît pas Tony autant qu'elle le voudrait. Ils sont devenus proches grâce à Aaron, se sont reparlés parce que le monde était en danger, mais est-ce qu'ils sont réellement amis ?

-Comment se sont passés ses adieux ? la questionne-t-il presque en chuchotant.

Elle soupire un instant. Bien sûr qu'ils sont amis. Si ce n'était pas le cas, elle ne chercherait pas à le rendre fier d'elle et il ne s'inquiéterait pas de comment ça s'est passé avec l'illusion d'Aaron qu'elle s'est trimbalée pendant près d'un an.

-Dans les larmes.

Elle ne sait pas comment lui expliquer tout ce qui s'est passé dans sa tête à ce moment-là. Elle voudrait trouver les mots pour lui expliquer qu'elle a développé une sorte de schizophrénie associée à une hallucination psychosensorielle de type visuel, mais est-ce qu'il ne la prendrait pas pour une folle ? La seule personne qui est au courant, c'est Simmons. Et encore, elle l'a découvert à peine trois jours avant que ça ne cesse enfin. Depuis qu'elle est revenue du Wakanda, il ne lui est plus jamais apparu, même si à plusieurs reprises elle priait intérieurement pour qu'il revienne, mais non. C'était terminé. Et maintenant que c'est terminé, est-ce que ce n'est pas le moment d'en parler volontairement à quelqu'un ?

-Il faut que je te parle de quelque chose, reprend-elle en venant s'asseoir à côté de lui.

Elle s'empare de sa main immédiatement, espérant que le tenir de la sorte l'empêcherait de s'enfuir si jamais il devait réellement la prendre pour une folle. Mais que ferait-elle ? Rien du tout. Elle ne pourrait pas le lui reprocher quand elle-même s'est considérée comme une aliénée. C'était extrêmement dangereux de sa part d'accepter de se lancer dans la bataille contre Loki sachant à quel point son esprit était dérangé, mais elle n'a pas hésité un instant. Parce que même si cette hallucination la torturait, c'était aussi un moyen de motivation, et c'est probablement cette partie-là qui peut effrayer Tony.

-Est-ce que je dois m'inquiéter ? Parce que à la tête que tu fais et au ton que tu as employé, ça à l'air d'être quelque chose de grave.

-J'imagine que ça dépend du point de vue.

Il lève un sourcil, pas certain de tout saisir, mais Hailee décide de finalement se lancer. Il est tant qu'elle se confie à un proche, qu'elle refasse confiance à quelqu'un, à Tony. Parce que même s'ils se sont réconcilié après l'attaque des sbires de Loki sur l'Héliporteur, cela ne veut pas pour autant dire que tout est redevenu comme avant.

-Ok alors ça veut dire que je dois m'inquiéter. Hailee t'es sûre que ça va ?

Sa sollicitude lui va droit au coeur, et elle en fera de même quand elle en arrivera à lui demander si lui va bien.

-Quand Aaron est mort, commence-t-elle en serrant la main de son ami dans la sienne, je me suis refermée sur moi-même et je suis retournée dans notre ancienne maison, à Binghamton. J'ai commencé à broyer du noir, j'ai tenté de me suicider à plusieurs reprises, sans succès.

À peine cette dernière phrase prononcée, Tony se redresse et passe son bras dans le dos d'Hailee pour l'enlacer.

-Tu n'es pas forcée de continuer.

-J'en ai envie, Tony. Mais peut-être que toi tu ne veux pas que je continue ?

Il s'éloigne une nouvelle fois d'elle mais laisse ses mains sur ses épaules.

-Je préférerais qu'on évite de parler de lui, c'est vrai. Mais il faut crever l'abcès, pas vrai ? Il est temps que je fasse mon deuil moi aussi, ça a assez duré.

Ils s'offrent un regard entendu, peut-être un peu triste, mais il a raison : c'est le moment de mettre un point final à cette part de leur vie. Parce que même si Hailee a fait ses adieux à Aaron, le sujet finit toujours par revenir. Il est partis, et il ne reviendra pas. Inutile de rester coincé dans le passé. ce n'est pas comme ça qu'ils aideront les autres. Il l'invite à continuer d'un hochement de tête et Hailee inspire alors un grand coup.

-Je voyais Aaron.

Le silence s'installe. Tony lui offre un regard circonspect mais ne dit rien.

-Il était là, devant mes yeux. Même visage, même fringues, même façon de parler, de voir les choses. Et dès que j'essayais de le toucher, il s'évaporait. Une sorte de schizophrénie associée à une dépression sévère et des idées noires à chaque seconde. Il m'apparaissait le plus souvent quand j'étais dans le besoin : soutien émotionnel, besoin de motivation, besoin d'être rassurée.

-"Apparaissait" ? Ce n'est plus le cas ?

-Plus depuis mon voyage au Wakanda.

Et alors elle lui explique combien ça a été difficile, pendant ces deux mois avant que Loki ne débarque. À quel point il a été chiant avec elle, comment il n'a pas arrêté de lui dire que broyer du noir et se refermer sur elle-même n'était pas dans sa nature, qu'elle devait se relever après avoir été mise à terre. Et même si elle a détesté toutes les fois où il l'a réveillé en pleine nuit pour lui dire qu'elle n'était pas digne de ses pouvoirs si elle ne s'en servait pas pour aider les autres, qu'elle avait toujours voulu sauver des vies et qu'au premier accrochage elle abandonnait. "T'es une lâche !" qu'il lui a sortie. Toute en douceur et en finesse venant de son soi profond déguisé son défunt amour et tendre. Mais sans lui, sans son soi profond déguisé en Aaron, elle n'aurait jamais eu l'idée de se lancer aveuglément dans la fabrication du prototype qui est sur le point d'être achevé grâce au SHIELD. Il était une forme d'espoir au milieu d'un océan de ténèbres et de créatures qui tentaient de la noyer. Est-ce qu'une maladie peut être bénéfique ? La maladie se définit par une altération de la santé, alors était-ce vraiment une maladie ?

-Tu en as bavé, dit-il comme s'il la découvrait pour la première fois, plus que ce que je pensais.

-C'est pour ça que j'ai insisté pour que tu viennes avec moi, quand le gouvernement wakandien nous a proposé de nous décorer. Je savais que ça me serait libérateur, et j'espérais que ça le serait pour toi aussi. Parce que si tu n'as pas répondu à mes appels et que tu as refusés, il y avait une raison, n'est-ce pas ?

Il ne la regarde pas et reste fixé sur le verre de cidre que Hailee a posé sur la table basse.

-Je t'en ai voulu, parce que j'étais en colère. Je lui en voulais d'être partis à Washington en vue de prévenir le Président, je t'en voulais de m'avoir rejeté quand nous avions besoin l'un de l'autre et j'étais avant tout en colère contre moi-même pour l'avoir laissé s'impliquer autant. Mais les choses devaient se dérouler ainsi. Stefanski est suffisamment intelligent pour savoir où frapper, et pour faire d'une pierre deux coups, Aaron était le carrefour entre toi et moi. C'était inévitable. Mais maintenant, je ne t'en veux plus. Chacun fait son deuil à sa manière. Tu as décidé de le faire avec Pepper, ou seul. C'était ton choix, et je devais le respecter.

-Tu lui as parlé ? Quand tu lui as fait tes adieux, il était là ?

-Oui.

-De quoi avez-vous parlé ?

Cette question signifiait surtout "est-ce que vous avez parlé de moi ?", comme s'il cherchait à savoir si Aaron l'avait absout de toutes les fautes dont il se rend coupable concernant cette période de sa vie. Pourtant, Hailee lui a bien fait comprendre que cet Aaron n'était rien d'autre que la modélisation de son esprit profondément enfouit en elle, que ce n'était pas lui à proprement parler. Alors elle se dit qu'il doit chercher à obtenir le pardon, celui d'Hailee et celui d'Aaron par l'intermédiaire d'Hailee. Autant elle se sentait tellement heureuse en arrivant ici à l'idée de passer du tout avec Tony, mais ce qui est certain, c'est qu'elle ne s'attendait pas à ce que cette soirée se transforme en soirée confession et recherche du pardon. C'est les larmes aux yeux qu'elle lui répond :

-Il m'a fait me remémorer un moment, juste après que nous ayons acheté notre maison à Binghamton. Il me faisait la promesse de me faire une belle demande en mariage, une promesse qu'il a tenue. Et puis il m'a fait promettre d'arrêter de vivre dans le passé et de vivre.

Elle essuie vivement les larmes qui menace de couler et Tony vient coller son front contre celui d'Hailee.

-Il m'a aussi demandé de te convaincre d'en faire de même. Il a dit que tu méritais de passer à autre chose, toi aussi.

Il n'a rien dit de tel, mais elle sait que c'est ce qu'il a envie d'entendre. Hailee voit les lèvres du milliardaire se pincer entre elles alors que leurs têtes sont toujours l'une contre l'autre, ses yeux fermés. Elle a beau se sentir soudainement lasse de s'être remémoré ses adieux avec l'amour de sa vie, voir Tony dans cet état l'attriste bien plus. Elle croyait ne pas le connaître autant que ça, mais c'est faux. S'il peut être arrogant, se la jouer cool et plaisanter sur tout même quand ce n'est pas le moment, c'est surtout un homme qui ne cesse de chercher à se racheter. Il sait être sensible et s'intéresser à quelqu'un d'autre que lui-même. C'était le cas d'Aaron, tout comme c'est le cas de Pepper, d'Hailee. Probablement du Colonel Rhodes dont Hailee sait qu'ils sont très proches, ainsi que de Happy Hogan. Tony n'est pas dénué de sentiments et de sollicitude comme elle l'a cru, quand ils se sont rencontrés pour la première fois.

-Tu nous promets, à Aaron et à moi, que tu vas arrêter de vivre dans le passé, de te tourner vers l'avenir ?

Il relève la tête puis il hoche la tête avec un petit sourire empli de tristesse. Hailee croire voir un voile d'eau se former dans ses yeux, mais après une observation plus approfondie c'est simplement la lumière qui se reflète dans ses yeux.

-D'accord.

Elle vient déposer un baiser sur son front avant de lui offrir l'accolade la plus fraternelle qu'elle ait pu avoir depuis des années. Et si Clint les voyait de la sorte, il en serait vert de jalousie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top